Sans-abrisme en Europe, quelles solutions en 2024-2025 ?

Par Lotfi OUANEZAR
Directeur Général d’EMMAÜS Solidarité
« Solidarité inconditionnelle depuis plus de 70 ans »

Vous avez dit sans abri en Europe ? Au cœur des cités européennes, là où les lumières de la modernité scintillent, se cachent des ombres dont peu osent parler. Ces ombres sont le triste reflet d’une réalité sourde et douloureuse : la grande exclusion. Dans cette Europe des richesses, des patrimoines culturels et des avancées technologiques, comment expliquer que des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vivent à l’écart, relégués à la marge d’une société effrénées ? A l’heure où les nouvelles technologies avancent à grands pas et où le progrès semble irréversible, la grande exclusion nous interroge sur nos valeurs fondamentales. Comment une société comme « l’Europe » peut-elle s’élever en ignorant la souffrance d’une partie de sa population ? La fragmentation sociale se creuse, tandis que ceux qui détiennent le pouvoir et de l’argent semblent se détourner des réalités de ceux qui luttent pour survivre. 
 
Une population équivalente à Marseille ou Turin 

895 000 personnes sans abri en Europe. Ce chiffre édifiant a été révélé dans le 8ème rapport sur le mal-logement en Europe, réalisé par la Fondation Abbé Pierre et la Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans- Abri (FEANTSA). Bien qu’estimative, cette donnée « atteste de l’incapacité des pays européens à faire du logement un droit fondamental ». 
Le texte met en évidence une situation à la fois « alarmante et pourtant pas nouvelle » : l’Europe est en effet confrontée depuis plusieurs années à des problèmes de logement marqués par une augmentation significative du prix des loyers (près de 20 % en moyenne depuis 2012). Paradoxalement, en dix ans, les dépenses publiques consacrées au logement ont été largement réduites (10 % en France par rapport au PIB, 21 % en Italie et jusqu’à 45 % en Pologne) et la construction de logements sociaux est en constante baisse. 
 
Une situation exacerbée par les hausses du chômage et de la pauvreté

Depuis les crises du Covid et la guerre en Ukraine, des taux d’inflation inédits en Europe sur les denrées alimentaires ou l’énergie impactent plus que jamais les ménages aux revenus les plus bas. De fait, la bascule vers la rue est de plus en plus sensible pour ceux qui parvenaient jusque-là à se maintenir dans leurs logements. Les associations de solidarité apparaissent comme le dernier filet de sécurité pour ces personnes précaires de plus en plus nombreuses. Désormais, ce ne sont pas les fins du mois qui sont difficiles mais bien les débuts de mois y compris pour des personnes qui travaillent.  
 
Des solutions globales pour un accompagnement personnalisé 

Les causes du sans-abrisme sont souvent multiples et cumulatives, conduisant à non pas « un public sans abri » mais bien à « des publics » aux visages variés. Ainsi, l’homme isolé, figure emblématique du sans-abrisme, est désormais rejoint par des personnes vieillissantes aux faibles retraites, des familles aux revenus inconstants ou insuffisants, des personnes malades renonçant à leurs soins. Cette multiplicité de profils, mais aussi de problématiques qui les accompagnent, conduit les équipes d’Emmaüs Solidarité à innover en permanence afin de proposer un accueil digne et un accompagnement global à chacun à travers ses dispositifs (accueils de jour, maraudes, centres d’hébergement, haltes de nuit, chantiers d’insertion, etc.). Nous avons le devoir d’imaginer des solutions pour permettre aux personnes aux ressources limitées et particulièrement isolées d’accéder à un logement (les pensions de famille), de proposer un toit digne à des familles, des femmes sortant de maternité mais aussi des personnes qui subissent l’exclusion sociale ou familiale (les centres d’hébergement). Inconditionnelle, notre aide s’adresse à toute personne qui en manifeste le besoin. Une société ne peut abandonner quelqu’un. C’est l’idéal porté par nos équipes, salariées et bénévoles. 
Aujourd’hui des solutions existent : ne pas stigmatiser et changer le regard, se doter d’une politique de prévention ambitieuse, mettre en place un plan et avoir une vision politique portée des hommes et des femmes qui incarnent des valeurs. Consacrer des budgets à la hauteur des enjeux, construire et bâtir du logement à coût abordable pour les faibles revenus, s’appuyer sur les connaissance et l’inventivité des associations/ONG et sur le travail social. 
 
