CONSOMMATEURS – Le pouvoir d’achat des européens pris en étau entre crise énergétique et transition verte : éléments de solution

Monique Goyens

Directrice générale du Bureau européen des unions de consommateurs

L’inflation sature l’espace médiatique depuis des semaines: l’explosion des prix de l’énergie mène l’Europe, et surtout ses citoyens, vers une hausse générale du coût de la vie et exerce une pression énorme sur notre pouvoir d’achat. Cette hausse frappe au plus fort les ménages les plus précarisés, mais touche également, de manière de plus en plus significative, les classes moyennes. Cela représente non seulement, un drame individuel pour les personnes touchées, mais aussi, un défi énorme pour la stabilité de l’économie européenne, voire mondiale.

Il est donc urgent de prendre les mesures qui permettent de répondre à ces tendances et de promouvoir la résilience de notre système économique. Le défi majeur consiste en la nécessité de faire correspondre, le plus rapidement possible, notre modèle économique avec les exigences de la lutte contre le changement climatique et la protection de notre environnement de manière plus générale (ressources aquatiques, biodiversité, bien-être animal). Mais aussi, de le faire dans un esprit de justice sociale qui donne les moyens à tous de s’engager dans la transition.

Face à l’envolée des prix de l’énergie, les responsables politiques européens ont déployé un arsenal de mesures pour protéger les consommateurs des effets immédiats de l’inflation. En matière d’économie d’énergie, des recommandations sont faites quotidiennement aux consommateurs : diminuer la vitesse sur l’autoroute, baisser son thermostat de quelques degrés, prendre des douches plus courtes, faire sécher son linge à l’air libre, installer des panneaux photovoltaïques, passer à la voiture électrique. Parfois, ces recommandations sont assorties d’aides financières.

Ces initiatives sont certes louables mais elles font reposer la responsabilité de la transition sur les épaules du consommateur. Or, le chemin de ce dernier est semé d’embûches: surinformation, conseil biaisé, manque de moyens financiers, tracasseries administratives, manque de main-d’œuvre qualifiée, complexité des processus de rénovation… Pour surmonter ces obstacles, il est crucial que la solution de consommation durable soit la plus abordable, facile à identifier, et attrayante.

Face à l’urgence et à la taille du défi à surmonter, il est essentiel de repenser, avec rapidité et courage, notre système économique. Il faut offrir aux consommateurs un environnement réglementaire, social et économique, mais aussi les infrastructures, qui permettent effectivement l’adoption massive – et consensuelle – de modes de vie plus durables, car plus attrayants, car plus abordables, car faciles à mettre en œuvre.

Les solutions sont nombreuses. En un court article, je ne peux prétendre à l’exhaustivité mais seulement présenter certaines mesures sectorielles qui, à la fois sont «structurelles» et ont été prises, ou sont à l’agenda des décideurs au niveau européen.

  • Nos logements: le ticket d’entrée d’une rénovation « globale », permettant de réduire drastiquement la consommation énergétique d’un logement, est trop onéreux pour une majorité de consommateurs. Les subventions publiques doivent donc, en priorité, viser les foyers les plus vulnérables en accélérant par exemple la rénovation des logements sociaux. Afin d’atteindre nos objectifs, il nous faut cependant aller au-delà du seul financement public. Le secteur financier privé doit ainsi être mis davantage à contribution, si nécessaire avec l’appui de l’État en tant que «financeur de dernier ressort» au travers de formules comme les prêts garantis par l’État. Les secteurs bancaire et énergétique doivent aussi innover en proposant de nouveaux types d’instruments financiers, tels que les «on-bill schemes» – utilisés aux États-Unis et au Canada depuis des années – et qui permettent aux consommateurs de rembourser les travaux de rénovation de leur logement au travers de leur facture d’électricité ou au moment de la revente de leur logement.

 

  • Notre mobilité: l’électrification de l’industrie automobile avance à grands pas et l’UE vient de prendre la décision historique d’interdire les ventes de véhicules essence et diesel à partir de 2035. Pour les consommateurs, c’est une excellente nouvelle. À l’usage, les voitures électriques coûtent nettement moins cher que les voitures thermiques. L’augmentation rapide des ventes de véhicules électriques signifie aussi que ces modèles atteindront les consommateurs plus modestes sur le marché de l’occasion dans les années à venir. Il nous faut cependant également promouvoir les alternatives à la voiture individuelle, en rendant, par exemple, le transport ferroviaire et multimodal plus attractif pour les voyageurs. Réserver des billets de train ne doit plus être un casse-tête et les passagers doivent être mieux protégés en cas de retard ou annulation de train, sujets qui sont à l’ordre du jour de la Commission européenne pour l’année prochaine.

 

  • Notre assiette: Il nous faut manger moins de viande et plus de fruits et légumes (pour des raisons environnementales et de santé) : plutôt que d’en faire une expédition punitive qui hérisse les mangeurs de viande, pourquoi ne pas appliquer une TVA zéro% pour les fruits et légumes? Mettre en avant systématiquement des plats végétariens dans les cantines scolaires et professionnelles? Transférer les subsides actuels pour la promotion de la viande vers celle des fruits et légumes? Revoir nos modèles et politiques agricoles pour réorienter les productions vers plus de végétal? Ce ne sont que quelques exemples pour inspirer la Commission européenne, qui planche sur une proposition pour rendre notre système alimentaire plus durable. Quoi qu’il en soit, pour que pareil changement de système soit soutenu par la population, et pour prévenir des mouvements « Gilets jaunes», il est essentiel qu’il soit sous-tendu par une politique sociale ambitieuse, de discrimination positive à l’égard des moins nantis.

La situation actuelle est une illustration évidente des coûts liés à l’inaction climatique. Les adversaires d’un agenda climatique ambitieux se présentent souvent comme des acteurs «raisonnables» qui mettent en garde contre le coût exorbitant de mesures «trop radicales». La crise actuelle prouve exactement l’inverse: c’est notre dépendance aux énergies fossiles, l’organisation actuelle de nos modes de vie et notre pusillanimité face aux actions structurelles qui font que les consommateurs (et parmi eux, surtout les classes moyennes et les plus vulnérables) souffrent face à des chocs extérieurs tels que la guerre en Ukraine. Sans même mentionner les désastres climatiques dont on commence à avoir un aperçu de plus en plus édifiant…

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