Quels investissements de long terme en Europe à l’horizon 2050 ?

Cette publication se fonde sur les échanges s’étant tenus entre les panélistes des différentes tables-rondes organisées dans le cadre de la 5ème édition des Assises du long terme, le 5 décembre 2022 au Comité économique et social européen.  Cette journée consacrée à l’investissement de long terme en Europe et son rôle clef dans le financement des grands défis auxquels l’Europe est confrontée a réuni divers acteurs institutionnels, de l’industrie et de la société civile.

Le 4 décembre 2022 à Bruges, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, soulignait dans un discours clef la nécessité pour l’Europe de réviser ses règles en matière d’aides d’Etat, afin de réenvisager un soutien aux industries européennes, par-delà-même les efforts entrepris en faveur de l’hydrogène ou dans le cadre du Chips Act. Cette déclaration soulignant le caractère très actuel du sujet des investissements de long terme ne doit néanmoins pas cacher l’ancienneté de la question qui était déjà abordé en 2007 dans le cadre de la « stratégie 4 x 20 », devant initialement permettre d’assurer la transition énergétique dans un environnement plus durable grâce à une stratégie d’investissement de long terme. Plus proche de nous, l’adoption en août 2022 par les Etats-Unis de l’Inflation Reduction Act oblige aujourd’hui l’Union européenne à réagir pour éviter de voir son concept d’autonomie stratégique vidé de sa substance, notamment dans les domaines de l’industrie, de la défense et de l’énergie.

Or, la situation est aujourd’hui favorable à un plus grand recours à l’investissement de long terme en Europe. Tout d’abord, la situation de “permacrise” que l’on observe depuis la pandémie de Covid-19 a conduit les décideurs à davantage investir le champ de l’investissement public pour financer la relance économique de l’Union, la transition énergétique et plus récemment la reconstruction d’une défense européenne intégrée. Ainsi, l’annonce faite en 2021 qu’un tiers des 1 800 milliards d’euros du plan de relance NextGenerationEU serait consacré au financement du Pacte Vert européen amorçait déjà ce changement de paradigme. En outre, on observe depuis la fin du mois de novembre 2022, une inversion des courbes s’agissant de la rentabilité des investissements de court terme et de long terme, favorable à ces derniers.

Pour autant, la succession des urgences relègue souvent les stratégies européennes de long terme au second plan. Ce paradoxe a notamment été souligné dans le rapport « investir à long terme, urgence à court terme » publié en janvier 2022 sous la direction de Bernard Attali, Conseiller-maître honoraire de la Cour des comptes. Ce rapport pointait d’ailleurs le haut niveau de liquidités disponibles sur les marchés, notamment du fait de l’intervention massive des banques centrales depuis mars 2020 et le début de la pandémie de Covid-19, créant un contexte favorable à l’investissement de long terme au sein du marché unique. Les Français ont ainsi déposé près de 175 milliards d’euros d’épargne en 2021. Cependant, bien que les faibles taux d’intérêt observés cette année aient au même moment permis un très fort endettement des ménages, il est notable que ces sommes n’aient pas été investis dans le cadre d’une réflexion sur les besoins de long terme. Ces derniers sont pourtant conséquents puisque dans le seul domaine de la transition énergétique, les investissements nécessaires sont estimés à plus de 4% du PIB mondial sur une période de 30 ans. Or, beaucoup de ces investissements ne seront rentables qu’après un amortissement de plusieurs décennies et ne seront réalisables que grâce à certaines conditions : un fort niveau de croissance, des taux d’intérêt faibles et un accompagnement des plus modestes dans la transition.