La mobilisation pour les exilés  

Dès janvier 2017, Emmaüs Solidarité ouvre le centre d’hébergement d’urgence d’Ivry (avec le soutien de la ville de Paris, de la ville d’Ivry et de l’État) pour des familles primo arrivantes ayant fui la guerre. Il dispose de 450 places : 400 places sont à destination de personnes demandeuses d’asile et primo arrivantes sur le territoire français et 50 places sont réservées à un public intracommunautaire de l’Union Européenne issu de squats et bidonvilles (Emmaüs Solidarité dispose par ailleurs d’une maraude dédiée au public intracommunautaire vivants en squats ou dans des bidonvilles). Centre exemplaire et unique, il propose, de surcroît, un centre de santé géré par le Samu social de Paris ainsi qu’une école de la République.  
En plus de piloter ce dispositif à destination d’un public venu chercher refuge en France, Emmaüs Solidarité a, entre 2022 et 2023, comme de nombreuses autres associations françaises et européennes, participé à l’accueil de nombreux Ukrainiens. L’association a ainsi pris en charge plus de 7000 personnes provenant d’Ukraine, grâce aussi à la mobilisation de l’ensemble des acteurs (Etat, Villes et collectivités, collectivités entreprises et citoyens). Cette mobilisation unique fait désormais office de modèle qu’il serait bénéfique de dupliquer.  
 
Les mouvements migratoires une réalité impossible à occulter  

Le continent européen doit rester fidèle à son histoire ; une terre d’accueil, d’humanité et de solidarité. Les migrations sont souvent évoquées à l’échelle nationale ou européenne comme des « crises » or au regard des enjeux à venir, notamment du vieillissement des populations, les mouvements de populations sont certes à analyser politiquement mais aussi étudiées d’une manière pragmatique et
économique. Les besoins de recrutement dans le secteur de l’aide à la personne, explosent (d’ici 2030, environ 800 000 postes seront à pourvoir) et les personnes aujourd’hui hébergées ou accompagnées pourraient, comme elles le font déjà (en Ile-de-France les travailleurs immigrés représentent 61% des salariés du secteur de l’aide à domicile), venir combler le manque criant de personnels.  
 
Comment modifier notre regard, mieux appréhender les mécanismes d’échec des politiques publiques, et apporter des solutions concrètes ?  

Cela passe par des prises en charge globales et efficaces pour inscrire les personnes dans un parcours de vie et d’insertion. Cela s’accompagne aussi, nécessairement, d’une politique de logement ambitieuse et de solutions durables à l’instar du logement d’abord. Le Danemark et la Finlande font figures de modèles sur le sujet, ces deux pays ayant réussi à réduire de façon significative le nombre de personnes sans-domicile. La Finlande a particulièrement investi pour lutter contre la grande exclusion : aides financières (allocation pour les personnes aux faibles ressources permettant de couvrir 80% de leur dépense locative), accompagnement, développement du parc locatif, et investissement dans les logements dédiés aux personnes sans-abri. Partager et diffuser ces bonnes pratiques, renforcer la politique du Logement d’abord font parties des solutions européennes à coconstruire !  
 
En définitive, la question des sans-abris est plus qu’un simple constat : c’est un appel à l’action, un appel à la responsabilité collective. Il est temps de redéfinir notre rapport à l’autre, de voir au-delà des préjugés et des stéréotypes. Seule une volonté commune de l’Europe permettra de ravauder un tissu social déchiré. En agissant avec bienveillance et compréhension de la situation actuelle, nous pouvons/devons transformer l’indifférence en solidarité, et offrir à chacun et chacune une place digne dans la société européenne. Ainsi, peut-être que les ombres de l’exclusion laisseront peu à peu place à la lumière de l’espoir, et permettre à l’Europe de rester fidèles à ses valeurs pour continuer à écrire son histoire, humaine

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