FINANCER LA TRANSITION ENVIRONNEMENTALE – Du « Brown » au « Green »: Les chemins feront la différence !

Par Édouard-François de Lencquesaing, Trésorier et Conseiller finance de Confrontations Europe

Oui, le consensus sur les risques climatiques se confirme. 

Oui, la COP26 est un succès, les objectifs se  rapprochent  de  2100  à  2050  et  2030  et  se  concrétisent en passant de degrés à des quantités d’émission de carbone. 

Oui, l’Europe a pris un leadership en définissant la frontière entre le bien et le mal : la taxonomie green. 

Oui la finance, dans sa double dimension d’investisseurs et de financeurs par le crédit a été mise dans un rôle moteur pour inciter à la transformation de la société. Mais malgré la très grande  complexité  du  modèle  de  pilotage  proposé par l’Europe (taxonomie), le plus dur reste à faire : il faut passer de la définition de la destination (ce qui est politiquement correct) à l’identification des chemins optimum pour l’at-teindre (ce qui peut être politiquement incorrect, les principes de réalité pouvant s’opposer aux vœux pieux). En effet l’arbre vertueux peut cacher la forêt dont le vert reste en devenir.

Le concept de label « vert   » peut se com-prendre pour donner une visibilité aux activités/actifs qui ont atteint la cible ou qui font partie de cette cible. La corrélation pour les banques entre les décisions de crédits et les acteurs bénéficiaires  de  ces  crédits  peut  aussi  paraitre  ver-tueuse.  Mais  cela  ne  représente  qu’une  partie  infime de l’économie et des acteurs du monde de l’entreprise, dont les PME.

Quand on évalue que l’effort de transition devrait passer de 2 à plus de 4 % du PIB, soit en Europe de l’ordre de 2 000 milliards par an, il est évident  que  cet  investissement  ne  sera  pas  concentré que sur les activités vertueuses, mais aussi, sur les autres dites « brown », plus de 90  % de l’économie.

Il faudra donc changer de braquet et se concentrer sur les activités non vertes… y com-pris, par exemple, le financement de la sortie de l’Allemagne du charbon alors qu’une nouvelle centrale (plus vertueuse que les autres !) a été inaugurée  en  2020.  Pour  cela  retrouvons  une  stratégie  positive  par  l’inclusion  et  non  l’exclusion. Affrontons le « brown     » de face (taxonomie «  brown     »  ?). Pour cela deux approches : reconnaitre le prix du temps, valoriser des trajectoires.

Le temps est en fait le grand absent. Pour certains,  «  prendre  du  temps  »  serait  s’évader  des responsabilités environnementales. Non, le temps est de prendre ses responsabilités en  minimisant  les  ruptures  et  les  fractures  sociales  qui  en  seraient  les  conséquences.  Aller  trop vite peut alors devenir plus dommageable que le risque climatique lui-même. Par exemple, pour  un  verrier,  le  passage  des  fours  du  gaz  à  l’électricité a pu demander 10 ans de R&D et peut être 15 à 20 de migration.

Oui, la priorité doit être une réflexion responsable sur les trajectoires, entrer dans une véritable stratégie industrielle en discussion approfondie avec les entreprises, trop absentes des débats. Le débat porte plus sur les mesures, ce qui est essentiel (normes ESG extra-financières, reporting CSRD) que sur les stratégies, les trajectoires avec leurs étapes contrôlables et  les  corrélations  avec  leurs  financements.  Evidemment  les  mots  «  transitions  »  sont  évoqués mais pas suffisamment articulés dans une réelle  déclinaison  top  down  entre  la  stratégie  d’ensemble (Europe / France) et son application micro-économique, via les chaines de valeurs.