En dépit d’une situation qui semble globalement favorable à l’investissement de long terme, l’Europe est confrontée à un déficit criant d’investissements considérant les besoins très importants que constituent la relance économique du continent, la transition énergétique ou encore la reconstruction de l’Ukraine à l’issue du conflit qui l’oppose à la Russie. Ainsi, l’Union européenne devrait tenir un rôle de moteur actif dans la mise en œuvre d’un cadre réglementaire et politique stimulant pour répondre aux besoins considérables d’investissements de long terme en Europe. Ce faisant, sur la base des échanges s’étant tenus au cours de la 5ème édition des Assises du long terme, ce document formule plusieurs observations et recommandations quant aux principaux besoins stratégiques de financement de long terme.

  1. Le rôle de l’investissement de long terme dans la relance de l’économie européenne

L’adoption de NextGeneration EU, le plan de relance de la Commission européenne, en décembre 2020 a permis de mettre en lumière un certain nombre de besoins en investissements stratégiques. Ainsi, au-delà d’une relance qui viserait simplement à soutenir les secteurs les plus impactés par les crises et accentuer la commande publique, le plan de relance de la Commission a pour objectif d’identifier et d’apporter une réponse financière initiale à un ensemble de secteurs stratégiques nécessitant un financement de long terme du fait de leur ampleur et de leur faible rentabilité pour des agents privés. À cette fin a été créé au sein de NextGEnerationEU le programme InvestEU. Celui-ci, doté d’un fonds de 372 milliards d’euros pour la période 2021-2027 visait alors dans le cadre du plan de relance européen, à apporter une réponse significative face aux besoins en investissements stratégiques mis en lumière à l’aulne de la crise. Alors qu’une part importante de ces fonds n’ont pas encore été alloués, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a reconnu dans son discours de Bruges l’importance de conserver une perspective industrielle dans l’allocation de ces sommes.

Cette démarche implique de correctement cibler les secteurs et moyens à soutenir. À cette fin, trois points essentiels ont été mentionnés dans ce discours par la présidente de la Commission. Premièrement, il s’agit d’adapter les règles européennes en matière d’aides d’Etat afin de permettre aux Etats membres d’investir eux-mêmes dans les secteurs stratégiques sans se trouver en situation d’infraction des règles communautaires. Ce premier point soulève la question de la prédictibilité. En effet, si de nombreuses exceptions ont été décidées pendant la crise du Covid-19 en soutien aux petites et moyennes entreprises, il s’agit désormais d’amorcer une réflexion afin de ne plus rendre ces aides ponctuelles et conjoncturelles mais de les stabiliser sur le long terme avec une véritable réflexion stratégique qui puisse inciter les investisseurs privés à agir également de leur côté. Ainsi, dans le cadre du programme InvestEU, c’est également l’investissement privé qui est visé par le biais de mécanismes incitatifs au travers de financements en partie pris en charge par les banques publiques d’investissement. Dans ses deux autres points, la présidente de la Commission met également en avant les financements européens complémentaires aux aides d’état afin de ne pas “favoriser les États aux poches profondes et entraîner des distorsions ce qui finirait par saper le marché unique”.

Toutefois, en dépit de ces efforts amorcés par la Commission européenne, il convient de souligner que l’investissement de long terme n’est généralement pas l’orientation naturelle des acteurs économiques. Il faut donc se tourner vers des acteurs qui ont une appétence pour les investissements de long terme ou qui ont la capacité de porter ce type d’investissement sur leur bilan. Il s’agit ici de se tourner en premier lieu vers des acteurs publics à l’image des banques publiques d’investissement. Ces dernières prennent en compte les externalités positives dans leurs décisions d’investissement. Ce sont donc des acteurs économiques patients, capables d’offrir des financements de très long terme et suffisamment distants des seuls impératifs de court-terme contenus dans les bilans trimestriels des grandes entreprises. Enfin, elles sont capables de travailler avec des acteurs divers, aux logiques hétérogènes. En effet, compte tenu de la rareté de l’argent public face aux besoins, il faut utiliser celui-ci stratégiquement avec en perspective l’activation d’un effet de levier sur l’investissement privé pour pallier le manque de financement public. Un dernier enjeu majeur, pour les investisseurs publics de long terme, est de déterminer ce comment faire évoluer leurs thèses d’investissement pour la construction de l’avenir. Jusqu’en 2022, l’industrie de défense était majoritairement exclue de leurs thèses d’investissement mais cette situation a évolué au regard des nouveaux besoins générés par la guerre en Ukraine.

