Alain BERGER & Carole ULMER
Directeur du cabinet en stratégies HillKnowlton ; Economiste, directrice des études de Confrontations Europe
Alors que le commerce mondial est en perte de vitesse et que la mondialisation est remise en question, il est temps que la France repense sa stratégie commerciale. À l’échelon européen.
Quel commerce veut la France ?
La France se divise sur sa relation à l’Europe et au monde au moment même où Donald Trump pose les premiers actes de sa stratégie commerciale. Le secrétaire d’État américain au Trésor, Steven Mnuchin a obtenu en mars dernier de ses collègues du G20 le retrait du communiqué final de l’engagement traditionnel « de lutter contre le protectionnisme ». Même la rencontre récente avec le président chinois Xi laisse présager un changement de paradigme de la part de la principale puissance économique mondiale.
Le commerce mondial est en perte de vitesse depuis plusieurs années. Et la mondialisation elle-même est profondément remise en question. Le référendum britannique sur le Brexit s’est en partie fait l’écho de ces « perdants » de la mondialisation. Les bases de ce mécontentement latent sont réelles : le salaire réel de deux tiers des ménages des 25 pays les plus avancés du monde sont stables ou ont diminué entre 2005 et 2015 alors que durant la décennie précédente, ils avaient augmenté de 2 % en moyenne.
Parallèlement, le monde est entré dans une nouvelle ère de la mondialisation, où les technologies de l’information poussent à une « fractionnalisation » des processus de production et modifient la géographie des échanges. Conclusion : ces nouvelles chaînes de valeur sont mondialisées et les fruits de la croissance semblent moins bien partagés.
Des hommes et femmes politiques surfent sur les craintes des populations. Distiller des messages comme « America First » ou « la défense des produits français », voire la taxation des robots, ne peut pas apparaître comme la solution. Comme le rappelle un proverbe chinois, « retenir de l’eau dans sa main n’est pas plus facile quand le poing est fermé ».
Croissance durable
Il est crucial que la France repense sa stratégie commerciale à l’aune de ces transformations : seule l’Europe peut devenir un véritable espace pertinent à l’échelon mondial, la France doit y contribuer. L’Union européenne doit avant toute chose être le promoteur d’un nouveau modèle de mondialisation, correspondant aux valeurs européennes, conjuguant liberté et biens communs.
Penser qu’il suffit de laisser faire le marché et de disposer d’un marché du travail flexible pour tirer les bénéfices de la mondialisation a été une erreur. L’Europe a besoin de se doter d’un camp de base dans la mondialisation avec deux volets, intérieur et extérieur, au service d’une stratégie de croissance durable.
En interne, l’Union européenne doit renforcer le modèle social européen pour apporter des réponses aux laissés pour compte de la mondialisation. Cela passe par la définition d’une véritable politique industrielle européenne visant à définir nos secteurs porteurs ; mais aussi par un fort accent mis sur la politique de formation tout au long de la vie pour accompagner les transitions professionnelles.
En externe, l’Europe doit être promoteur de nouveaux types d’accords internationaux globaux prenant en compte l’investissement, les normes sociales, fiscales et environnementales ainsi que les nouveaux enjeux liés à la circulation des données et des actifs intangibles. Pour cela, l’Union européenne doit chercher à défendre le cadre multilatéral et a minima oeuvrer pour des actions plurilatérales en ce sens en cherchant à construire des coalitions.
Un modèle pertinent : l’Europe
L’Union européenne devra aussi clarifier sa stratégie vis-à-vis de la Chine et des États-Unis. Les résultats des discussions actuelles avec la Chine sont encore décevants : les réformes promises ont peu avancé et la liste des sujets qui fâchent demeure longue.
L’administration Trump commence à prendre des mesures anti-dumping contre l’Europe (et la Chine) sur les produits sidérurgiques. Il faut donc urgemment adapter nos outils de défense commerciale à ce nouveau contexte. Ne faudrait-il pas se doter d’outils nouveaux et mettre en place un équivalent européen au US Committee on Foreign Investments ?
Enfin, rendre la politique commerciale européenne plus efficiente passe nécessairement par une réforme de sa gouvernance et de ses outils. Le système actuel de décision souffre d’un manque de transparence et conduit à la lenteur – une réforme est nécessaire pour impliquer en amont l’ensemble des parties prenantes dans la définition d’un mandat. Mais la bonne nouvelle est que le seul modèle pertinent d’accords commerciaux modernes est celui proposé par l’Europe.
L’Europe pourrait alors se positionner auprès des déçus de la volteface américaine en matière de traités commerciaux (par exemple les pays d’Asie et d’Amérique latine) comme le partenaire unique capable de mettre en oeuvre une politique commerciale « durable » plurilatérale. L’Europe est-elle prête à réagir ? À nous Français d’y mettre aussi du nôtre…