Quel bilan et quelles perspectives pour l’Année européenne des compétences ? – Compte rendu

Confrontations Europe organisait le 12 février dernier une conférence à la Maison de l’Europe de Paris intitulée « Quel bilan et perspectives pour l’Année européenne des compétences ? », autour de : 

  • Stefan Olsson, Directeur Général Adjoint – DG Emploi, compétences et politiques sociales, Commission européenne 
  • Laurent Dumanche, Secrétaire général, CFDT Cadres 
  • Pierre Berlioz, Directeur Europe et international, UIMM 
  • Isabelle Minneci, Directrice Générale Adjointe des Relations humaines, L’Oréal Groupe 
  • Valérie Gauthier, Professeure associée, HEC Paris 

1. Introduction  

Cette conférence a été l’occasion de proposer un premier bilan de l’Année européenne des compétences, mais surtout d’aborder les défis qui se jouent autour des transformations accélérées de l’organisation du travail et du besoin de cohérence entre les formations et la rencontre des demandes entre les travailleurs et les employeurs.  

En effet, les intervenants issus de divers horizons se sont réunis sur ce constat : nous sommes à un moment clef au sein duquel le dialogue est essentiel pour l’avenir ; dialogue social, dialogue et articulation entre les différentes échelles de la gouvernance européenne.  

Les transformations du monde du travail ne sont pas nouvelles, les questions qui gravitent autour des formations et des compétences ne le sont pas non plus. Pour autant, elles se posent aujourd’hui avec une acuité particulière par la prise de conscience d’une accélération des transformations des métiers, des évolutions techniques et des réflexions sur nos modes de production en tenant compte des enjeux environnementaux.  Elles interrogent également sur les rapports entretenus entre les travailleurs et le travail, sur le sens, sur la qualité de vie, sur le respect des droits sociaux.  

Les compétences, ce sont, selon Valérie Gauthier, professeure à HEC, l’articulation entre le savoir (les connaissances), le savoir-être (la manière de se comporter) et le savoir-faire (la mise en pratique des savoirs). Selon Isabelle Minneci, représentante du groupe l’Oréal, elles traduisent en outre la capacité d’une personne à effectuer une tâche particulière de manière efficace, tout en lui offrant un passeport pour naviguer au sein d’une organisation, pour construire sa carrière personnelle. Enfin, elles seront la monnaie d’échange de demain. 

Pour Laurent Dumanche, secrétaire général de la CFDT Cadres, les compétences participent à l’enjeu d’employabilité permanente des salariés et agents publics, nécessaire pour répondre aux besoins des organisations de travail en constante mutation. 

L’Année européenne des compétences exprime le choix d’un sujet de la part de l’Union européenne, il s’agit de l’expression d’un accord entre le Parlement européen et le Conseil des ministres, pour faire de l’année 2023-2024 un moment d’impulsion et de visibilité en faveur d’une thématique essentielle à nos sociétés.  

Cette question des compétences ne date pas d’aujourd’hui, pour autant, elle se fait de plus en plus pressante. Stefan Olsson, directeur général adjoint à la DG Emploi, compétences et politiques sociales, indique que 75% des PME déclarent manquer de travailleurs et travailleuses qui ont les compétences nécessaires au développement de leurs activités. Des secteurs sont particulièrement en tension, tels que les métiers de conducteurs de machines et les métiers qualifiés de l’artisanat. Des compétences sont considérées comme essentielles au monde de demain, notamment les compétences numériques. La période de pandémie de Covid-19 et le confinement révéla à quel point ces dernières sont au cœur de nombre de nos interactions sociales, du travail à la vie quotidienne. Des nouvelles organisations de travail telles que le télétravail invitent à repenser nos organisations et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée notamment à travers un réel droit à la déconnexion.   

