Synthèse : 16 propositions pour mettre fin à la précarité énergétique dans l’Union européenne

Dix étudiants du master 2 Europe de Sciences Po Strasbourg, sous l’encadrement de Michel Derdevet et secondé par Thomas Dorget et Pierre Fouquet, ont rédigé un rapport et émis 16 propositions afin de mettre fin à la précarité énergétique au sein de l’UE.

Dans cette synthèse, Theo Giubilei, Claire Péage et Lucas le Loup reviennent sur les points forts et propositions concrètes de ce rapport.

Le 24 février 2022, la Russie a envahi l’Ukraine. Ce tournant politique pour l’Europe n’est pas seulement un défi militaire, mais aussi un défi social et écologique. Cette crise intensifie la précarité énergétique et la rend de plus en plus visible. Les prix de l’énergie, en forte hausse depuis l’été 2021 en raison de la pandémie et de ses conséquences, augmentent depuis le début de la guerre à des niveaux sans précédent. Cette flambée des prix exacerbe la difficulté pour les ménages les plus pauvres de garder leur logement à une température adéquate ou d’utiliser leur véhicule pour se rendre au travail. La précarité énergétique est un problème prégnant au sein de l’Union européenne : entre 50 et 125 millions de personnes n’ont pas les moyens d’assurer un confort thermique intérieur correct ; la combattre aurait dû être depuis longtemps une priorité sociale, mais aussi un moteur pour la transition écologique.

Dans ce contexte, la précarité énergétique est plus que jamais au centre du débat dans l’Union européenne. Ce rapport a été réalisé avant le début de la guerre. Les 16 propositions mentionnées ci-dessous sont le résultat du travail de dix étudiants du Master en Études européennes et internationales de Sciences Po Strasbourg, en partenariat avec le Think Tank Confrontation Europe ; la réflexion est basée sur des recherches académiques et des entretiens avec des experts du secteur de l’énergie, des scientifiques et des politiques de différents États membres.

Bien que la précarité énergétique soit un problème très répandu dans l’UE, elle reste difficile à définir et à mesurer. Les chiffres recueillis par l’Observatoire européen de la précarité énergétique (UE-OPE) montrent la diversité des situations dans les États membres.

État-membre Incapacité de maintenir la maison suffisamment chaude Part des revenus consacrée à l’énergie Faible consommation d’énergie absolue
Bulgarie 33,7%

(2018)

11,5%

(2015)

9,4%

(2015)

Luxembourg 2,1%

(2018)

11,3%

(2015)

8,9%

(2015)

France 5%

(2018)

15%

(2015)

19,5%

(2015)

Danemark 3%

(2018)

17,9%

(2010)

13%

(2010)

UE 7,3% 16,5% 16%

 

Si la précarité énergétique peut sembler de prime abord simple à identifier à travers ces quelques indicateurs nationaux, il s’agit en réalité d’un problème plus complexe. En effet, ce tableau cache une diversité de situations nationales, parfois des disparités au sein même des pays, rendant la comparaison et l’analyse épineuses. De plus, les données disponibles sont le résultat du travail d’institutions nationales qui n’ont pas les mêmes capacités de collecte ou les mêmes approches du concept. En Europe, la précarité énergétique n’est pas considérée comme une question technique, mais comme un problème socio-économique. Certains pays de l’UE n’appréhendent pas la précarité énergétique comme un problème à part entière, mais l’utilisent comme un paramètre de la précarité dans sa définition large.  La France, l’Espagne et la Slovaquie font partie des rares États ayant reconnu officiellement la précarité énergétique et défini ses contours. Nous pouvons distinguer trois causes principales de la précarité énergétique : un coût élevé de l’énergie, des revenus faibles et un bâtiment peu efficace.

Le premier constat de ce rapport est l’absence d’une définition et d’indicateurs européens communs. Malgré l’utilisation par l’UE-OPE de deux indicateurs basés sur les dépenses visant à révéler « les situations dans lesquelles la consommation d’énergie constitue un poids insupportable pour les ménages », l’harmonisation européenne de ces données n’en est qu’à ses balbutiements et n’est effectuée qu’une fois tous les cinq ans par Eurostat.

