Christophe Robert, Délégué général Fondation Abbé Pierre
Sarah Coupechoux, Responsable Europe Fondation Abbé Pierre
En 2020, la Commission européenne annonçait une « vague de rénovation » des logements. Seuls 1 % des bâtiments étaient alors rénovés chaque année en Europe. Pourtant, le parc immobilier représente aujourd’hui 36 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais cette transition ne pourra pas se faire sans tenir compte d’un contexte de crise du logement qui sévit depuis deux décennies sur le continent. Afin de ne pas renvoyer dos à dos, enjeux climatiques et sociaux, cette vague de rénovation doit donc veiller à préserver, voire produire davantage de logements abordables.
Entre 2010 et 2021, les prix des loyers et des biens immobiliers ont respectivement progressé de 16 % et de 34 % au sein de l’Union européenne ; des augmentations bien plus importantes que l’évolution des revenus des ménages.
Résultat : 10 % de la population et 38 % des ménages pauvres consacrent une part trop importante de leurs ressources aux dépenses liées au logement1. La part des charges n’est évidemment pas étrangère à cette dégradation du pouvoir d’achat des ménages avec une augmentation spectaculaire des coûts de l’énergie ces derniers mois.
C’est pourquoi l’Union doit faire en sorte qu’une vague de rénovation déferle le plus rapidement possible sur l’Europe, et prioritairement sur les logements énergivores occupés par des ménages modestes. Une telle dynamique permettra à la fois de préserver le climat et d’alléger le budget des Européens en limitant leur facture énergétique ; elle conduira également à améliorer sensiblement la santé des Européens, tout en faisant des économies importantes sur le système de soin des pays membres2.
Avec le paquet Climat « Fit for 55 », la Commission doit donc donner le « la » pour que soit déployée une politique ambitieuse du secteur : nouvelle législation prévoyant des obligations de rénover pour pousser dans des délais raisonnables les propriétaires à améliorer la performance énergétique de leurs biens ; priorité aux rénovations globales de façon à lutter efficacement contre la précarité énergétique ; incitations fi nancières et subventions pour les propriétaires les plus modestes ; accompagnement adapté à la réalisation des travaux et aides couvrant la totalité des dépenses pour les plus vulnérables…
Ces incitations doivent par ailleurs s’accompagner de protections pour les occupants qui ne sont pas propriétaires des logements qu’ils occupent. Environ un tiers des Européens sont locataires et cette part tend à augmenter. Dans certains pays, comme en Allemagne ou au Portugal, il a été observé des phénomènes de gentrification des quartiers ayant fait l’objet de rénovations : pour faire face aux dépenses engendrées par les travaux, et suite à la revalorisation de leurs biens, certains bailleurs appliquent des augmentations de loyers importantes ; sans protection des occupants, les immeubles sont parfois vidés, rénovés et reloués plus cher. L’Union doit donc inciter fortement les États membres à protéger les occupants des immeubles qui feront l’objet de rénovation en maintenant des loyers stables et en empêchant les expulsions lors des rénovations à venir.
C’est à ces différentes conditions que l’Union européenne pourra articuler de la façon la plus juste possible, transition énergétique et droit à un logement adéquat pour tous.
1 Le taux de surcharge des coûts du logement, ou taux d’effort excessif, est le fait de dépenser plus de 40 % de son revenu dans le logement selon Eurostat.
2 Les couts de santé du mal-logement (incluant la précarité énergétique) sont estimés à 930 millions d’euros par an de couts directs, et 20 milliards de couts indirects. Eurofound, Inadequate Housing in Europe : Costs and Consequences – 2016