Pierre Fouquet
Chargé de mission « transition numérique » au bureau de Bruxelles de Confrontations Europe
Transition numérique
Plus que de créer une véritable rupture, la crise de la Covid-19 a accéléré l’urgence de la transition numérique que doit opérer l’économie européenne afin d’embrasser la quatrième révolution industrielle à laquelle elle fait face. Cette révolution numérique a radicalement changé notre manière de travailler, consommer, produire et de faire société. C’est un profond bouleversement, dont nous comprenons aujourd’hui qu’il n’est pas seulement technologique. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a placé cet enjeu au cœur de son programme politique lors de son discours sur l’état de l’Union du 17 septembre 2020, au cours duquel elle a annoncé sa volonté de voir le marché unique entrer dans la décennie numérique (Digital decade). Agissant comme un véritable catalyseur, cette crise sanitaire met en évidence la réalité de la fracture numérique qui traverse les sociétés européennes, et la dépendance technologique des États membres vis-à- vis d’acteurs extra-européens, renforçant ainsi l’impérieuse nécessité de réviser le droit de la concurrence au sein du marché unique.
La montée en compétence comme enjeu-clef de compétitivité
Afin de naviguer à travers la crise, le numérique a été une bouée de sauvetage, tant pour les acteurs publics que privés. Toutefois, la fracture numérique se creuse et les inégalités s’aggravent entre les territoires de l’UE et au sein des États membres, en premier lieu pour les personnes les plus âgées, les plus pauvres, les moins diplômées et vivant en zone rurale1, dans l’accès aux technologies, aux compétences numériques ainsi qu’à l’accès aux services publics. La maîtrise collective des outils et sa mise en œuvre opérationnelle dans l’ensemble du tissu entrepreneurial européen sont les conditions d’une croissance économique européenne juste et durable, répartie socialement et géographiquement.
La révision du droit de la concurrence en Europe
Dans le cadre de la stratégie numérique européenne, la proposition de règlement sur les services numériques (Digital Services Act– DSA) et sur les marchés numériques (Digital Markets Act – DMA) ambitionne de limiter les excès d’un internet non régulé, en fixant les conditions d’une concurrence libre, tout en évitant la domination d’acteurs monopolistiques. Elles couvrent un ensemble de normes à destination des services numériques, dont les réseaux sociaux, les marchés et les plate- formes en ligne opérant au sein du marché unique. Ces initiatives législatives, plus que jamais nécessaires, visent ainsi à offrir la possibilité à des nouveaux acteurs européens d’émerger sur un marché trop longtemps dominé par les Américains et les Chinois.
Concurrence internationale pour les données
La transition numérique s’inscrit également dans une compétition internationale pour les données, dans laquelle l’UE se fait large- ment déborder par ses partenaires américains (GAFAM) et chinois (BATX). Face à cette situation, les entreprises européennes ont donc urgemment besoin d’une alternative, au moins pour leurs données industrielles les plus sensibles. Cette dépendance constitue un véritable enjeu de souveraineté, non seulement pour le financement de notre économie mais aussi pour les réorientations de nos activités dans le cadre de la transition environnementale. Dans un contexte de tensions géopolitiques américano-chinoises et sur fond de crise sanitaire, la France et l’Allemagne se sont résolues à reprendre le contrôle de leurs données avec le programme Gaia-X. Cette initiative, lancée par 22 entreprises ou instituts de re- cherche des deux côtés du Rhin, a vocation à créer une norme réglementaire afin d’assurer la souveraineté numérique de l’Union. Incarnation de la volonté de Bruxelles de promouvoir
ses normes auprès de ses partenaires commerciaux, ce standard doit s’intégrer dans l’approche européenne de « cadre de confiance » dans l’espace numérique.