Comme la précarité énergétique demeure une question transversale, différents leviers sont envisageables pour la combattre. Tout d’abord, l’indépendance européenne pour sa production ou pour des taxations plus justes contribuerait à réduire le coût de l’énergie pour les ménages précaires (I). En revanche, la rénovation thermique (II) ou les politiques sociales (III) pourraient cibler spécifiquement ces populations. La définition de la précarité énergétique ne doit cependant pas se limiter aux bâtiments et au système de chauffage et de refroidissement étant donné que les citoyens européens utilisent  des hydrocarbures dans leurs déplacements quotidiens (IV). Afin de construire une réponse cohérente, une gouvernance horizontale doit être privilégiée, car chaque pays, région, ville ou quartier est singulier (V). Ce rapport a l’ambition d’étudier la précarité énergétique en tant que problème multidimensionnel et propose quelques solutions pour les décideurs européens.

Partie I. Mettre fin à la précarité énergétique en réduisant le coût de l’énergie

Depuis les origines de l’intégration européenne, les États membres de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (1951) coopèrent en matière de production, d’approvisionnement et d’investissement dans le secteur de l’énergie. Au fil des années, les compétences de l’UE se sont élargies, notamment dans les années 1990 avec la mise en place du marché intérieur de l’énergie, puis par la création de l’Agence européenne de coopération des régulateurs de l’énergie en 2011. Les objectifs affichés sont d’assurer la sécurité d’approvisionnement, de favoriser l’interconnexion des réseaux, de garantir le fonctionnement du marché de l’énergie, tout en maintenant un coût supportable pour les ménages et les entreprises et en répondant aux enjeux de la transition écologique. En cette période de crise, les citoyens attendent une réponse forte de l’UE, notamment pour réduire le prix de l’énergie, qui dépend du coût des matières premières, de la distribution et des taxes.

L’UE reste dépendante aux énergies fossiles qui représentaient 68,4 % de son mix énergétique en 2020. Les États membres, disposant sur leur territoire de faibles ressources en énergies fossiles, dépendent donc de pays tiers. L’UE a ainsi importé 61 % de son énergie en 2019, notamment de la Russie pour le gaz. Ces questions de dépendance sont donc au cœur des débats actuels.

Afin de renforcer le rôle des énergies renouvelables et d’atteindre l’autonomie européenne, la Commission européenne a revu son objectif de porter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen à 40% d’ici 2030 dans le Fit for 55 présenté en juillet 2020, un véritable défi pour certains pays européens.
→ Proposition 1 : Accélérer radicalement l’installation de capacités renouvelables sur le territoire européen pour être moins dépendant des énergies fossiles et du gaz.

Afin d’encourager le développement des énergies renouvelables, les États membres peuvent utiliser des leviers fiscaux, puisqu’ils disposent d’une flexibilité dans la taxation de l’énergie. Cependant, cette fiscalité peut être source d’inégalités. Par exemple, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est appliquée de manière identique à tous les ménages, sans tenir compte de leurs revenus et représente environ 20% du coût de l’énergie. Face à la hausse des prix de l’énergie ces derniers mois, certains pays ont choisi de réduire les taxes, notamment Malte, l’Espagne et l’Italie.
→ Proposition 2 : Réduire le prix de l’énergie pour les ménages les plus précaires en introduisant une progressivité de la fiscalité au niveau européen et en réduisant les taxes sur les énergies renouvelables.

