Loïc ARMAND et Patrick O’QUIN
Président de Cosmetics Europe et de la commission Europe du Medef
Président de la Fédération des entreprises de la beauté.
Mal présenté, parfois caricaturé, le projet d’accord commercial entre l’Europe et les Etats-Unis est mal parti. Il faut pourtant se garder des anathèmes et mesurer les multiples avantages que représenterait un tel rapprochement pour nos PME.
Le projet d’accord commercial entre les Etats-Unis et l’Europe est mal parti car il a été mal engagé. On a tout dit sur les sept calamités qui s’abattraient sur notre pauvre pays si les négociateurs arrivaient à s’entendre. On a critiqué l’opacité de la Commission européenne dans la phase initiale des discussions, mais l’enjeu de la négociation en cours n’en reste pas moins important pour nos industries. Ne renonçons pas à nos ambitions en voulant conclure trop vite ! C’est ce qui est ressorti du séminaire organisé par le Medef le 19 avril et, pour l’éclairer, prenons un exemple concret, celui de l’industrie cosmétique que nous représentons.
Notre enjeu est géostratégique d’abord : l’Europe doit se mettre d’accord maintenant avec les Etats-Unis, son partenaire historique. Il s’agit de permettre la reconnaissance mutuelle des règles de mise sur le marché des produits, sans aucunement abaisser le niveau de protection des consommateurs ni mettre en danger l’environnement. Cela permettra aussi d’influencer les normes des pays émergents qui ne nous attendront pas pour structurer leur propre démarche réglementaire. Dans dix ans, il sera trop tard.
Enjeu de simplification ensuite, leader mondial de sa catégorie, l’industrie cosmétique travaille avec succès dans un cadre réglementaire européen qui est le plus protecteur du monde. Elle en a fait un avantage compétitif qu’elle n’a pas l’intention de perdre. Et pourtant, elle soutient fortement le chapitre cosmétique de la négociation parce qu’elle représente plus de 4.500 entreprises, dont 350 en France, en très grande majorité des PME qui n’ont ni la taille ni l’expertise technique, ni les moyens financiers de se lancer dans l’aventure de l’exportation vers le continent nord-américain, s’il faut le faire avec des produits différents.
Le TTIP n’est pas un cadeau aux grands groupes, il est d’abord destiné à faciliter la vie des PME. Nos grands groupes, eux, sont, depuis longtemps, européens en Europe et américains aux Etats-Unis pour ce qui touche aux produits qu’ils commercialisent. Ils en ont les moyens humains, logistiques, techniques et financiers.
Pour être plus concrets encore, prenons quelques exemples sur lesquels l’industrie américaine et l’industrie européenne se sont mises d’accord :
– L’étiquetage des ingrédients sur les produits est régi en Europe par une nomenclature harmonisée qui permet d’en indiquer la liste en latin. Aux Etats-Unis, il existe une réglementation similaire, mais certains ingrédients ont des noms différents. C’est le cas des noms triviaux comme par exemple celui de l’ingrédient « eau » communément présent dans de nombreux produits. En Europe, on le désigne par « aqua », aux Etats-Unis par « water ». Mais même si ce dernier pays accepte que l’on écrive « aqua/water » sur les étiquettes, la question n’est pas réglée pour autant car le Canada, qui accepte le mot unique « aqua », demande alors, pour des raisons de bilinguisme, de rajouter le mot « eau ». Et on rate ainsi l’objectif de désignation mondiale unique de l’ingrédient par le seul nom commun « aqua », avec pour conséquence des coûts importants de double emballage ou de surétiquetage. Nous demandons l’adoption de la nomenclature européenne par les Etats-Unis pour les noms triviaux. L’industrie américaine en est d’accord.
– Les bonnes pratiques de fabrication sont un must de chaque côté de l’Atlantique. Elles évitent les doubles contrôles, générateurs de perte de temps et de coûts supplémentaires. En cosmétique, c’est la norme ISO 22716 qui est notre référence en Europe. Nous demandons son adoption par les Etats-Unis. L’industrie américaine la demande aussi.
– L’Europe est pionnière dans le développement des méthodes alternatives aux tests sur animaux. Depuis 2013, il n’est plus possible de mettre sur le marché européen des produits cosmétiques, d’où qu’ils viennent, qui contiendraient des ingrédients qui utiliseraient des données de sécurité provenant de tests sur animaux pour leur seul usage en cosmétique. Mais les méthodes alternatives qui existent en Europe doivent être validées. Nous demandons que la FDA américaine le fasse. L’industrie américaine y est favorable.
– Pour le reste, nos demandes ne portent que sur le développement de l’échange de données entre nos autorités réglementaires et d’amélioration du dialogue existant. L’industrie américaine nous soutient.
Qui donc, parmi ceux qui nous lisent, se sent encore menacé par les demandes que nous formulons ? Le moment n’est-il pas venu de cesser de lancer des anathèmes. L’industrie cosmétique, aussi bien en France qu’au niveau européen, est favorable à l’insertion d’un chapitre cosmétique dans le TTIP et l’assume. Il en va de la pérennité du succès de nos entreprises de toutes tailles qui sont aujourd’hui ensemble leader mondial et qui entendent bien le rester.