PLAN DE RELANCE – La relance européenne post covid face aux transitions et la précarité sociale

Par Dominique Perrut, Dr ès Sciences Économiques,  chercheur indépendant

Face à la pandémie, l’Europe a  su prendre des mesures énergiques et faire de la double transition  le moteur de son redressement économique. Après avoir identifié les trois défis que doit aujourd’hui affronter le continent, nous les discuterons, puis formulerons les priorités à retenir par la Présidence française du Conseil de l’UE.

L’Union face aux défis de la convergence et de la précarisation sociale

La pandémie a creusé les divergences entre les  économies,  en  défaveur  des  pays  du  Sud.  En  conséquence,  les  vigoureuses  mesures  de  relance  des  États  se  sont  traduites,  dans  ces  pays, par de fortes hausses des déficits et des dettes publiques. Si ces interventions ont permis un  quasi-maintien  de  l’emploi,  elles  n’ont  pas  empêché la dégradation de la situation sociale, où les jeunes sont parfois frappés par des taux de chômage de plus de 30 %.

Déterminée, la réponse européenne face à la récession a pris quatre formes : les mesures anti-crise ; le Plan de relance (Next Generation UE)   ; le Budget européen (2021-2027) ; à l’intérieur de celui-ci, le Plan d’investissement (Inves-tEU). Au total, l’intervention publique de l’Union atteindra environ 2.800 Mds€ et 24 % du PIB de l’Europe.

L’Union doit aujourd’hui affronter trois dé-fis  : – tout d’abord, relancer et faire converger les économies ; mener, ensuite, la double transition, climatique et numérique ; répondre, enfin, tant au dumping social qu’à l’exclusion sociale. 

La transition climatique et l’impératif social 

Questions sur la stratégie de l’Union pour la  transition  environnementale.  La  stratégie  pour le financement de la transition climatique conçue par l’Europe, comme par les institutions internationales, vise à obtenir, à partir d’une impulsion publique limitée, des effets d’entraînement  très  importants,  faisant  intervenir  des  partenariats public-privé. La canalisation de l’investissement en direction des besoins de la transition, estimés entre 500 Mds€ et 1 000 Mds€ par  an  pour  l’Union,  suppose,  outre  une  telle  initiative publique, la mise en place d’un cadre réglementaire  incitatif  pour  l’investissement  durable. La stratégie européenne pour la transition se déploie ainsi selon trois axes :  

L’instauration d’un cadre réglementaire pour la finance durable,  comportant  trois  volets  :  une taxonomie des activités durables ; une obligation d’informer pour les entreprises ; une  panoplie  d’outils  pour  l’investissement  durable. 

  • Le développement de l’Union des marchés des  capitaux,  avec  deux  plans  d’action,  en  2015 et en 2020, pour permettre la circulation de  l’épargne  et  de  l’investissement  au  sein  d’un marché véritablement unique. 
  • L’investissement  public  dans  l’Union, dont  une  proportion  d’un  tiers,  soit  environ  800 Mds€ par an entre 2021 et 2027, sera consacrée à la transition climatique

Ce programme d’ensemble est ambitieux mais soulève néanmoins des questions. Les trois séries de mesures de ce projet suffisent-elles pour construire une politique industrielle cohérente pour la transition ? Pour répondre à cette question, il conviendrait d’évaluer, notamment : la capacité du capital investissement européen à répondre aux besoins de financement de l’in-novation ; la disponibilité ou non d’outils suffisants pour protéger les investissements transfrontaliers contre le risque-pays dans la zone euro.

Combattre  tant  le  dumping  social  que  l’exclusion.  Les  phénomènes  de  pauvreté  et  d’exclusion au sein de l’Union risquent fort de s’aggraver, sous l’effet des divergences persistantes  dans  les  économies  nationales,  ainsi  qu’en raison des effets de la mondialisation. La double transition elle-même, exercera des pressions contre les catégories sociales les plus vulnérables, en raison des politiques fiscales et réglementaires qui comporteront des taxes écologiques sur l’énergie, des normes de performances  sur  les  véhicules,  ou  encore  des  révisions du prix du carbone.

La situation de vulnérabilité qu’affronte aujourd’hui une part importante de la population  européenne  s’inscrit  en  contradiction  flagrante tant avec les valeurs de l’Union qu’avec ses objectifs affirmés dans les traités. L’exigence éthique,  la  raison  politique,  et  également  le  raisonnement économique, obligent à affronter ce fossé béant entre principes et réalités.

Longtemps,  l’Europe  s’est  occupée  de  garantir un cadre supra national favorable à la croissance, principalement par le jeu du marché unique. En retour la charge de la répartition des richesses et des opportunités, y compris dans le domaine social, incombait aux États membres. Au fil du temps, cependant, des attributions sociales  ont  été  dévolues  à  l’Union,  dans  de  nombreux domaines.