 

Partie II. Mettre fin à la précarité énergétique par la rénovation thermique des bâtiments

Selon la Commission européenne, les bâtiments sont responsables de 40 % de la consommation finale d’énergie et de 36 % des émissions de gaz à effet de serre dans l’UE. La rénovation thermique des bâtiments existants pourrait réduire la consommation totale d’énergie de l’UE de 5 à 6 % et les émissions de dioxyde de carbone d’environ 5 % d’ici à 2030. Alors que moins de 1 % du parc immobilier national est rénové chaque année, le taux de rénovation actuel devrait être au moins doublé pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. L’action européenne en matière de précarité énergétique se concentre principalement sur l’efficacité énergétique, par le biais des directives 2010/31/UE et 2012/27/UE. Dans le cadre du Green Deal, la Commission a fixé un objectif de réduction de la consommation d’énergie d’au moins 32,5 % d’ici 2030, notamment par la refonte de la directive sur l’efficacité énergétique (COM 558 final) présentée dans le Fit for 55 et la directive sur la performance énergétique des bâtiments (COM 802 final).

Entre autres, la Commission propose qu’à partir de 2030 (2027 dans le secteur public), tous les bâtiments neufs soient à émissions nulles. Des normes européennes minimales de performance énergétique devront être calculées et harmonisées dans l’Union. Ces mesures devraient rendre impossible la location de logements collectifs et individuels qui ne respectent pas les normes européennes et inciter les propriétaires à rénover leurs biens. Cependant, les locataires ne devraient pas supporter la charge de ces travaux. Pour contrer cet effet pervers, certains instituts proposent d’intégrer un volet climatique dans l’aide au logement des plus précaires, sur le modèle du Klimazuschuss mis en place à Berlin. Par ailleurs, l’exclusion progressive de la location et de la vente de biens immobiliers devrait être mise en œuvre selon un calendrier précis et différencié en fonction des États membres et de leurs capacités.
→ Proposition 3 : Soutenir la mise en place de normes minimales ambitieuses d’efficacité énergétique et interdire la location et la vente de logements énergivores.

La rénovation thermique se caractérise par son coût massif. Les aides mises en place par les États membres visent principalement les petits travaux ou installations et manquent d’une vision globale de la rénovation. En effet, ces aides ne prennent pas toujours en compte les spécificités des ménages : la conditionnalité des ressources et la dégressivité de la prise en charge des travaux de rénovation sont essentielles pour une transition équitable. En Allemagne, des prêts allant jusqu’à 120 000 € peuvent être remboursés en 30 ans grâce à la banque publique d’investissement Kreditanstalt für Wiederaufbau, qui prête 50 % de ses fonds aux banques commerciales allemandes pour des projets de transition énergétique. Ces banques peuvent donc accorder des prêts aux particuliers et être garanties à 100% par le gouvernement fédéral si leur projet remplit les conditions d’efficacité énergétique. Néanmoins, ces prêts bancaires, qui par ailleurs impliquent un engagement à long terme, ne sont souvent pas une priorité pour les ménages les plus précaires.
→ Proposition 4 : Mettre en place des mesures permettant de couvrir le coût total d’un travail complet de rénovation énergétique pour les ménages à faibles revenus.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime qu’une transition vers la neutralité carbone d’ici 2050 nécessiterait de porter les investissements énergétiques mondiaux à au moins 2 % du PIB en 2030. Pour financer ces investissements, un emprunt commun permettrait de lever des fonds importants grâce à la confiance du secteur bancaire dans l’UE. Toutefois, de nombreux « pays  frugaux » sont réticents à cette idée. Une réforme des règles budgétaires européennes, désormais inévitable, pourrait exclure du calcul le déficit public des États membres dû aux dépenses publiques nécessaires aux investissements dans la transition écologique.
→ Proposition 5 : Réformer les règles budgétaires pour permettre aux États membres de consacrer 2% de leur PIB aux investissements dans la transition écologique.

Les acteurs privés représentent des leviers d’action potentiellement puissants en matière de rénovation thermique. Par exemple, certaines entreprises proposent de financer l’intégralité des travaux de rénovation et sont remboursées chaque mois en fonction des économies d’énergie réalisées. L’UE peut stimuler ces partenariats, notamment via la Banque européenne d’investissement, et encourager les investissements des régions.
→ Proposition 6 : Encourager les partenariats avec le secteur privé par le biais d’investissements publics et de fonds européens (tels que le FEDER, la BEI) et les réglementer.

