Thierry Déau
Président de Meridiam et de Finance for Tomorrow
La transition environnementale, et notamment l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, est une priorité pour l’humanité. Elle demande un investissement massif dans les infrastructures, les outils de production, les bâtiments, qui s’inscrit dans une trajectoire de transition étalée sur 30 ans environ. Sur cette période, l’humanité doit rebâtir, à partir de l’existant, un monde nouveau qui préserve notre qualité de vie, notre civilisation. Ce nouveau modèle est souvent plus coûteux que l’ancien, et ne produira des profits que sur le long terme. Malheureusement, transition et investissement dans la durée ne font pas bon ménage, car le changement introduit souvent des risques pour les investisseurs. Pour l’Europe c’est cependant un enjeu plus important encore: entièrement dépendants des pays voisins pour nos ressources fossiles, nous avons deux fois plus de raisons d’accélérer.
Il est donc capital de définir des cadres d’investissements qui permettent de trouver le chemin difficile permettant d’investir à long terme dans la transition. L’Europe a énormément fait pour cela et elle continuera de le faire, je l’espère avec succès.
Les trois conditions principales à réunir pour fournir aux entreprises une capacité de financement de long terme sont:
1. La limitation des risques et de leur perception;
2. Un marché structuré et profond;
3. Une régulation adaptée au long terme.
1. S’attaquer au risque est le point majeur sur lequel l’UE peut agir, à la fois en tant que régulateur et acteur de l’économie. En effet, le risque majeur lié à la transition énergétique pour un investisseur est l’incertitude sur les solutions et leur avenir. Demain, utiliserons-nous du gaz? Aurons-nous toujours les métaux nécessaires à la production de véhicules électriques? Le nucléaire sera-t-il acceptable? La construction bois deviendra-t-elle la norme?… Autant de questions qui peuvent conduire une entreprise vers une faillite à moyen terme. L’Europe est la grande puissance libérale la plus en avance pour lever ce risque, avec la mise en place de la taxonomie européenne: il s’agit du dictionnaire de la transition, qui permet de lire avec un degré de confiance suffisant dans la complexité des trajectoires de décarbonation. Elle est encore perfectible – et d’ailleurs non achevée – et si complexe que son application demandera plusieurs années et l’assistance d’entreprises qui seront dédiées à vérifier la conformité à la taxonomie des investissements et du reporting des acteurs financiers, mais c’est un pas de géant par rapport à d’autres zones.
Les risques sont nombreux, en particulier en cette période d’inflation fulgurante et de tension sur les approvisionnements énergétiques, voire de conflits guerriers. L’Europe peut et doit, là également, jouer un rôle de stabilisateur et de protecteur, en offrant des mécanismes – potentiellement encore à inventer – pour diminuer ce risque, lui aussi incompatible avec le long terme. Les programmes de subvention mis en place dans le cadre du «Green deal» et de «Fit for 55» sont des moyens de réduire le risque financier et de réaffirmer les trajectoires à suivre: il est important de maintenir une ambition dans le domaine.
2. D’un point de vue du marché, l’Europe a joué son rôle et continue de le faire, dans le cadre de l’eurozone, et de l’union des marchés de capitaux. Il faut que tout le monde ait en tête à quel point, à l’échelle de la planète, la capacité à se financer à des taux raisonnables sur des durées de 20 à 30 ans, est une anomalie, et constitue l’un des atouts majeurs des USA et de l’UE. Cela n’est possible que parce que nous avons un marché commun et des institutions fortes, qu’il faut conserver, renforcer, maintenir en action.
3. Enfin, concernant la réglementation financière, dont la taxonomie fait partie, l’Europe peut encore accélérer, car elle a posé les fondations solides qui le lui permettront. Si la taxonomie est le dictionnaire, les directives SFDR et CSRD seront les tribunes de cette nouvelle langue, en démultipliant l’accès à la donnée non financière des entreprises et des acteurs financiers. Il n’y a pas d’investissement durable sans reporting extra-financier et mesure de l’impact, et la donnée sera largement accessible. Trop peut-être: l’UE doit désormais veiller à la qualité de la donnée et à sa souveraineté. Elle réfléchit à réguler les activités de notation, et j’espère que cela permettra à la fois de nous débarrasser du «greenwashing» et de renforcer les acteurs européens, qui seront ainsi porteurs de notre vision résolument durable du monde.
Pour aller véritablement vers le long terme en matière de transition, l’Europe devra sans doute inciter par la régulation à investir dans ce domaine. Les «green supporting factors», que ce soit dans la banque ou l’assurance, devront envoyer le signal aux financeurs, qui n’est que la traduction régulatoire d’une notion qui est de plus en plus évidente: seul le durable sera productif sur le long terme. C’est donc en s’assurant qu’elle parvient à agir sur ces trois piliers: la diminution du risque, la structuration du marché et la régulation incitative, que l’Europe pourra donner les meilleures chances à ses projets et ses entreprises de poser rapidement les jalons de la transition que nous appelons tous de nos vœux, qui a commencé, et qui doit accélérer. Les crises sont des périodes de changement: profitons-en, et aidons l’Europe à faire les bons choix.