Vulnérabilité, soutenabilité et gestion des risques pour une économie durable

Ghislaine Hierso, Administratrice et Secrétaire du bureau de Confrontations Europe, et Yves Bernheim, Administrateur de Confrontations Europe

Notre réaction dans un premier temps peut être l’accablement suite à tant de rendez-vous manqués. Les opportunités oubliées renvoient à des décennies d’inaction. En effet, le « rapport Meadows » a 50 ans. Sa réédition, publiée le 3 mars, reste critique : notre monde basé sur la seule croissance court à sa perte. L’effondrement est une réalité, précise Dennis Meadows, coauteur du texte. Pour lui « vivre avec moins » est primordial.

Pourtant, les idées du rapport de 1972, « Les limites à la croissance », plus connu sous le nom de « Rapport Meadows », ou « Rapport du Club de Rome » n’ont pas été reprises, ou très peu, par les responsables politiques à l’échelle mondiale. Elles démontraient pour la première fois que l’économie ne pouvait continuer à croître indéfiniment dans un monde fini.

En 1972, ce rapport prévenait pourtant les gouvernements qu’ils devaient s’organiser pour éviter un déclin non contrôlé du bien-être humain. Sa réédition de 1992 montrait que l’humanité avait déjà dépassé les limites de la planète. Trente ans plus tard, est-il trop tard ?

Le déclin touchera plus particulièrement les personnes les plus vulnérables et des régions déjà défavorisées, avec une dégradation progressive des ressources naturelles, une pollution des eaux, une accumulation des déchets notamment plastiques et des migrations importantes…

Face à ces urgences, la prise de conscience de la dimension globale et interdépendante des atteintes à l’environnement et de son lien avec toutes les dimensions économiques, sanitaires et sociales, a conduit à l’élaboration de nombreuses conventions internationales. La Commission européenne a ainsi élaboré un Pacte vert et les grands rendez-vous internationaux tels que les COP (Conférences des Parties) tentent d’instaurer des mesures à l’échelle planétaire. Mais, pour protéger de manière effective notre planète, prévenir et sanctionner les atteintes socio-environnementales, il est indispensable de former et coordonner les acteurs de toutes les chaînes industrielles.

Au-delà des professionnels, un travail de sensibilisation et de promotion d’accès et de droit aux informations environnementales, comme le prévoit la convention d’Aarhus, est également nécessaire pour que les citoyens, citoyennes et les organisations de la société civile, s’emparent de ces enjeux (cf. les conférences de consensus ou les conventions citoyennes). Comment la coopération internationale peut-elle œuvrer à la structuration d’une politique environnementale durable ?

Début 2022, des négociations multilatérales se sont ainsi déroulées pendant plusieurs semaines sur l’environnement : Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (28 février-2 mars), futur traité sur la protection de la biodiversité en haute mer (7-18 mars), cadre mondial pour la biodiversité pour l’après 2020 (14-29 mars). Parallèlement, le 24 février, l’armée russe envahissait l’Ukraine, une guerre condamnée par la majorité des pays représentés à l’ONU, un acte unilatéral constituant une remise en cause majeure de l’ordre international, sans oublier les nombreux faits de guerre en Afghanistan, Syrie, Érythrée, Mali, Yémen…

À quelques mois de la commémoration des 50 ans de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm en 1972, comment interpréter le paradoxe de la tenue de ces négociations, lentes, ardues, porteuses à la fois de nouveaux engagements de coopération et de nouveaux blocages, au moment où la rivalité entre grandes puissances se traduit en affrontement militaire ? N’oublions pas qu’en septembre 2015, les Nations Unies s’accordaient sur des objectifs communs (les 17 ODD). « L’Agenda 2030 » pour le développement durable off re également une occasion de tracer un avenir plus inclusif et durable dans lequel personne ne serait laissé pour compte. Les nouvelles négociations environnementales de la 5e session de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement ont vu des propositions clés, soutenues notamment par l’Union européenne, et validées dans un calendrier accéléré : un nouveau traité international sur les plastiques et un équivalent du GIEC pour les produits chimiques, les pollutions et les déchets, devront être négociés avant 2024. Ces délais paraissent très courts, au vu de la lenteur légendaire des négociations internationales.

La reconnaissance par l’ensemble des pays comme troisième crise liée au climat et à la biodiversité, de la crise des pollutions, notamment des pollutions chimiques, dommageable directement à la santé humaine ainsi qu’à celle des écosystèmes, devrait être à nouveau soulignée lors de la réunion de l’ONU « Stockholm+50 » début juin, et figure également au cœur des objectifs du Pacte vert européen. Certains acteurs de la société civile, et notamment la jeunesse, doutent des réels impacts des engagements internationaux sur les transformations socio-économiques et de leurs impacts sur un environnement plus sain. Les sommets de la « parole » et du « bla-bla ».

L’année 2023 sera aussi un moment clé, tant pour l’accord de Paris sur le climat que pour les objectifs de développement durable (ODD) (2015-2030) qui arrivent à mi-parcours. Les objectifs définis ne seront pas atteints sans des transformations notables de nos modes de vie vers plus de sobriété (« sufficiency »), évolutions inséparables des améliorations technologiques ; plus d’efficacité d’usage des ressources (« efficiency ») ; et des modes de consommation et de production responsables (ODD 12).

La mise en place de politiques ambitieuses pour le climat et la biodiversité montre bien que les résistances rencontrées sont d’ordre écosystémique : les enjeux sociaux de la transition climatique ne se résument pas à un modèle technico- financier relativement simple mais mettent en jeu des projets profonds de transformation de l’économie de régions entières.

Pour réussir ces transformations socio-écologiques, il faudra tenir compte des inégalités économiques, sociales et environnementales qui touchent les populations les plus vulnérables.

Pour léguer à nos enfants une planète vivable il faudra savoir régler en même temps la fin du mois et la fin du monde. Est-ce possible ? Oui. Est-ce facile ? Non. Alors tous ensemble, au travail !

Sources :

– Dennis Meadows : « Le déclin de notre civilisation est inévitable », Reporterre, 3 mars 2022

– Dennis Meadows : « Il faut mettre fin à la croissance incontrôlée, le cancer de la société », Le Monde, 8 avril 2022

– Myanmar : hausse de près de 65.000 personnes déplacées internes en un mois, ONU Info, 20 avril 2022

– Première Conférence des Parties de l’Accord d’Escazú : le défi de sa mise en œuvre, IDDRI, 21 avril 2022

– Rapport du Giec sur l’atténuation du changement climatique : éléments pour une action climatique renforcée, IDDRI, 04/04/2022

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