L’accès aux droits sociaux reste un problème majeur. Malgré l’existence de nombreux programmes, les procédures administratives et la succession de guichets découragent certains ménages, notamment les plus précaires. Ainsi, les mécanismes d’aides bénéficient principalement aux personnes les moins vulnérables.
→ Proposition 7 : Améliorer l’accompagnement des ménages vulnérables en créant des guichets uniques dotés de moyens humains et financiers plus importants.

L’impact de la précarité énergétique sur la santé

La santé est très rarement considérée comme un indicateur de la précarité énergétique. Pourtant, l’amélioration de l’efficacité énergétique des logements permet de lutter contre de nombreuses maladies. Au-delà des conséquences individuelles inquiétantes, il y a un coût notable pour les systèmes de santé. Selon une étude publiée en 2016 par Eurofound (fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail), le logement « inadéquat » coûterait à l’UE près de 194 milliards d’euros par an. Des politiques publiques efficaces dans ce domaine pourraient donc conduire à une réduction des risques et des coûts pour les individus concernés et, plus généralement, pour la société dans son ensemble. La santé est donc un indicateur à prendre en compte dans les négociations sur l’efficacité énergétique et la performance énergétique des bâtiments.

 

Partie III. Mettre fin à la précarité énergétique par des mesures sociales efficaces

Si la précarité énergétique n’est pas strictement corrélée aux ressources, elle touche principalement les ménages à faibles revenus. Ces derniers, étant plus susceptibles de vivre dans des logements peu performants, voient leurs dépenses énergétiques augmenter, comprimant leur budget et leur capacité à investir.

Le règlement relatif au Fonds social pour le climat (FSC) proposé dans le cadre du programme Fit for 55 tente de répondre à l’impact social que l’extension du système d’échange de quotas d’émission (SEQE 2) aura sur les ménages. Alors que les prix de l’énergie ont déjà fortement augmenté suite à la Covid-19 et la guerre en Ukraine, le montant prévu par le FSC est loin de répondre aux besoins. Le prix de nombreux produits sera affecté et représentera une perte générale de pouvoir d’achat pour les ménages. De plus, le calendrier de mise en œuvre du FSC proposé par la Commission ne permettra pas de réaliser les investissements nécessaires avant l’entrée en vigueur du SEQE 2. En l’état, le FSC n’est pas un outil efficace pour contribuer à la lutte contre la précarité énergétique.
→ Proposition 8 : Repousser l’entrée en vigueur du SEQE 2 et augmenter le montant du Fonds social pour le climat en le finançant par le SEQE 1, afin de promouvoir une transition juste.

De nombreux États membres ont mis en place une palette de mesures pour soutenir les ménages les plus vulnérables de différentes manières selon le contexte national. Les mesures sociales visant à lutter contre la précarité énergétique représentent 60 % des mesures mises en place par les États membres et constituent donc l’axe principal. Un exemple concret de mesure réussie est le « tarif social de l’énergie » portugais : ce mécanisme de reversement permet à la fois de soutenir les citoyens les plus vulnérables et, par son automaticité, de répondre à la problématique du non-recours aux droits et de la fracture numérique.
→ Proposition 9 : Automatiser les tarifs sociaux et les bons d’achat pour les ménages vulnérables afin de simplifier l’accès aux droits sociaux.

Le caractère conjoncturel et palliatif des politiques sociales de lutte contre la précarité énergétique reste leur principal défaut. Les tarifs sociaux de l’énergie et les chèques énergie ne sont pas actualisés et tiennent rarement compte de l’évolution des prix de l’énergie et du pouvoir d’achat des ménages.
→ Proposition 10 : Indexer annuellement le montant de l’aide au paiement des factures sur l’inflation.