La  politique  du  marché  unique,  conduite  par l’Europe, a ouvert le continent à la mondialisation. De même, des décisions majeures concernant  l’environnement  sont  prises  par  l’Union. Ces politiques ne vont pas sans conséquences sociales. L’Europe ne peut donc laisser aux États membres tout le poids de la gestion des effets sociaux qui en découlent.

Proclamé  en  2017  par  l’Union,  le  Socle  européen des droits sociaux apparaît désormais comme le fondement de la politique sociale  européenne.  Ce  document  poursuit,  à  notre avis, deux objectifs bien distincts : d’une part, éviter le dumping social au sein du marché unique (chapitres 1 et 2) ; d’autre part, com-battre la pauvreté et l’exclusion (chapitre 3). Cependant, pour contrer la paupérisation dans l’Union, l’agenda social européen ne présente guère de mesures fortes. Cette lacune doit être comblée.

Promouvoir la convergence économique, réussir les transitions et l’inclusion sociale

Au démarrage de la Présidence française du Conseil de l’UE, des actions pourraient être envisagées face aux trois défis évoqués plus haut   : renforcer la gouvernance économique ; consolider le cadre en vue de la transition climatique ; combattre le dumping social et l’exclusion.

Renforcer la gouvernance économique et consolider l’euro.

Une rare fenêtre d’opportunité se présente aujourd’hui pour modifier les règles de la gouvernance. Trois actions sont à envisager. 

  • Simplifier le Pacte de stabilité et de croissance  en  retenant  seulement  deux  indicateurs clés : une règle d’évolution des dépenses publiques courantes, en fonction du PIB, et un ratio de plafonnement de la dette publique. L’investissement public doit par ailleurs être exclu du calcul budgétaire. 
  • Créer  sans  délai  un  poste  de  Ministre  de  l’Économie et des Finances de la zone euro. 
  • Relancer la question du budget pour stabiliser la zone euro. Deux propositions seraient à examiner : un budget de stabilisation automatique des investissements publics en cas de récession d’un pays ; un outil d’assurance chômage, à partir de la pérennisation du système SURE.

Consolider  le  dispositif  de  la  transition  environnementale.

La  réforme  proposée  pour  le  Système  d’échange de quotas d’émissions (SEQE), en complément du Mécanisme d’ajustement car-bone aux frontières, devrait être réexaminée afin   : d’asseoir les recettes du nouveau Fonds social pour le climat sur l’ensemble du SEQE et non sur sa seule extension ; de limiter les conséquences sociales de cette extension.

Par ailleurs, le financement de l’innovation de rupture est un enjeu central pour la transition. Dès lors, il s’agirait d’apprécier : la situation du capital-investissement européen face aux be-soins  de  financement  liés  aux  mutations  en  cours    ; la disponibilité d’outils de garantie contre le risque-pays dans le cadre d’investissements transfrontaliers.

Combattre  le  dumping  social  et  l’exclusion. Trois séries d’actions sont à envisager à ce titre. 

  • Concrétiser l’agenda « anti-dumping social »en cours : en poussant à l’adoption rapide de la directive de 2020, « Des salaires minimaux adéquats »  ; et en entamant rapidement l’exa-men du projet tout récent sur l’encadrement des conditions de travail sur les plateformes numériques.  
  • Prendre des initiatives phares contre l’exclusion.  Une  décision  marquante  sur  le  revenu  minimum devrait être proposée au lieu de la simple  recommandation  envisagée  par  la  Commission. D’autres initiatives devraient être prises contre certaines autres formes de précarité  sociale  (précarité  énergétique,  sans-abrisme, manque d’accès aux services essentiels). 
  • Intégrer la dimension sociale dans toutes les politiques de l’Union. Il s’agirait ici d’adopter un principe selon lequel toute nouvelle pro-position législative devrait inclure une étude d’impact  social  faisant  référence  au  Socle  européen des droits sociaux. Cette réforme trouve son fondement dans les traités.

En réponse au choc brutal né de la pandémie, l’Union a su lancer une ambitieuse politique de redressement, largement axée sur la transition climatique. La France, dans le cadre de sa Présidence de l’Union, peut conforter ce mouvement  en  prenant  des  initiatives  dans  trois  directions : la réforme de la gouvernance économique afin de résorber la fracture économique au sein de la zone euro ; la mise à niveau du financement de l’innovation avec les enjeux des transitions climatique et numérique ; la définition, dans le domaine social, d’une poli-tique, aujourd’hui largement absente, d’éradication de l’exclusion. 

L’Union doit prendre fermement en charge la question sociale pour des raisons éthiques, car il s’agit de ses valeurs fondatrices ; pour des raisons politiques, car le projet européen ne peut se poursuivre sans cohésion sociale ; et aussi pour des raisons économiques, car le développement du capital humain est un facteur de croissance.

(1) Cet article résume les principaux points de l’étude réalisée par l’auteur pour Confrontations Europe :   «  La relance européenne post-Covid face aux enjeux des transitions et de l’équité », décembre 2021. On pourra s’y reporter pour plus de précisions. 

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