Blanche Magarinos-Rey (1), Avocate spécialisée en droit de l’environnement français et européen
La vente de semences, une réglementation ancienne au sein de l’Union européenne.
La régulation sur les semences agricoles est née en France et a été reprise dans le corpus législatif européen dans les années 1960. L’objectif à l’époque était de transformer l’agriculture, dans le contexte post-Seconde Guerre mondiale, afin d’en augmenter les rendements sur le modèle américain. Cette transformation s’est notamment faite par le recours massif aux intrants chimiques, la planification, le remembrement des parcelles mais aussi par la transformation de l’offre en semences qui accompagnait ces changements. Par ailleurs, le nouveau modèle agricole européen devait aussi permettre une production standardisée correspondant aux besoins du développement de la grande distribution et du commerce international. Cette législation contraignante, qui organise la standardisation de l’off re agricole, ne s’est pas aperçue des effets d’appauvrissement de la diversité agricole et alimentaire qu’elle engendrait.
Elle impose en effet un régime d’autorisation préalable de mise sur le marché, comme il en existe pour les pesticides et les médicaments. Les semences, avant de pouvoir être vendues, doivent être homologuées au niveau des États et autorisées avant d’être inscrites dans un catalogue officiel. La somme des catalogues officiels nationaux constitue le catalogue européen des variétés autorisées à la commercialisation. La difficulté a été très rapidement de déterminer les critères d’homologation. Au début des années 1960, les ministères de l’Agriculture de quelques pays européens se sont mis d’accord pour élaborer un cadre juridique qui permettrait d’octroyer un droit de propriété intellectuelle sur un produit vivant, et donc par nature évolutif, que sont les variétés végétales. C’est ainsi qu’ont été posés les trois critères d’octroi du « droit d’obtention végétale », repris à l’identique pour les critères européens d’homologation au catalogue des semences autorisées à la vente :
- La distinction : la variété homologuée doit être distincte des variétés existantes ;
- L’homogénéité : tous les individus végétaux au sein d’une variété doivent être identiques ;
- La stabilité : la variété doit être stable dans le temps pour éviter une évolution de ces variétés.
Il faut démontrer la satisfaction de ces trois critères pour inscrire une variété au catalogue officiel, ce qui est particulièrement complexe dans le monde végétal qui est par nature évolutif et donc rarement tout à fait homogène ou tout à fait stable. Cette législation a eu pour résultat de pousser vers l’illégalité les variétés très diversifiées et évolutives, utilisées historiquement par les agriculteurs. Seules les variétés des semenciers protégées par un droit de propriété intellectuelle ont pu circuler sur le marché.
La société civile a décidé de s’investir dans ce champ pour réformer la régulation en vigueur
La communauté scientifique s’est aperçue des externalités négatives de cette législation dans les années 1990, pointant la disparition de milliers de semences qui n’étaient plus utilisées par les agriculteurs, l’appauvrissement nutritionnel des variétés en circulation sur le marché et le développement d’un modèle agricole trop industrialisé. Ces constats ont conduit certains acteurs de la société civile à développer leurs propres banques de semences alternatives, illégales et clandestines. Certains de ces acteurs ont été attaqués juridiquement par les États ou par l’industrie semencière pour non-respect de la réglementation en vigueur, comme l’association Kokopelli.
Suite à ces différents procès, nous avons souhaité faire avancer la législation au niveau européen pour permettre la coexistence d’un autre secteur semencier, plus informel, qui n’est pas basé sur les méthodes de l’agro-industrie. En 2014, la Commission européenne avait mis sur la table une première proposition qui allait dans ce sens mais qui s’est avérée décevante. Cette proposition a d’ailleurs été rejetée sans amendement par le Parlement européen.
Un nouveau véhicule législatif s’est présenté en 2018, concernant une révision du règlement européen sur la production et de l’étiquetage des produits biologiques. Nous avons profité de cette occasion pour proposer des dispositions qui permettent une ouverture de la commercialisation des semences alternatives dans le domaine du bio, laquelle a été adoptée par le Parlement européen. Cette action de lobbying d’intérêt général s’est également poursuivie lors de l’écriture des actes délégués.
Cette nouvelle réglementation permet de se défaire des critères d’homogénéité et de stabilité, ainsi que de l’obligation d’homologation au catalogue pour une catégorie particulière de semences biologiques : le « matériel hétérogène biologique ». C’est un immense pas en avant !
En parallèle, nous avons travaillé à l’échelle française pour débloquer la vente de semences pour tous les utilisateurs non-professionnels. Il est important de prolonger notre activité de lobbying européen au niveau des États membres : la Commission disposant seule du droit d’initiative législative, les véhicules législatifs que nous pouvons exploiter au niveau de l’UE sont rares. Par ailleurs, la France est le premier vendeur de semences en Europe et dispose de fleurons industriels dans ce domaine, il est donc particulièrement important de faire avancer la législation à cette échelle-là également.
Les prochaines évolutions réglementaires dans le secteur
L’enjeu aujourd’hui est la réforme de la législation européenne horizontale sur le commerce des semences, qui va être ré-ouverte en septembre 2022, après le premier rejet précité du Parlement européen en 2014. Cette réforme s’inscrit notamment dans l’ambition politique du « Green Deal », qui comprend des engagements sur la libéralisation du commerce des semences pour accompagner le développement d’une agriculture plus locale, moins gourmande en intrants. Notre objectif est de parvenir à l’autorisation de la commercialisation et de l’utilisation d’un matériel plus hétérogène, cette fois pour l’agriculture conventionnelle. Par ailleurs, nous souhaiterions inscrire dans la réglementation européenne la libéralisation de la vente des variétés appartenant au domaine public aux non-professionnels, comme cela a été fait en France. Ces objectifs sont fortement soutenus au Parlement européen, qui porte, mieux que les autres institutions peut-être, des ambitions environnementales européennes.
1 À la faveur d’un entretien organisé le 16 mai 2022, Blanche Magarinos-Rey, avocate spécialisée en droit de l’environnement français et européen, est revenue sur l’enjeu de la libéralisation du commerce des semences au sein de l’UE, un combat qui prend racine dans une réforme profonde du modèle agricole européen, au cœur des ambitions du Green Deal. Propos recueillis par Thomas Dorget.