Edouard-François de Lencquesaing, Trésorier et Conseiller Financer de Confrontations Europe
Notre culture court-termiste nous fait prendre les évènements dans leur immédiateté, oubliant le passé et négligeant le futur. Notre époque est marquée par des évènements et défi s d’une brutalité inouïe pouvant provoquer des chocs existentiels. Trois crises en cours mettent en jeu l’avenir de la planète : la pandémie, presque déjà oubliée, la guerre russo-ukrainienne, qui après une phase de sidération rentre dans la normalité des crises, et enfin la sortie des taux négatifs par une inflation attendue mais dont l’ampleur surprend. Trois crises dans un contexte structurel de double révolution environnementale et digitale qui impactera comme jamais nos modes de vie, la valeur des biens et la structure des investissements. Les risques devant nous sont incommensurables et de nombreux experts sont démunis quant aux solutions à préconiser. La théorie est absente. Les outils s’adaptent par tâtonnement. Au-delà des stratégies politiques, la sortie positive de ces crises est entre les mains des intermédiaires fi nanciers (assureurs, banques, sociétés de gestion). En effet, leur mission essentielle consiste à structurer les financements pour diminuer les niveaux de risques qu’ils présentent pour les investisseurs finaux, en particulier les ménages, et pour optimiser la durée et les flux d’épargne vers les investissements nécessaires pour faire face à ces défis.
Dans ce contexte, la société civile et les entrepreneurs doivent plus que jamais, agir avec discernement et courage pour éviter toute erreur de pilotage. Mais ce ne sera pas suffisant. Une stratégie collective de gestion des risques est nécessaire. Risque veut dire : qui in fi ne assumera les pertes ?
Trois réponses possibles :
- Prise de risques par l’État : Le budget national assume le risque fi nancier, impliquant l’augmentation des déficits publics, déjà élevés en France. Toutefois, une telle option entraînerait également une restructuration courageuse de ces déficits par un freinage drastique des dépenses de fonctionnement et une gestion stratégique et patrimoniale des dépenses d’investissement dans le cadre d’engagements pluriannuels, accompagnés par des contrôles d’experts et rapports au Parlement.
- Prise de risques par les investisseurs et in fi ne les citoyens (épargnants) : C’est le développement si longtemps attendu du financement de l’économie par les marchés et le projet européen de l’Union des marchés de capitaux (UMC). Il est clair que la nature des financements nécessaires et leurs profils de risques impliquent une diversification des sources de financement. Celle-ci passera par la construction d’un écosystème complet du court au long terme, de l’institutionnel à l’individuel, fondée sur l’articulation entre une stratégie épargne / investissement et un marché des capitaux conséquent, de l’ordre de 50 % des besoins de financements.
- Prise de risques par les intermédiaires fi nanciers : bien entendu ces acteurs, dans leur fonction d’intermédiation entre court et long terme, entre dépôts et crédits, via les bilans bancaires ou d’investisseurs, via les bilans des assureurs, doivent prendre leurs responsabilités. Mais cela touche à la stratégie prudentielle de l’UE. Ainsi, il est clair pour la société que notre intérêt collectif est de minimiser les risques systémiques et donc les défauts possibles de ces institutions, dont par ailleurs la taille est facteur de succès et de compétitivité.
Cette équation est complexe. Il s’agit de trouver le bon équilibre entre ces trois réponses en couplant une double stratégie d’investissements de long terme et de gestion des risques. L’investissement de long terme doit passer par une recherche pertinente de son ciblage via la mesure des externalités et faire prendre par les institutions publiques, les risques dont la quantification rentrerait mal dans les modèles financiers classiques. En ce qui concerne les intermédiaires il faut ajuster au mieux les « matelas » de couverture de risques, et notamment les capitaux prudentiels. La régulation doit en effet s’intégrer dans une réelle vision stratégique. Par exemple, en ce qui concerne les assurances, « Solvency 2 » défi nit des besoins de capitaux autour de 250 % des risques. 160 % est jugé un minimum. L’écart est le sujet. Dans son analyse des termes de la révision de cette directive, la Commission semble prendre en compte cette dimension. C’est capital et de bon augure. Il en va de même en ce qui concerne la transposition européenne de Bâle III/IV. L’UE est certes en retard, mais elle est néanmoins en avance par rapport à ses partenaires occidentaux… Montrons donc l’exemple !
Pour cela, il serait intéressant de s’inspirer des initiatives du Trésor américain en 2017. Faire une revue stratégique de notre corps de régulation fi nancière sous ce double prisme financement / risque, en restant ambitieux sur chacun de ces angles d’analyse : sortir des crises par le haut sans compromission sur les risques. Une Europe protectrice et responsable!