Michèle Grégoire
Professeur à l’Université Libre de Bruxelles et avocate
Pour avancer en terres inconnues, il est nécessaire de s’orienter à l’aide d’outils et d’instruments de mesure fiables. Cette réalité concrète s’observe également dans le domaine abstrait du droit. Les règles juridiques servent de balises, de plans et de boussole. Loin d’entraver l’initiative, elles l’accompagnent et font progresser les projets vers leur maturité et leur accomplissement. L’entrepreneuriat a besoin du droit pour exister. Sans encadrement, les énergies se perdent et les aspirations personnelles ou collectives se dissipent dans l’inconsistance. Les juristes sont des empêcheurs de tourner en rond. C’est un compliment.
Dans un monde instable et même généralement hostile, l’Europe demeure probablement la seule promesse crédible de progrès et d’apaisement. Ses apports sont considérables. Ils sont encore trop souvent ignorés.
Pour que le droit remplisse son rôle, il doit s’offrir avec aisance à ceux et celles auxquels il est destiné. La règle de droit doit être claire, lisible, prévisible et stable. À travers le temps et l’espace, toute œuvre de codification tend vers cet idéal. La grande majorité des États européens en ont fait l’expérience. Rassembler, rationaliser, organiser et simplifier une constellation de règles éparses pour les rendre disponibles et opératoires à l’aide d’une somme logique et structurée fait partie de la culture juridique fondamentale de l’Europe continentale.
L’Europe s’est résolument engagée sur la voie de la croissance éthique, où elle fait figure d’éclaireuse. Ce mouvement soulève l’enthousiasme, à juste titre. Pour apporter, à leur niveau, leur pierre à l’édifice européen, l’association Capitant et la Fondation pour le droit continental ont rassemblé, autour d’une même ambition, des spécialistes du droit des affaires, scientifiques et praticiens, originaires de nombreux États membres, formés aux techniques du droit comparé.
La première étape de leur programme a consisté à établir un état des lieux pour cerner l’influence du droit européen en matière économique. L’enseignement de cette démarche préliminaire restait jusque-là inaperçu ou, à tout le moins, inexprimé: entre la fluidité des marchés financiers, la loyauté de la concurrence entre grandes entreprises, d’une part, et la protection du consommateur, d’autre part, ces deux extrêmes étant saisis par une dense régulation impérative, un énorme champ intermédiaire, non défriché, demeure parcellisé et cependant infranchissable sans efforts ou risques démesurés. Il s’agit du domaine fertile des petites et moyennes entreprises. Celles-ci représentent pourtant le cœur vivace de l’économie européenne. Libérer de telles énergies créatives, pour l’heure, contenues, contraintes, étouffées, conduirait immédiatement à diffuser des moyens financiers fructueux et à partager des savoir-faire précieux, au plus grand bénéfice de tous les citoyens.
L’objectif réside dans la présentation d’une offre de Code européen des affaires, tirant parti des larges zones de convergence entre les différents systèmes juridiques en vigueur au sein des États membres, tout en arbitrant, par la raison et l’analyse économique du droit, les points de résistance à l’harmonisation, avec en point de mire une double intégration: territoriale et subjective.
L’intégration territoriale tend naturellement à ce que les initiatives entrepreneuriales puissent se déployer dans l’Europe entière sans surprise ou ralentissement inutile, grâce à un texte fondamental unique.
L’intégration subjective repose sur l’adoption radicale d’un point de vue dominant: celui de l’entreprise elle-même. Quels sont ses besoins ? Quelles sont ses attentes ? Quelles peuvent être ses craintes?
L’apport original et fondateur de cette méthode se traduit avant tout par une exigence de simplicité formelle. Les auteurs du Code européen des affaires ont conscience qu’il n’existe guère au sein de petites et moyennes entreprises de service juridique coûteux pouvant désamorcer les pièges d’une législation complexe et exagérément technique en appui de l’action. Les principes destinés à gouverner la mise en place et le développement des activités doivent donc être limpides.
Dans de nombreux cas, ils mettent à portée de main de l’entreprise des figures juridiques optionnelles, adaptées à la couverture, d’emblée ou en cours d’évolution du projet, de tout le territoire de l’Union.
Il s’agit, par exemple, de la Société Européenne Simplifiée (conçue comme une structure élémentaire, soumise à des règles propres et largement autosuffisantes, laissant un important espace à l’autonomie des volontés, tout en prenant en compte, en opérant la synthèse, les intérêts des parties prenantes et de la collectivité), du prêt européen, des instruments financiers européens, de l’euro-cautionnement, de l’euro-gage ou de l’euro-hypothèque, entre autres.
Le Code européen des affaires comporte douze livres, parcourant toute la trajectoire d’une activité économique privée, à l’aide de principes directeurs, issus de la distillation des droits nationaux qui viennent s’y fondre, de sorte que chaque juriste national pourra y retrouver la trace essentielle de son droit particulier, ajusté à tous les autres, avec lesquels il se trouve en fraternité intellectuelle.
L’adoption du Code européen des affaires sous forme de règlement s’inscrira parfaitement dans les compétences de l’Union européenne, dès lors que son but et son effet touchent à l’élimination des obstacles à l’unification du marché intérieur ; elle ne peut heurter les principes de subsidiarité et de proportionnalité, puisqu’aucun État membre ne se retrouve en position, seul, de promulguer un texte ayant vocation à s’appliquer à tous.
La France et l’Allemagne, par la constitution d’une assemblée parlementaire commune, élaborent d’ores et déjà un droit unifié des affaires. Cette approche se place au service d’un développement volontariste d’une Europe juridique pour tous. À l’aide d’un seul Code pour un avenir commun.