Dans la perspective des élections européennes du 9 juin prochain, Arnaud NGATCHA, Adjoint à la Maire de Paris en charge de l’Europe, des Relations Internationales et de la Francophonie, Conseiller du 9e arrondissement a accordé un entretien aux équipes de Confrontations Europe, le 7 février 2024.
Confrontations Europe : Les prochaines élections européennes auront lieu en juin prochain. Que peuvent faire les villes pour informer et inciter les résidents européens – y compris non français – à prendre part à ce scrutin primordial pour notre continent ?
Arnaud Ngatcha : Soyons très clair : le résultat du scrutin du 9 juin prochain dépendra entièrement de la participation.
Avec 50,1% de participation, les élections européennes de 2019 avaient paradoxalement battu un record de participation depuis 1994, bien que la moitié des votants ne se soient pas rendus aux urnes. Nous ne pouvons pas nous en satisfaire.
C’est pour cela que j’ai fait le choix en lien avec la Maire de Paris de donner à ces élections la visibilité qu’elles méritent. Évidemment, tout ne dépendra pas de la ville de Paris, mais nous devons y prendre notre part. Les villes sont par essence le lieu de la proximité et le meilleur échelon pour débattre, expliquer et in fine convaincre d’aller voter.
C’est ce que nous faisons par exemple en concevant en lien avec le Conseil parisien des européens –instance unique en Europe, composée de 61 parisiens issus des 27 pays de l’UE- une campagne d’inscription sur les listes électorales et d’appel au vote le 9 juin prochain. Riches de leur parcours européen et sensibles à cette cause, les membres du CPE et leur regard sur le sujet sont utiles pour aller chercher les électeurs parfois éloignés des enjeux européens. On l’ignore trop souvent : les ressortissants européens ont le droit, depuis Maastricht, de voter aux municipales comme aux européennes en France. Pourtant, ils ne sont que 13% d’inscrits à Paris ! Notre marge d’amélioration est énorme, nous devons mobiliser ! C’est tout le sens du message que j’ai passé à l’occasion de la séance d’installation de la nouvelle promotion du Conseil parisien des européens, le 3 février dernier.
C’est ce que nous ferons par une grande campagne d’information sur le mobilier urbain d’information de la Ville de Paris. C’est ce que nous faisons aussi en soutenant le tissu associatif européen à Paris au travers du Label Paris Europe, qui, chaque année, permet de financer des projets concrets pour faire vivre le débat sur l’Europe et donner à voir et à comprendre son action au plus près des parisiens.
C’est ce que nous ferons également avec les Mairies d’arrondissement volontaires pour informer les électeurs et cibler également les quartiers où l’abstention est plus forte ; je pense notamment aux quartiers populaires où l’abstention est plus importante mais dont la participation a toujours été un facteur décisif dans le résultat des scrutins à Paris.
Dans ce contexte, si le rôle d’un Adjoint à l’Europe et aux relations internationales n’est pas nécessairement de dire pour qui voter, mon rôle est bien de défendre les valeurs de l’UE et la mobilisation citoyenne. Il en va de la vitalité de notre démocratie européenne. Et à l’heure du repli sur soi et des discours de haine, que l’on voit renaître ici ou là, cela n’a rien d’anodin. Face à ce poison lent de la démocratie, la participation des villes et des quartiers populaires peut-être une partie de l’antidote.
Confrontations Europe : Quel est justement le rôle des villes dans la construction européenne ? Quel impact l’UE a-t-elle sur les villes ?
Arnaud Ngatcha : Historiquement, les villes sont le cœur battant de notre Europe. Ce que l’historien Jacques Le Goff appelait « la belle Europe des villes et des universités ». Les villes européennes ont toujours joué une grande influence dans le maillage du continent, sa prise de conscience politique et critique, la mise en réseau des savoirs et même ses évolutions institutionnelles dans l’époque moderne. Elles ont toujours été le lieu privilégié des rencontres humaines, d’abord et de longue date par le commerce, mais bien au-delà, en matière de culture et de partage des connaissances notamment, dressant des ponts par-delà les frontières plus ou moins affirmées à l’époque des États. Les Villes-États d’hier, telles Florence, Amsterdam ou Bruges, comme les villes aujourd’hui sont de plus en plus des centres économiques, culturels, démographiques, constituant un des moteurs de l’Europe.
La montée en puissance de la construction européenne après la seconde guerre mondiale et l’essor du droit européen ont naturellement amené les villes à investir cet échelon pour faire entendre leur voix. Très concrètement : lorsqu’il est par exemple question des normes de motorisation des véhicules en Europe, ce n’est pas qu’un sujet technique à négocier seulement entre États et grands groupes industriels. On parle qualité de l’air et santé publique, c’est un sujet éminemment local et concret ! Donc évidemment les villes travaillent ensemble pour adopter des positions communes et influencer autant que possible les décisions là où elles se prennent. La Ville de Paris sous l’impulsion de la Maire a même obtenu sur ce sujet devant la Cour de justice de l’UE en 2018 la reconnaissance de sa légitimité à agir en justice et plus généralement des villes à défendre leurs intérêts dans le jeu institutionnel. C’est un pas immense dans la reconnaissance du rôle des villes dans la construction européenne. Et c’est aussi en ce sens que je suis régulièrement amené en lien avec mes partenaires européens à me rendre à Bruxelles ou à travailler avec des réseaux européens de villes tel Eurocities, pour relayer nos positions et contribuer à ancrer la dimension solidaire, écologique et démocratique de l’Union européenne.
