Stéphane COSSÉ
Ancien senior economist au Fonds Monétaire International (FMI) et membre du conseil d’administration d’Europa Nova
« Il sera nécessaire d’avancer vers la mise en place d’un budget européen pour faciliter la convergence économique et de créer un Trésor européen pour émettre une dette partiellement commune ou au moins au départ gérer un instrument de dette composite. »
Le Président de la Commission européenne dans son discours sur l’Etat de l’Union a-t-il raison sur la réforme de la zone euro ? Pour Jean-Claude Juncker, pourtant ancien Président de l’Eurogroupe, l’Union européenne post-Brexit et la zone euro ont vocation rapidement à faire une seule et même entité. Ainsi, il propose aux Etats de l’Union européenne non-membres de la zone euro « la création d’un instrument d’adhésion à l’euro, offrant une assistance de pré-adhésion technique et parfois financière ». Il est également en faveur, sous l’égide de la Commission européenne et non de l’Eurogroupe, de créer un Fonds monétaire européen et un poste de ministre de l’Economie et des Finances qui serait également Commissaire européen. Enfin, le Parlement européen garantirait la légitimité démocratique de l’union monétaire.
La littérature économique est plutôt consensuelle : pour qu’une union monétaire fonctionne, il faut une convergence financière et économique soutenue par un outil budgétaire commun.
Près de 10 ans après, tous les enseignements de la crise de la zone euro ne sont-ils pas déjà oubliés ? La première leçon tirée de cette crise était que l’euro avait été conçu en premier lieu comme un outil politique au service de l’intégration européenne, sans pleinement tenir compte des fondamentaux qui puissent permettre le succès d’une union monétaire. Or la littérature économique est plutôt consensuelle : pour qu’une union monétaire fonctionne, il faut une convergence financière et économique (mobilité du travail notamment), soutenue par un outil budgétaire commun en cas de divergence temporaire de l’un des membres de l’union.
Convergence financière. Qu’ont fait les Etats-membres pour « optimiser » le fonctionnement de la zone euro depuis dix ans ? Ils ont certes mis en place un mécanisme de surveillance macroéconomique beaucoup plus solide et sophistiqué. Ils ont renforcé la convergence financière via une union bancaire presque achevée. Ils ont mis en place un Mécanisme européen de stabilité dont le but est de prêter des fonds à des Etats qui ne sont plus capables d’emprunter sur les marchés à des taux raisonnables (moyennant des engagements lourds de réformes structurelles).
Ces progrès sont remarquables. Mais pourtant tant reste à faire : l’éclaircie macroéconomique actuelle ne saurait cacher les épaisses zones d’ombre qui peuvent faire imploser la zone euro au prochain orage financier. Les écarts structurels, en particulier de compétitivité, entre les pays périphériques du Nord et du Sud ne se sont pas résolus du jour au lendemain, même si les récentes réformes structurelles en France, Italie, Espagne et Grèce notamment sont de bon augure.
Budget européen. Il est donc temps d’avancer. Emmanuel Macron a fait des propositions fortes qu’il devrait préciser le 26 septembre après les élections allemandes. Angela Merkel a semblé avoir d’ores et déjà retenu les moins engageantes comme la transformation du Mécanisme européen de stabilité en Fonds monétaire européen (ce qu’il est de facto déjà grosso modo). Cela ne suffira pas pour réellement consolider l’union monétaire : il sera nécessaire d’avancer vers la mise en place d’un budget européen (mutualisation progressive des recettes de plusieurs points de PIB) pour faciliter la convergence économique et de créer un Trésor européen pour émettre une dette partiellement commune ou au moins au départ gérer un instrument de dette « composite » (agrégeant des titres souverains des Etats membres de la zone).
N’ayons pas la mémoire courte. Tirons les leçons d’un passé tout proche.
Ces mécanismes seraient supervisés par un ministre de l’Economie et des Finances, qui devraient se substituer au Président de l’Eurogroupe. Reconnaissons-le, cette ambition relève d’une approche essentiellement intergouvernementale qui peut décevoir les plus fédéralistes et la Commission Européenne. C’est aussi pour répondre à cette critique légitime que la création d’un Parlement de la zone euro, regroupant des parlementaires nationaux et européens, et compétent uniquement sur les affaires monétaires et financières de la zone, est indispensable.
N’ayons pas la mémoire courte. Tirons les leçons d’un passé tout proche. Et avançons. La fenêtre de tir, probablement au plus tard d’ici la fin de l’année, sera courte.
Cet article est paru en premier sur http://www.lopinion.fr