 

Partie IV. Mettre fin à la précarité énergétique dans le secteur des mobilités

Souvent oubliée de la définition de la précarité énergétique, la dimension mobilité est pourtant cruciale ; elle doit être prise en compte dans les politiques qui visent à y mettre fin. Parfois appelée « précarité énergétique combinée » (c’est-à-dire que le logement et la mobilité sont intégrés dans la réflexion), elle décrit une situation où l’énergie utilisée pour la mobilité (principalement les énergies fossiles) constitue un poids pour les ménages. Elle concerne surtout les ménages vivant en zone périurbaine — renforcée par le phénomène de périurbanisation — qui ont besoin de leur voiture dans le cadre professionnel ou scolaire. Afin d’être en mesure de mettre fin à cette dimension de la précarité énergétique, les institutions doivent pouvoir la mesurer et donc avoir à leur disposition des indicateurs.
→ Proposition 11 : Inclure des indicateurs qui mesurent la précarité énergétique dans sa dimension mobilité au niveau européen.

Il est impossible de lutter contre la précarité énergétique due à la mobilité des citoyens sans développer d’autres moyens de transport que la voiture, notamment les transports publics. Différentes méthodes ont été mises en place dans les pays de l’UE ; parmi elles, le « ticket climat » autrichien (KlimaTicket Ö) lancé en octobre 2021. Ce ticket permet à chaque citoyen d’emprunter l’ensemble des transports publics du pays pour un prix annuel compris entre 821 et 1 095 €, selon la situation du citoyen. Ce dispositif pourrait être généralisé. Par ailleurs, la création de tarifs sociaux associés à ces tickets pourrait constituer une option permettant de les rendre abordables pour les ménages en situation de précarité énergétique, les tickets existants en Allemagne (4 000€ pour la BahnCard 100) ou en Suisse (3 860 CHF pour l’Abonnement général) étant aujourd’hui clairement trop chers pour être massivement adoptés et efficaces.
→ Proposition 12 : Mettre en place un « ticket climat » européen et des « tickets climat » nationaux avec un tarif social d’ici 2028.

La mise en place de ces tickets climats doit alors s’accompagner du développement d’une infrastructure adaptée pour faciliter l’accès aux transports publics. En conséquence, il semble fondamental d’augmenter le montant du Fonds européen de développement régional (FEDER) et d’en consacrer 50 milliards par an jusqu’à 2030 pour le développement d’alternatives à la voiture, en ciblant les zones géographiques les plus sujettes à la précarité énergétique dans sa dimension mobilité. Nous recommandons également d’établir une clé de répartition basée en partie sur le niveau de difficulté d’accès aux transports publics, qui devrait être actualisée pour être la plus pertinente possible. Elle devrait s’appuyer sur un ciblage le plus fin possible des zones géographiques où la précarité énergétique est élevée.
→ Proposition 13 : Relever le Fonds européen de développement régional et consacrer 50 milliards chaque année jusqu’en 2030 aux solutions de mobilité alternative, en ciblant les zones géographiques où la dimension mobilité de la précarité énergétique est élevée.

 

Partie V. Mettre fin à la précarité énergétique en renforçant l’approche de la gouvernance multiniveaux

Les autorités locales et régionales perçoivent les besoins et les difficultés des citoyens, souvent mieux que les autorités nationales. Ainsi, l’amélioration de la lutte contre la précarité énergétique au niveau de l’UE ne devrait pas se limiter au niveau des États. Dans son avis intitulé « Gouvernance multiniveaux et coopération intersectorielle pour lutter contre la précarité énergétique » (novembre 2019), le Comité européen des régions a souligné les avantages  des politiques de gestion de la précarité énergétique pour les autorités locales et régionales. Cette approche locale permet une action plus adaptée aux enjeux de chaque territoire, favorisant « l’efficacité énergétique, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’amélioration de la santé des citoyens, l’inclusion sociale et la protection sociale et donc la qualité de vie des citoyens dans des conditions durables ». Une telle action des autorités locales et régionales peut être facilitée par deux canaux principaux : l’accès à l’information et l’accès au financement.