En définitive, il apparaît que l’on est passé d’un monde où le marché suffisait à créer des liquidités à la nécessité d’un mélange entre subventions et instruments financiers classiques. Cette forme mixte de financement, appelée blending, est amené à se poursuivre et à s’accélérer pour les investissements de long terme en Europe, avec pour objectif de financer les ambitieux objectifs contenus dans les paquets législatifs du Green Deal, Fit for 55 et REPowerEU.

Parallèlement à cette nécessité de confier à l’investissement public un rôle d’entraînement pour les investissements stratégiques de long terme, plusieurs propositions volontaristes émergent en vue d’inciter un investissement privé de long terme à la hauteur des enjeux de la relance économique du continent. Parmi ces suggestions figure par exemple, l’obligation pour les grandes entreprises à publier une information extra financière avec le même niveau d’exigence que pour l’information comptable et repenser le droit des actionnaires en fonction de la durée de leurs investissements. Enfin, la mise en place d’une instance européenne dédiée à la prospective et pouvant s’inspirer de la DATAR pour anticiper les scénarios de « l’inacceptable » a de même été mise en exergue dans le rapport de la cour des comptes mentionné plus-haut.

2. L’investissement de long terme comme levier de la souveraineté européenne

L’épidémie de Covid-19 a mis en évidence la fragilité de nos chaînes de valeurs, a menacé la survie d’un certain nombre de secteurs économiques et nous a aussi amené à réfléchir à l’autonomie stratégique de l’Union européenne.  Plus récemment, la guerre en Ukraine a démontré la faiblesse européenne dans des secteurs industriels entiers ainsi que le risque de désindustrialisation et de dépendance dans des secteurs clefs, notamment celui de la défense.

Ces facteurs et les crises qui les ont révélés nous poussent à penser le concept d’« Europe puissance », comme avant tout lié à celui d’une autonomie européenne : une Europe qui maitrise et sécurise ses réseaux d’approvisionnement autour d’une ambition partagée. Dans ce contexte, l’investissement de long terme est fondamental car il permet de soutenir financièrement une vision stratégique de long terme.

2.a. L’investissement de long terme, outil de financement d’une défense européanisée

La conception de l’investissement de long terme comme outil d’une souveraineté et d’une vision stratégique européenne suppose avant tout d’analyser les besoins ainsi que les mécanismes à disposition. Dans le champ de l’espace et de la défense, le lien entre la technologie, l’industrie et l’autonomie stratégique d’une puissance publique a été pendant longtemps mal compris. Ce manque de compréhension semble avoir été en partie résorbé dans un contexte de guerre à l’Est du continent où les références aux équipements militaires et les télécommunications telles que le système Starlink se multiplient.

Outre ce manque de compréhension sur les sujets de défense, la mise en œuvre d’une stratégie européenne d’investissement dans ce secteur se heurte à deux défaillances majeures que sont sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis et l’insuffisance du niveau d’investissement par les États membres comparativement aux besoins. Ces investissements demeurent aujourd’hui très inférieurs à ceux des Etats-Unis et de la Chine, tout particulièrement s’agissant des dépenses d’équipements. Ainsi, les Etats membres de l’Union européenne ont dépensé près de 200 milliards d’euros pour leur défense en 2022 tandis que ces chiffres s’élevaient à 730 milliards pour la même période aux Etats-Unis. Cet écart est encore plus substantiel pour les dépenses d’équipements et technologiques puisque celles-ci représentaient au cours des dix dernières années entre 17 et 21% de la somme totale des dépenses de défense dans l’UE alors que les Etats-Unis dépassaient les 30% et que la Chine tend depuis plusieurs années vers ce même pallier. Cela laisse ainsi apparaître un déficit structurel de financement.

