Arnaud Ngatcha, Adjoint à la Maire de Paris en charge de l’Europe, des relations internationales et de la Francophonie, revient dans cet entretien sur l’ambition européenne de la ville de Paris, devenue la première métropole de l’Union depuis le Brexit et du rôle particulier des villes comme actrices de la construction européenne. Propos recueillis par Thomas Dorget.
Thomas Dorget : Nous célébrons aujourd’hui la Journée de l’Europe. Paris est une des plus grandes métropoles européennes par sa taille, son poids économique et culturel. Quel regard portez-vous sur l’influence de votre ville à l’échelle de l’Union ? Comment cette journée de l’Europe s’inscrit-elle dans cette ambition européenne de Paris ?
Arnaud Ngatcha : La Journée de l’Europe permet, tous les ans, de réaffirmer la vocation européenne de Paris auprès des Parisiens. Cette année, nous avons donné à cette journée de célébration, une impulsion toute particulière, d’abord du fait de la guerre en Ukraine et de la Présidence française du Conseil de l’UE. Cette journée est par ailleurs le fruit d’une co-construction, un véritable partenariat avec les représentants en France de la Commission et du Parlement européen. La Maison de l’Europe de Paris y joue également un rôle très important, impulsant et coordonnant les actions des associations engagées dans l’éducation populaire sur l’Europe (dont Confrontations Europe fait partie, ndlr).
Par ailleurs, cet événement s’inscrit dans l’agenda européen particulièrement volontariste voulu par Anne Hidalgo et que je mets en oeuvre. Depuis le Brexit et le départ de Londres, Paris est la plus grande métropole de l’UE. Son rôle de premier plan comme acteur de la construction européenne s’en trouve renforcé, notamment dans la défense d’un idéal européen qui prend tout son sens avec la guerre en Ukraine. C’est pourquoi, nous maintenons un lien permanent avec nos homologues ukrainiens, ainsi qu’avec les maires du « Pacte des villes libres », qui rassemble une partie des grandes villes de l’Est de l’Europe.
Ainsi, la Maire de Paris s’inscrit dans le travail effectué notamment par le Président de la République dans la défense des valeurs, de la construction européenne et de l’UE en général. Anne Hidalgo soutient par ailleurs, l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne.
C’est dans ce contexte très troublé qu’émerge la question du rôle des villes dans la construction européenne. J’étais récemment en voyage en Italie, pour rencontrer les maires de Rome et de Florence. Je me rendrais bientôt au Portugal puis en Allemagne avec la Maire pour rencontrer ses homologues dans les grandes villes. Le maire de Florence étant le président d’Eurocities, il est le fer de lance de cette diplomatie des villes au niveau de l’Union. Nous défendons une place plus importante des grandes villes comme acteurs diplomatiques, évidement en parallèle des actions des Etats. Les gouvernements nationaux sont en train de se rendre compte de la richesse et de l’importance de cette diplomatie des villes, en première ligne sur un grand nombre de politiques publiques, au premier rang desquelles on retrouve les transitions environnementales et numériques. Toutes les grandes étapes de l’intégration européenne portent d’ailleurs le nom de grandes villes de l’Union (Traités de Rome, de Maastricht, de Lisbonne…).
TD : Partout dans le monde, les collectivités territoriales, notamment les villes, ont imposé leur présence sur la scène internationale. Vous avez évoqué votre déplacement récent à Rome. Comment s’incarne cette relation particulière entre Rome et Paris ? Plus largement, quels sont vos objectifs au travers de la participation de Paris au réseau Eurocities ?
AN : Lorsque j’ai repris le portefeuille de la politique européenne et internationale, j’ai proposé une feuille de route à la Maire de Paris, dans lequel figurait l’anniversaire du jumelage entre Rome et Paris dont nous fêtons les 65 ans. La célébration de cet anniversaire aurait dû avoir lieu l’année dernière mais la pandémie de Covid-19 nous a obligé à décaler celle-ci d’une année. J’ai proposé que nous impliquions les adjoints et les délégations de la ville de Paris car nos deux villes ont une relation spéciale : Paris est la seule ville jumelée avec Rome et inversement !
Ce jumelage est l’incarnation d’un morceau de l’histoire de notre continent. Paris a bien sûr des accords particuliers avec d’autres villes, comme par exemple Berlin, mais ici nous avons voulu souligner l’importance de notre partenariat avec Rome. En plus des initiatives attendues sur le plan culturel, la célébration du jumelage se fera sentir dans le quotidien des habitants avec, par exemple, la coopération des polices municipales parisiennes et romaines sur le terrain.
Du point de vue politique, le message dernière cette célébration est de démontrer l’amitié profonde entre deux grandes capitales, décrivant ainsi une vérité sur ce qu’est réellement l’Europe, un idéal de coopération entre les peuples.
En plus du jumelage avec Rome, Paris fêtera bientôt les 35 ans de l’accord de coopération et d’amitié avec Berlin qui sera célébré également dans la capitale. Anne Hidalgo se rendra prochainement à Berlin lors des commémorations de la chute du Mur et Paris organisera un évènement à ce moment-là avec le maire du 15ème arrondissement.
Par ailleurs, j’ai également lancé avec mon homologue de Hambourg des pistes pour un nouvel accord de coopération. Là-encore, ces partenariats de ville à ville permettent de prolonger et renforcer les dynamiques amorcées au niveau des gouvernements nationaux. Par exemple, la célébration du jumelage avec Rome s’inscrit parfaitement dans l’approfondissement récente de la relation bilatérale franco-italienne par la signature du traité du Quirinal, signé en novembre dernier (« traité entre la République française et la République italienne pour une coopération renforcée »). L’ambassadeur de France en Italie, Christian Masset, m’a dit sa satisfaction de voir le renforcement de ce jumelage venir concrétiser cette coopération décentralisée, qui offre une nouvelle vision des relations franco-italiennes. Paris est, à son échelle, moteur de cette vision européenne et apporte sa pierre à la diplomatie française en Europe.
