Morgane GORET-LE GUEN et Michel CRUCIANI
Chargée de mission à Confrontations Europe
et conseiller Énergie & Climat pour Confrontations Europe
Soucieuse de rester exemplaire dans l’application de l’Accord de Paris, l’Union européenne va se doter d’une stratégie à long terme. La Commission a donné le coup d’envoi de cette démarche, en présentant un dossier très riche en données, qui ne préempte aucune orientation particulière mais invite à un débat de fond.
Dans son article 4, l’Accord de Paris invite les signataires à « formuler et communiquer des stratégies à long terme ». L’Union européenne envisage d’établir une stratégie à l’horizon 2050, et de la rendre publique en 2020. Dans ce but, la Commission a présenté le 28 novembre 2018 un ensemble de données susceptibles de nourrir les discussions dans les mois à venir, mais sans prendre position sur les orientations à privilégier.
Le texte, intitulé « Une planète propre pour tous », part du constat que les politiques publiques à l’œuvre ou prévues n’aboutiront qu’à une réduction d’environ 60 % des émissions de gaz à effet de serre pour toute l’UE d’ici 2050, loin de l’objectif de neutralité carbone préconisé par l’Accord de Paris à cette échéance. La Commission se borne ensuite à décrire une série de dispositions sectorielles qui permettraient d’atteindre ou dépasser 80 % de réduction selon leur degré de déploiement. Huit scénarios résument les trajectoires de décroissance des émissions en fonction d’hypothèses telles que la place accordée à l’électricité dans le bilan énergétique, le recours à l’hydrogène ou au gaz de synthèse, etc.
Le dossier de la Commission met en lumière plusieurs obstacles à surmonter. Citons en quatre :
- Une véritable neutralité suppose que l’UE n’émette plus du tout de gaz à effet de serre après 2050. Aucun scénario ne parvient à cette situation ; dans les plus ambitieux, la neutralité est obtenue grâce à la captation de volumes significatifs du CO2 présent dans l’atmosphère, en combinant nouvelles pratiques agricoles, reforestation à grande échelle et futurs outils technologiques dédiés. Mais personne ne peut garantir que ces technologies seront vraiment opérationnelles en 2050…
- Quasiment toutes les branches professionnelles et toutes les régions d’Europe vont être affectées, par des suppressions ou créations d’emplois, dans des proportions encore difficiles à évaluer ; de nouveaux métiers vont apparaître, dont certains n’existent pas aujourd’hui, ce qui rend difficile les actions de formation ou reconversion.
- Pour que l’industrie européenne préserve sa compétitivité dans une période où on lui imposera de se transformer, il conviendra de la protéger contre les pratiques commerciales déloyales, de caler le calendrier de fermeture des sites sur leur âge, d’encourager l’ouverture aux projets intersectoriels ou les partenariats entre les fournisseurs d’énergie et les installations industrielles… En bref, il faudrait dresser une feuille de route industrielle détaillée qui tolère quelques entorses à la politique de la concurrence universelle.
- Le secteur des services financiers sera appelé à se réformer. Il lui faudra à la fois intégrer des critères d’appréciation propres à éviter les coûts échoués dans ses placements conventionnels et se doter des compétences nécessaires pour financer au meilleur coût les technologies nouvelles. Les investissements appelés dans la transition énergétique seront considérables, et leur coût ne sera supportable qu’en équilibrant judicieusement le rôle du marché et une intervention publique orientée vers la réduction du risque.
Avec ce dossier à la fois très riche en informations et très ouvert sur les solutions, la Commission souhaite manifestement stimuler les débats. Ils se tiendront bien sûr au sein des institutions communautaires, avec un Conseil Européen dédié au sujet dès le 9 mai 2019, mais les instances officielles ne sauraient travailler en cénacle fermé : toute la société civile est invitée à participer à la réflexion. Chaque citoyen européen est concerné, depuis une approche à l’échelle du continent, sur la pertinence du système européen d’échange de quotas d’émission (ETS) ou le renforcement des interconnexions électriques par exemple, jusqu’à une interrogation individuelle, sur les conséquences climatiques de ses choix en matière de mobilité ou de régime alimentaire.
Confrontations Europe participera pleinement à ces débats. Plusieurs conférences et séminaires ouverts à tous ses membres aborderont diverses facettes du dossier tout au long du premier semestre 2019, avec notamment une conférence qui s’est tenue à Paris le 9 janvier visant à faire un « point zéro » sur les négociations climatiques internationales après la COP24, puis deux séminaires à Bruxelles sur le thème d’une transition énergétique socialement responsable.