Cet état de fait se heurte à une volonté politique qui se veut ambitieuse au travers de l’autonomie stratégique. Parallèlement, il faut noter la fragmentation de l’offre et de la demande en Europe, entravant ainsi certaines économies d’échelle.

Dans le domaine spatial par exemple, les dépenses européennes s’élèvent à 11 milliards d’euros contre 55 milliards d’euros pour les dépenses américaines. Cette différence s’explique notamment de par la dualité militaire/civile des applications de recherches effectuées dans ce domaine qui entraîne une dépendance du niveau de dépenses dans la recherche spatiale aux dépenses attribués pour le secteur de la défense. Ce faisant, le sous-investissement dans l’innovation de défense impacte directement les innovations civiles. Ainsi ce continuum défense-spatial est très bien pris en compte par les compétiteurs de l’Union européenne que sont les Etats-Unis, la Chine ou la Russie qui ont depuis longtemps pris soin de penser l’allocation des dépenses de défense dans ce sens.

De plus, cette question du déficit d’investissement se lie aux deux grandes révolutions en cours que sont la décarbonation et la révolution numérique. Les investissements dans ces secteurs clefs doivent être ainsi correctement dirigés et mis en œuvre pour assurer à l’Europe les moyens de se placer comme un pôle d’innovation dans ces domaines, suivant le modèle établi par l’IRA aux Etats-Unis. L’Union européenne a ainsi eu tendance au cours des dernières décennies à se focaliser davantage sur l’aspect régulatoire, au détriment d’une stratégie d’investissement dans la recherche et le développement pour la défense et le spatial.

En somme, pour assurer une bonne mise en œuvre des investissements de long terme dans le champ du spatial et de la défense, il est essentiel de pourvoir aux besoins permettant à l’Europe de devenir autonome, reconnaître le rôle du secteur spatial et de la défense et le continuum qui les lie, comprendre les grandes transitions auxquelles nos sociétés font face et identifier, enfin, les faiblesses des outils de financement qui doivent aider l’Union européenne à accompagner ces transitions.

2.b. L’enjeu d’un investissement de long terme européen pour la reconstruction de l’Ukraine

Un autre champ dans lequel l’investissement de long terme pourrait constituer un levier de souveraineté est la reconstruction de l’Ukraine dont l’enjeu apparaît comme crucial, après un an de guerre, afin de restaurer une certaine prospérité dans le pays et assurer les conditions de son adhésion au sein de l’Union européenne.

Les pertes matérielles, très élevées sont estimées autour de 1000 milliards de dollars d’après un rapport de la banque mondiale. Ce faisant, il est nécessaire afin de préparer l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne de lui donner les moyens de participer à la construction decette autonomie stratégique via notamment un soutien financier dans le cadre de la transition écologique avec le Green Deal et de la transition numérique.

Dans ces domaines et particulièrement le dernier, l’Ukraine disposait déjà avant la guerre d’avantages clef avec un secteur de l’informatique très développée et s’étant montré très résilient dès les premiers mois de la guerre. Ainsi, dans le contexte du développement futur des investissements de défense, l’expérience acquise par les entreprises ukrainiennes au cours du conflit devrait apporter beaucoup d’innovations et de pistes de priorisation des investissements. Le domaine agricole et de l’agrotechnique est également un point fort de l’économie ukrainienne qui laisse entrevoir de solides capacités de retour sur investissement comme dans le champ des huiles végétales. Sur le plan énergétique aussi, l’importance de la production nucléaire en Ukraine et la perspective de développement des Small modular reactors permettent d’entrevoir un fort potentiel de développement de ces technologies dans le pays au travers des fonds dédiés à la reconstruction. Il faut d’ailleurs noter sur ce point que l’Ukraine était avant la guerre, exportatrice nette d’électricité, notamment grâce à sa capacité de production nucléaire, la seconde en Europe après la France.