Le droit européen n’est plus seulement, et depuis longtemps, un sujet strictement national, la transposition des directives comme l’application des règlements européens ont un impact concret sur nos territoires. Les villes ont leur mot à dire. Il en va de même pour les financements européens, encore largement gérés par les États ou les régions. Nous plaidons avec de nombreuses autres collectivités européennes pour des financements directs aux villes, souvent pionnières en matière de transition écologique, d’accueil des réfugiés ou de solidarité. Une façon concrète d’éviter la sous consommation des enveloppes de crédits européens. Il s’agit là aussi d’un enjeu démocratique quand on voit certains gouvernements faire de ces financements un levier de chantage contre des opposants politiques, comme c’était le cas avec le précédent gouvernement polonais.
Aujourd’hui, face à la montée des extrêmes et des idées xénophobes et racistes, les villes sont en effet au cœur du combat démocratique et elles seront au cœur de l’Europe de demain. Face à la tentation du repli sur soi et la montée d’une extrême-droite conquérante, désireuse de frapper au cœur l’esprit des institutions européennes, j’ai la conviction que les villes sont une partie de la réponse. Elles demeurent en Italie, comme en Pologne, en Suède comme en Grèce, de Lisbonne à Paris, en passant par Hambourg, Florence, Varsovie, Barcelone, Stockholm ou Vilnius, des lieux où se vit et s’invente la démocratie et où l’impératif écologique ne s’oppose pas à la justice sociale. C’est un plaidoyer que nous portons en commun, par-delà la diversité géographique et même partisane de nos villes européennes.
Confrontations Europe : Vous l’indiquez, nous assistons à une montée des populismes en Europe depuis plusieurs années. Comment défendre les valeurs européennes telles que l’État de droit, la dignité humaine et la solidarité face à leurs attaques ?
Arnaud Ngatcha : Il faut regarder ce qui se passe en Allemagne. Je me félicite de la mobilisation impressionnante de citoyens allemands, à Hambourg, Berlin et tant d’autres villes, en particulier dans un pays qui a connu dans son histoire récente le populisme d’extrême-droite au pouvoir avec les conséquences que l’on sait. Ce cri du cœur de nombreux Allemands est un signal d’espoir dans une Europe embuée par la montée d’un discours de haine. Partout en Europe, ces partis gagnent en popularité et s’installent en haut des intentions de vote, instrumentalisant les peurs parfois légitimes des populations face aux mutations accélérées de notre monde, s’appuyant sur des réponses simplistes à des enjeux immensément complexes. Instrumentaliser les peurs n’a jamais été une solution.
J’ai bien conscience d’un désamour parfois entre les citoyens européens et les institutions. L’Europe du marché, l’Europe fiscalement favorable aux plus aisés, l’Europe dérégulée faisant d’une main d’œuvre à bas coût un levier de maintien à la baisse des salaires, tout cela a été dénoncé, justement, par les membres de la Conférence sur l’avenir de l’Europe en 2022. La crise actuelle des agriculteurs, en France, mais aussi ailleurs en Europe, en est une illustration. Ma conviction est qu’il faut remettre le social au cœur des priorités de l’Europe. Cette Europe de la solidarité s’est d’ailleurs révélée pendant la crise du Covid, tant sur le plan de la coordination sanitaire que de la relance économique, sans quoi nos sociétés se seraient littéralement effondrées. C’est cette Europe-là qui doit prendre corps, s’assumer et s’affirmer, car c’est l’Europe des citoyens. Qui n’est pas celle des tapis rouges, des grandes déclarations de sommets en sommets, sans être suivies d’effet. L’Europe a urgemment besoin de se rapprocher des citoyens.
Dans ce contexte, j’entends l’appel à l’élargissement européen pour offrir une perspective européenne à nos voisins proches menacés par l’attitude belliqueuse de la Russie. Mais il nous faut au préalable nous interroger sur la gouvernance de notre Europe à 30 ou 35. Quelle politique d’intégration pour de nouveaux pays membres telle que l’Ukraine ? Quel approfondissement de nos projets communs ? Ces débats, nous ne devons pas les esquiver et la parole des citoyens devra être au cœur de ce processus.
C’est pour ces raisons que nous devons tout faire pour que les élections européennes du 9 juin ne soient pas remportées par les partis populistes et d’extrême-droite, en parlant précisément des sujets concrets qui font le quotidien des européens, loin des lubies bureaucratiques ou de l’entre soi des élites qui ne feront jamais un projet d’avenir et loin, très loin des tentations de rejet et de haine qui ne font que réduire notre horizon, alors que le défi climatique nous oblige à une réponse globale.
Depuis toujours, Paris est une terre de résistance qui refuse de plier face au populisme et à l’extrême-droite. La composition du Conseil de Paris en est un exemple (aucun élu RN). La Révolution française, la Commune de Paris, la résistance et la libération font partie de notre héritage et rappellent l’attachement viscéral de notre ville au progrès, à la solidarité, à la liberté comme à l’égalité entre les femmes et les hommes. Paris a toujours été une terre d’asile et elle continuera d’accueillir avec humanité celles et ceux qui, fuyant la guerre et la misère, ont souhaité trouver refuge dans notre ville. Si cela ne se fait évidemment pas sans règles, nous concevons la citoyenneté de manière positive, basée sur l’envie de participer à un projet de société. C’est l’histoire de ma famille et c’est aussi celle de milliers de parisiens qui par leur action et leurs aspirations ont fait et font le Paris d’hier et d’aujourd’hui.
Dans un contexte où certains médias donnent de plus en plus de visibilité aux idées extrêmes, nous devons proposer une autre voix, pacifiée et humaniste. Et prouver que l’action publique sert l’intérêt commun et que oui, cela sert de voter, qu’il existe toujours des raisons d’espérer.
Entretien-avec-Arnaud-Ngatcha