Mais le climat n’est pas le seul défi de notre temps. Limiter l’ESG à cette dimension est très réducteur. Pour affronter cette double révolution environnementale et numérique, il faut affronter en  même  temps  une  révolution  sociétale.  L’Europe s’est déjà dotée d’un modèle original et équilibré : une économie sociale de marché. Elle est appelée à aller plus loin, vers un « capitalisme responsable ». L’ESG est le passage des «  shareholders  aux  stakeholders  »,  de  l’actionnariat aux parties prenantes… dans un environnement qui restera compétitif donc qui rejette une certaine naïveté. Il s’agit en effet de rester dans une dynamique de croissance et de création de valeur… en redéfinissant la notion de valeur, incluant les externalités négatives. L’efficacité  de  l’économie  reste  conditionnée  par  l’optimisation des facteurs de production capital/travail et cette efficacité doit se mesurer. Jusqu’ici,  le  plus  simple  était  donc  le  seul  indicateur financier basé sur la comptabilité. La  transition  ESG  implique  alors  des  mesures  complémentaires, « l’extra-financier » dont on peut  saisir  immédiatement  la  complexité  et  les enjeux structurels.

Dans cette mutation, à l’évidence le rôle de la finance, entre les entrepreneurs (créateurs de valeurs) et épargnants/investisseurs est clef. Elle n’est plus « l’ennemi ». Mais le risque serait de lui donner le rôle de gendarme de la vertu, lui  sous-traiter  une  stratégie  collective  pour  contraindre « l’économie réelle ». Les enjeux de cette transition sociétale, impliquée par l’ESG, sont  d’une  extraordinaire  complexité  et  c’est  cette  économie  réelle  qui  doit  l’affronter  et  trouver, à force de tâtonnement, le bon chemin car une grande partie des solutions reste inconnue. Plusieurs choix de société peuvent conditionner  ce  succès  :  croire  en  la  croissance,  en  l’innovation, en la responsabilité des acteurs. Cela implique le renforcement de la chaine de confiance entre régulateurs, investisseurs, financiers et entrepreneurs. Pour relever ce défi, une place plus grande doit être donnée aux entre-prises  pour  pénétrer  de  manière  plus  réaliste  leurs enjeux stratégiques et la définition des trajectoires vertueuses et assumer le temps qu’il faudra pour passer du « brown     » au vert. Le rôle de l’intermédiaire financier restera vertueux à travers  la  compréhension  «  intime  »  de  cette  stratégie et de la nature des besoins de financement tout au long de ces trajectoires. Dans ce cadre, un autre défi : la comparabilité et la labellisation des financements par rapport à une trajectoire collective. Certes, il faut des mesures, mais «    l’illusion scientifique » et son confort peut masquer la réalité, c’est-à-dire la diversité des modèles, des chemins, des priorités. Face à la complexité  des  cheminements  et  des  paris,  l’intermédiation financière doit éviter la facilité de l’uniformisation mais au contraire faciliter le face-à-face de l’entrepreneur et du financeur par rapport à leur compréhension convergente des « missions », du « sens », des priorités environnementales (pas que climatiques), matérialisée par un système de mesures compréhensibles. Tout ne sera pas comparable mais au moins une compréhension bilatérale des priorités entre l’investisseur, le gérant de fonds et l’entreprise formera une chaine de responsabilités « bottom up  »  qui  aura  une  chance  de  converger  vers  une vision plus « top down ». Le cœur de cette chaine sera conditionné par un certain degré de confiance mutuelle entre les parties concernées.

Enfin, dernier défi : la confusion entre chemin vertueux et risque. En effet les enjeux environnementaux sont facteurs avérés de risques. Le superviseur a une double mission, celle de contrôler que le chemin ESG est engagé et véritable et celle d’évaluer que les nouveaux risques encourus sont bien couverts. Le risque est de confondre ces missions et faire des stress tests  climatiques,  par  exemple,  l’expression  d’une stratégie ESG, d’où le discours ambigu sur un supposé « green » facteur pour alléger la charge de capitaux prudentiels. Il y a bien deux approches  disjointes  face  à  un  portefeuille  d’activités « brown » : évaluer la corrélation entre financement et trajectoire et évaluer les risques financiers (désinvestissements des actifs non amortis in  fine) et physiques de trajectoires défectueuses.

Pour simplifier la complexité, il ne s’agit donc pas de la consolider. Assumer la diversité en  retrouvant  la  confiance  entre  les  acteurs  est  peut  être  un  chemin  vertueux  vers  le  capitalisme responsable, clef de la mutation sociétale  engagée.  Le  système  de  valeurs  historique  de  l’Europe  est  un  atout  pour  atteindre Net Zero… et plus en 2050.

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