Cette participation de l’autonomie stratégique européenne se traduit également sur le plan industriel dans le cadre de l’extraction de matières premières. Alors que la Commission présentait en mars 2023 son Critical Raw Materials Act en vue de diminuer la dépendance de l’Europe sur les importations de minéraux rares, la perspective d’une coopération euro-ukrainienne sur le sujet se présente comme très prometteuse, en particulier s’agissant du lithium, du titanium, du magnésium, du radium, du kaolin ou encore du minerai de fer. Le recours à l’exploitation de ces matières premières en Ukraine pourrait notamment permettre à l’Union européenne d’arrêter de recourir à l’importation de minéraux en provenance de pays rivaux, à l’image de la Russie.

À cette fin, la création de plateformes de financement, discutées aux conférences de Lugano et de Berlin sur la reconstruction de l’Ukraine est indispensable. Les sources de financement peuvent être multiples. La principale solution est d’offrir une aide macro-financière à l’Ukraine afin de lui permettre d’emprunter à des taux favorables. De plus, des efforts doivent être faits dans le cadre de l’accord d’association avec l’Union européenne afin de rapprocher le cadre réglementaire ukrainien du cadre réglementaire européen sans attendre la progression de la procédure d’adhésion.

2.c. Identifier et cibler les acteurs nécessaires pour dynamiser le financement de long terme en Europe

Face à ces nombreux impératifs de financement en vue d’assurer une autonomie stratégique européenne crédible, Il apparaît nécessaire de se pencher sur les différents acteurs et outils en mesure de financer ces investissements ainsi que de jauger le niveau auquel ces acteurs peuvent contribuer.

Le premier acteur devant être sollicité en vue de financer cette autonomie stratégique est le secteur bancaire européen. En effet, l’économie européenne est financée aujourd’hui à 70% par le crédit bancaire. Cependant, ce sont les banques américaines qui dominent actuellement le marché secondaire en représentent 65% du financement européen. Cette position dominante tend à désavantager l’investissement de long terme en Europe du fait du repli de ces mêmes banques sur leur marché national en période de crise, générant de fait un risque de crise de liquidités, et dans un second temps, de solvabilité. En outre, pour le financement de grands projets de long terme, les banques d’investissement européennes prennent généralement le principal risque d’investir lors du lancement de ces projets.

Afin de conserver ces acteurs européens et ne pas les désavantager, il apparait essentiel de s’assurer du respect de la réglementation afin d’empêcher une concurrence déloyale de la part d’acteurs extra européens. Ces réglementations clefs tels que les accords Bâle III ou la réglementation ESG (environnement, social et gouvernance), indispensables et s’appliquant aux institutions bancaires européennes, devraient ainsi être imposées avec plus de vigueur aux acteurs extérieurs et en particulier américains.

Outre la question des banques d’investissement, il existe en Europe une insuffisance d’épargne longue s’agissant des ménages. Les ménages européens ont ainsi une préférence pour l’épargne de long terme, réglementée, partiellement exonérée d’impôts et soumise à des taux de base plafonnées par la Banque centrale européenne (BCE). Aux Etats-Unis, cette situation est inversée, avec une prééminence de l’épargne de long terme, via l’achat d’actions et qui se trouve généralement investie dans des projets plus risqués mais également plus rémunérateurs sur le long terme. Afin d’allonger l’épargne des ménages européens, les assureurs jouent un rôle incontournable. Or, ceux-ci tendent, en partie du fait de la réglementation, à mobiliser leurs provisions techniques vers des obligations publiques qui financent aujourd’hui davantage les dépenses sociales et de fonctionnement que des investissements publics de long terme.

En vue de résorber cette insuffisance du financement des investissements de long terme, plusieurs pistes de réflexion se dessinent, notamment d’un point de vue réglementaire avec la révision de la directive Solvabilité II (2009/138/CE). La favorisation du développement des fonds de pensions est également considérée comme primordiale face à la forte capacité d’investissement de fonds de pensions étrangers, très présents dans les entreprises européennes.