L’existence de réseaux qui facilitent le partage des bonnes pratiques est une ressource primordiale. Ces réseaux comprennent la Convention des maires, EnergyCities et Eurocities. Toutefois, en ce qui concerne la Convention des maires, il est nécessaire de combler les lacunes existantes en matière de coordination et de renforcer la présence de ces réseaux au niveau local ; permettant ainsi aux autorités locales d’élargir leur champ d’action.
→ Proposition 14 : Augmenter le nombre de coordinateurs de la Convention des Maires, en particulier dans les pays d’Europe centrale et orientale, afin d’améliorer l’accès à l’information et aux financements et de faciliter l’échange de bonnes pratiques entre les collectivités locales européennes.

À cette fin, leurs instruments juridiques et financiers doivent également être renforcés. Le paquet Fit for 55 pourrait être l’occasion d’initier la mise en œuvre de telles mesures. En particulier, une part du Fonds social pour le climat devrait aller directement aux autorités locales afin qu’elles puissent mettre en œuvre des mesures efficaces et les mieux adaptées à la situation locale (par exemple, la rénovation des logements publics et sociaux, l’accessibilité financière des transports publics locaux).
→ Proposition 15 : Repenser le modèle du Fonds social climat en reprenant, par exemple, le modèle du Fonds pour la transition juste, basé sur l’idée d’un soutien direct aux territoires.

Cette appropriation décentralisée est également nécessaire pour lutter contre les inégalités au sein d’un État membre. Les indicateurs utilisés au niveau européen se limitent à des moyennes nationales. Or, la prise en compte des disparités entre les différentes zones géographiques, notamment à travers la directive sur l’efficacité énergétique, est essentielle pour une approche appropriée et efficace du problème.
→ Proposition 16 : Mettre en œuvre des politiques publiques pour soutenir les autorités locales dans la mise en place de plans locaux et le développement de méthodes de ciblage de la précarité énergétique plus adaptées à la situation du territoire.

 

Conclusion

Compte tenu des visions diverses entre les États membres dans la compréhension de la précarité énergétique et dans les approches choisies pour la combattre, il nous a semblé nécessaire de proposer la définition européenne multidimensionnelle suivante de la précarité énergétique :

 «La situation dans laquelle un ménage ou un individu n’a pas les moyens de s’offrir les services énergétiques de base (chauffage, refroidissement, éclairage, mobilité et électricité) qui lui assurent un niveau de vie décent, en raison de la combinaison d’un faible revenu, de dépenses énergétiques élevées, d’une faible efficacité énergétique du logement et d’une captivité à la voiture privée comme mode de transport pour les activités essentielles. »

Cette définition, une fois opérationnalisée par la Commission, pourrait permettre d’effectuer une évaluation complète de la situation dans chaque État membre de l’UE et, au sein de ces États, d’affiner l’analyse des zones les plus touchées pour y concentrer les efforts.

Comme nous l’avons vu, les causes de la précarité énergétique sont multiples et nous sommes convaincus qu’une approche basée sur une seule des dimensions identifiées dans ce rapport ne sera pas suffisante pour éradiquer le phénomène. La lutte contre la précarité énergétique doit être reconnue comme une question multidimensionnelle, qui ne peut être abordée sans une plus grande inclusion de tous les niveaux de gouvernance.

Nous pensons que le programme Fit for 55 est un levier majeur pour renforcer et coordonner l’action locale pour lutter contre la précarité énergétique au niveau communautaire. Une pluralité d’instruments de politique publique devrait être mise en œuvre, intégrant de manière complémentaire les différentes facettes du problème et ne se focalisant pas uniquement sur la dimension sociale ou celle du logement, le plus souvent retenues par les gouvernements nationaux et les institutions européennes.

Ainsi, il nous semble essentiel de reprendre chacune des mesures que nous avons listées au fil de ces pages. Ces solutions ne sont pas exhaustives et méritent sans doute d’être complétées et approfondies. Si elles étaient généralisées à l’ensemble de l’Union européenne, elles contribueraient grandement à mettre fin à la précarité énergétique en Europe d’ici 2030, et offriraient un éventail de mesures pour permettre à l’Union de s’affirmer comme le modèle en matière de transition juste.

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