TD : En mars dernier, lors du neuvième sommet des régions et des villes à Marseille, le Comité européen des régions, qui représente les collectivités locales au niveau européen, a acté sa volonté « de voir renforcer son pouvoir décisionnel », notamment par une « réévaluation progressive » de son actuelle fonction consultative. Quel est, selon vous, le rôle des villes dans la construction européenne? Le XXIe est-il encore « le siècle des villes » ?
AN : L’importance de l’Union européenne est aujourd’hui directement perçue par les parisiens. Les crises financières puis la crise sanitaire ont démontré notre besoin d’Europe. Les français se sont bien rendus compte que le sauvetage de nos économies a été permis grâce au plan de relance européen, qui a permis de mutualiser nos dettes.
Malgré les coûts importants qu’a porté le budget municipal dans le contexte pandémique, la ville n’a reçu que peu de fonds issu du plan de relance européen. La Mairie de Paris considère aujourd’hui qu’il y a une nécessité, compte tenu de leur rôle et des coûts importants à leur charge, que les villes reçoivent des aides européennes directement, sans passer par le truchement des gouvernements nationaux. L’idée ici n’est pas de porter une critique politique, mais de parler du choix qui a été fait par l’État de ne pas soutenir véritablement le budget de notre ville. Paris a reçu la somme assez dérisoire de 80 millions d’euro alors que Nice, en comparaison, a reçu près d’un milliards d’euros d’aide.
Nous sommes très conscients du soutien important de l’État à notre ville ces dernières années, certains monuments comme la cathédrale Notre-Dame, le musée du Louvre ou la Tour Eiffel ont été soutenu directement par l’État. Par ailleurs, le plan de relance européen a participé à 1,7% des dépenses d’investissement de Paris. Contrairement à ce qui a été publiquement expliqué, Paris n’a pas été l’enfant gâté du plan de relance européen. Or les coûts supplémentaires que nous avons dû supporter ont été colossaux (aides sociales, soutien aux jeunes, stratégie de vaccination…).
Cet agenda de la Maire sur les financements européens a commencé pendant la pandémie de Covid-19, avec une rencontre entre Anne Hidalgo et Charles Michel, Président du Conseil européen, à Bruxelles, et des rencontres avec 3 Commissaires européens : le Commissaire Français Thierry Breton ; la Commissaire Portugaise en charge des questions sociales, Elisa Ferreira ; le Vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans. L’idée était de porter, autour d’une coalition de villes européennes, ce sujet politique pour les sensibiliser sur le financement direct des villes par le plan de relance européen.
Nous avons encore un travail de conviction important à mener auprès de la Commission européenne sur la mise en place d’une aide directe aux villes européennes. Mais la position de la Commission peut être amenée à évoluer, car les grandes villes de l’Union se coalisent et s’engagent fortement sur ce dossier.
Ce sujet est, selon moi, mature et j’espère qu’un consensus politique pourra être dégagé. Certains sont fondamentalement opposés à un tel projet mais il y a toutefois une écoute au niveau européen, et je suis convaincu que le poids des villes peut faire pencher la balance. Quand les maires des grandes villes européennes portent ensemble et d’une même voix un sujet, cela a de fait un poids important qui résonne au niveau européen et auprès des institutions.
TD : Les villes de l’UE ont fermement condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Quels sont les moyens d’action de la diplomatie des villes dans ce contexte ? Quelles sont les initiatives mises en place par la ville de Paris ?
AN : La guerre en Ukraine a mis en lumière le rôle des villes en Europe, tout d’abord dans la réponse humanitaire d’urgence apportée à cette guerre avec l’accueil des réfugiés. Cet accueil se fait tout d’abord dans les villes aux frontières de l’Ukraine, mais se prolonge dans toute l’Union. Par exemple, nous avons débloqué à Paris plus de 1 million d’euro afin d’assurer un accueil des réfugiés dans les meilleures conditions. C’est pourquoi les services de la ville sont tous mobilisés, aussi bien pour assurer la scolarisation des enfants, que pour mettre en place des centres pour permettre aux ukrainiens réfugiés en France de s’intégrer au mieux à notre ville.
Paris est mobilisée depuis le premier jour de la guerre en Ukraine. Le soir de l’invasion par la Russie, l’ambassadeur d’Ukraine en France, Vadym Omelchenko, est venu à l’Hôtel de Ville afin de s’entretenir avec la Maire. Les ukrainiens ont noué des liens avec la ville de Paris, c’était dans un premier temps de l’ordre du symbolique avec l’éclairage des bâtiments publics, avant la mise en œuvre de la série de mesures que j’ai indiqué pour accueillir au mieux les réfugiés.
La maire de Paris s’est également engagée politiquement, puisqu’elle a, avec le maire de Florence et le maire de Varsovie été à l’initiative de la dénonciation des kidnappings des maires de ville ukrainiennes, notamment le maire de Melitopol. À travers Eurocities, Paris a noué des liens avec les maires ukrainiens et notamment avec le maire de Kiev. L’engagement personnel de la maire de Paris s’est concrétisé par le voyage d’Anne Hidalgo à Kiev pour remettre la citoyenneté d’honneur au maire. La ville de Paris se positionne plus que jamais en soutien aux grands maires ukrainiens contre cette barbarie menée par la Fédération de Russie sur le territoire Ukrainien.