Enfin, un troisième point sensible contraignant les investissements de long terme dans des domaines stratégiques et en particulier celui des infrastructures est celui des règles prudentielles. Ces dernières créent de nombreux coussins systémiques, forçant les établissements bancaires à recourir à la titrisation. Or, le volume des titrisations se trouve très limité en Europe et à niveau inférieur à celui de la période précédant la crise de 2008, contrairement aux Etats-Unis. Ce faisant, il est estimé que pour atteindre les objectifs de Fit for 55 en 2030, il faudrait consacrer 600 milliards d’euros d’investissement par an, puis, 1000 milliards d’euros par an pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Ces besoins sont à mettre en perspective avec le financement annuel net qui s’élève en zone euro à 470 milliards d’euros, paiement de la dette et crédit bancaire y compris.

3. Stimuler l’investissement pour accompagner la transition énergétique

Le grand défi du XXIème siècle que constitue la transition énergétique ainsi que les montants conséquents mentionnés plus haut et nécessaires pour mener à bien la neutralisation carbone de l’économie européenne nécessitent de réfléchir aux solutions pouvant répondre au déficit structurel actuel dans les financements de long terme. Il s’agit ainsi de savoir comment reconnecter l’économie réelle dans le processus de gestion de la transition, dans la construction des trajectoires et comment in fine mobiliser des capitaux nouveaux par divers moyens.

Il convient en premier lieu de souligner que la finance n’étant qu’un outil, elle ne peut définir de sa propre initiative les objectifs de l’investissement de long terme. Ceux-ci doivent s’inscrire dans une logique industrielle, économique, sociale et politique. Sur ce point, la Direction générale en charge des services financiers de la Commission européenne (DG FISMA) travaille à mettre en œuvre un accord sur la taxonomie et la définition du champ de la finance durable. De plus, la question de la transparence est essentielle, compte tenu de l’importance des investissements privés et du rôle qu’ils peuvent jouer dans la transition. Leurs performances environnementales doivent ainsi être prises en compte comme le montre l’accord sur la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises qui est entrée en vigueur en janvier 2023 ou bien encore le règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers.

S’agissant des mesures incitatives, la refonte du règlement ELTIF permet de poursuivre la mise en disponibilité de produits financiers contribuant à la transition énergétique en rendant ces investissements plus attractifs, tant du point de vue des investisseurs que des fonds de gestion. En parallèle, un label pour les « Green Bonds » est aujourd’hui en négociation pour fournir un standard beaucoup plus exigeant et crédible que les standards privés existants. Enfin, la question de la notation sociale et environnementale se trouve aujourd’hui à l’étude avec la mise en place d’une analyse d’impact qui devrait mener à une proposition législative en vue d’apporter plus de transparence et éviter les conflits d’intérêts parmi les investisseurs privés.

Cependant, bien que l’Union européenne se montre très active du point de vue réglementaire afin d’orienter les investissements vers la transition énergétique, les très nombreuses autres règles au niveau national ainsi qu’au sein de dispositifs européens incitatifs comme InvestEU peuvent receler des critères parfois très difficiles à atteindre. Ces obligations s’imposants aux investisseurs publics touchent également indirectement les investisseurs privés dans les situations de co-investissement – via le rôle d’entrainement exercé par les investisseurs publics de long terme – puis les bénéficiaires de ces financements. Il est dès lors important de s’assurer que ces critères ne limitent pas les investissements des banques publiques dans la transition énergétique.

