EDITO

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Michel DERDEVET Président de Confrontation Europe - LA REVUE #136

L’Europe a l’opportunité d’être le lieu du développement massif de l’hydrogène mais le chemin n’est pas encore parfaitement tracé. 

L’hydrogène, ou plus exactement le dihydrogène (H2), est une molécule originale car c’est la plus petite et la plus légère des molécules de l’univers. Elle existe à l’état naturel mais on ne parle pas aujourd’hui de gisement d’H2 naturel ou natif exploitables. Il faut donc produire cet hydrogène que l’on consomme massivement dans la chimie pour la production d’engrais et dans le raffinage en tant que réactif chimique. 

Les différents usages de l’hydrogène consomment annuellement près de 100 millions de tonnes dans le monde, 10 millions de tonnes en Europe et 1 million de tonnes en France. Pour la France, la production d’hydrogène gris, c’est à dire carboné, correspond au niveau de la consommation, soit un million de tonnes, et cette production d’hydrogène représente près de 3% des émissions de gaz à effets de serre. 

Le défi pour les pays européens est donc de remplacer dans un premier temps l’hydrogène carboné, utilisé dans la chimie et dans l’industrie pétrolière, par de l’hydrogène décarboné, produit en Europe ou à l’étranger. / 

Cette dernière question apparait comme structurante tant les quantités d’électricité nécessaire à la décarbonation de l’économie sont considérables. La production d’hydrogène décarboné réclame en effet d’importantes quantités d’énergie électrique. Or les trajectoires de développement de production d’électricité décarbonée en Europe incite à la prudence quant à la production domestique d’hydrogène vert ou jaune (produit avec l’aide du parc électronucléaire). 

Sur cette question de l’origine de l’électricité, se contraindre à lier directement l’électrolyseur à des moyens de production d’électricité renouvelable serait tout à fait contraire à l’ambition. Les électrolyseurs branchés sur un réseau électrique, dont l’électricité est massivement décarbonée (la France ou la Suède par exemple), doivent être accompagnés à l’identique des unités de production d’hydrogène vert pour atteindre les volumes attendus. 

On le comprend, à moyen terme, l’électricité ne sera pas surabondante et l’hydrogène sera précieux. Il ne sera pas le nouveau gaz ou le nouveau pétrole, il ne sera pas abondant au point d’imaginer qu’il remplace tous les usages fossiles actuels. L’hydrogène décarboné sera, et est déjà, un outil précieux dans la décarbonation de notre économie mais il ne pourra pas tout faire. La France comme l’Allemagne ont annoncé se préparer à investir 9 milliards d’euros chacune d’ici 2030 pour stimuler l’industrie de ce nouveau vecteur énergétique. Faisons-le sans s’invectiver les uns les autres, sans surenchères non plus. 

Les gouvernements doivent donc s’attacher à flécher l’usage du H2 vers les secteurs les plus stratégiques et les moins adaptés à un usage direct de l’électricité. Un risque réel existe que le développement des usages de l’hydrogène décarboné ne se fasse plus vite que notre capacité à en produire. Ce faisant, nous devrions alors devoir, in fine, recourir à l’hydrogène gris, à l’impact très négatif pour l’environnement. 

Les décennies à venir vont donc porter sur des arbitrages entre les investissements en particulier, avec d’une part les moyens à mettre sur la conversion d’usages dans l’industrie des carburants fossiles vers l’hydrogène, et d’autre part la production d’hydrogène décarboné en quantité pour alimenter les usages de l’hydrogène. Cela devra se faire en conservant à l’esprit que la priorité chronologique consiste à remplacer l’hydrogène gris par l’hydrogène décarboné. Dans le cadre de cette marche en avant, impliquant en parallèle, l’augmentation de la production d’hydrogène vert et du développement des usages de l’hydrogène, l’Europe pourra, transitoirement au moins, espérer que l’hydrogène décarboné puisse être pour partie importer et permettre ainsi d’accélérer la décarbonation de l’économie européenne. 

Les enjeux industriels et financiers devant nous sont majeurs, mais l’ambition européenne en recherche et développement sur l’hydrogène est essentielle pour être en capacité de produire massivement et à bon prix de l’hydrogène décarboné, tout en développant les nouveaux usages industriels de ce vecteur énergétique prometteur pour notre transition.

EDITO-Dossier-hydrogène-1