Pour finir, il convient d’identifier les domaines du financement de la transition dans lesquels les européens se distinguent ou au contraire pâtissent de moyens insuffisants. Ils s’illustrent ainsi par leur prééminence dans le secteur des infrastructures pour lequel près d’un tiers des 50 principaux grands gestionnaires de fonds sont issus de l’UE, dont 6 à 7 acteurs français. Toutefois, les investissements dans la transition énergétique ne se résument pas uniquement aux infrastructures mais comprennent aussi un défi de modernisation technologique et du capital physique. Dans ce cadre, les européens ne disposent en l’état pas des mêmes outils que les Américains et les Chinois. Ainsi, alors que la société française Meridiam levait il y a quelques années un fond de 500 millions d’euros dédié aux investissements dans les infrastructures pour la transition énergétique, son équivalent américain levé par Brookfield s’est vu doté de 20 milliards de dollars. Cela met dès lors en exergue les échelles de financement substantiellement différentes que l’on observe en Europe et aux Etats-Unis. Il convient alors pour l’Europe de ne pas seulement se placer comme une source d’innovation technologique mais également comme une terre de production industrielle en abondant les fonds nécessaires à l’industrialisation de technologies et procédés techniques développées e Europe.

Conclusion

Ce document s’applique à analyser les différents besoins européens en termes d’investissements de long terme dans les secteurs stratégiques. Il expose en outre les principaux obstacles et limites au développement des capacités de financement de long terme dans l’Union européenne en vue de répondre à ces besoins clefs, qu’il s’agisse de la transition énergétique ou encore de la mise en œuvre d’une autonomie stratégique européenne. Il apparait ainsi que les capacités actuelles de financement en Europe qui s’élèvent à 500 milliards d’euros se révèlent largement insuffisantes pour combler les besoins réels, estimés quant à eux au double voire le triple de ces sommes.

À l’aulne de ce constat, il est essentiel d’identifier les principaux guichets de financement qui permettront d’entraîner un accroissement des investissements de long terme en Europe ainsi qu’un accroissement du poids des acteurs européens face à leurs concurrents américains et chinois. À cet égard et comme souligné plus haut, le rôle des banques publiques d’investissement est essentiel en ce qu’elles jouent un rôle d’entrainement pour les investissements privés en couvrant le risque d’investir en premier dans les projets à fort risque initial. Par ailleurs, plusieurs propositions vont dans le sens d’une plus grande implication de l’épargne dans les grands prochains de financement européen. Celle-ci constitue un potentiel jusque-là sous-utilisé et pourtant essentiel pour conserver un financement européen des grands projets d’investissement en Europe. Ce faisant, la favorisation du recours aux fonds de pensions devrait permettre de rattraper le retard de l’Union européenne dans ce domaine face à l’important recours de l’épargne de long terme des Etats-Unis ou du Japon pour financer les dépenses d’infrastructures.

Il en ressort ainsi qu’il est nécessaire pour l’Union européenne, outre la poursuite de la mise en œuvre d’un cadre réglementaire orientant le financement vers les grandes priorités telles que la transition énergétique, de développer les mesures incitatives pour dynamiser l’investissement privé européen. De plus et suivant les recommandations formulées par plusieurs acteurs de l’investissement public, il convient de faciliter les conditions de financement s’imposants aux banques publiques d’investissement afin de pleinement leur redonner leur rôle de moteur de l’investissement privé.


Commission européenne, Une stratégie de l’hydrogène pour une Europe climatiquement neutre, COM/2020/301 final, 8 juillet 2020.

Commission européenne, Règlement sur les semi-conducteurs, COM/2022/46 final, 8 février 2022.

Commission européenne, Réglement (UE) 2021/523 établissant le programme InvestEU et modifiant le règlement, 26 mars 2021.

Bernard ATTALI, Investir à long terme, urgence à court terme, Caisse des dépôts, janvier 2022

Commission européenne, Discours de la Présidente von der Leyen au Collège d’Europe à Bruges, 4 décembre 2022

Commission européenne, Règlement sur les semi-conducteurs, COM/2022/46 final, 8 février 2022.

Commission européenne, Directive 2009/138/CE sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice (solvabilité II), 17 décembre 2009

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