La Commission appelait alors les États membres à valoriser leurs politiques de compétences nationales en menant une réflexion poussée sur les besoins du marché du travail, actuels et futurs, sur l’apprentissage tout au long de la vie et particulièrement sur l’accès aux formations professionnelles, ou encore sur l’accroissement des mobilités entre secteurs et entre régions. Ces différentes politiques sont à imaginer en adéquation avec les priorités européennes d’économie compétitive et innovante qui intègrent de manière transversale et primordiale les objectifs de transitions écologiques et de respect des droits sociaux. Elle s’inscrit notamment dans la mise en œuvre du Socle européen des droits sociaux, proclamé en 2017, et des « cibles du Plan d’action de Porto » de 2021.   

2. La pertinence de l’échelle européenne  

a. Un premier bilan de l’Année européenne des compétences  

Stefan Olson souligne une belle réussite qui a donné lieu à plus de 2 milliers d’évènements, de conférences, de séminaires partout en Europe. Cette mobilisation semble démontrer à quel point il s’agit d’une thématique partie prenante du débat au sein des États membres, un enjeu clef de nos sociétés. L’ambition européenne était d’offrir un cadre pour donner plus de reconnaissances à cet enjeu, de lancer une conversation à tous les niveaux.   

En collaboration avec un large éventail d’acteurs, dont les partenaires sociaux et la société civile, un Pacte pour les compétences a été lancé en 2020. Aujourd’hui, près de 20 partenariats à grande échelle et 1500 associations ont adhéré à ce Pacte et y ont dédié près de 2 millions d’euros de formations. Les législateurs ont également décidé d’attribuer près de 65 milliards d’euros de fonds européens pour soutenir la formation et l’acquisition des compétences en adéquation avec les besoins d’aujourd’hui et de demain. Nous pouvons citer à cet égard le programme Horizon Europe qui favorise les coopérations entre universités européennes. Cependant, le thème des compétences est surtout transversal aux différentes politiques et feuilles de route européennes. Ce dernier revient au sein des documents tels que le Green Deal, au sein de la stratégie industrielle européenne.   

Ce premier bilan est donc très positif. Cependant, le défi est également colossal. 

b. Le potentiel européen  

L’Union européenne n’a pas de compétences exclusives sur ces questions, au contraire, les politiques d’éducation et de formation restent avant tout aux mains des États membres. L’action de l’UE se situe donc dans sa capacité à encourager le développement des politiques nationales de compétences, à proposer divers outils pour identifier les compétences nécessaires d’aujourd’hui et de demain, à diagnostiquer les besoins au niveau européen. Son action est aussi celle de favoriser la collaboration européenne, par exemple, des partenariats entre universités, dans la reconnaissance des formations entre États membres, dans la mobilité du travail. L’action européenne est également portée par les actions de financement. L’une des stratégies de l’Année européenne des compétences était notamment de mettre en valeur et de visibiliser les dispositifs de financement européen.   

En quelques mots, la pertinence de l’action européenne est surtout mise en avant dans son travail d’impulsion, d’encadrement et de coopération. L’idée d’un nœud par lequel viennent transiter méthodes, idées et outils pour prendre connaissance de ce qui est fait et qui sont autant de sources d’inspirations à intégrer aux modèles nationaux.  Nous rejoignons ici l’idéal européen de la libre circulation des idées et des savoirs.   

3. L’importance du dialogue entre les parties prenantes  

L’une des conclusions de cette conférence est que d’un échange entre des personnes issues d’univers différents et représentants des perspectives différentes, l’enjeu des compétences est commun et fait l’objet de réflexions convergentes. Nous pouvons alors formuler l’idée que le dialogue et le partage des stratégies mises en place au sein de différents organismes sont un élément clef pour répondre aux défis des transformations de l’organisation de nos sociétés.  

a. Identifier les compétences : stratégie au sein d’un grand groupe industriel  

Comme nous l’évoquions précédemment, Isabelle Minneci situe les compétences comme un moyen afin d’évoluer et de naviguer dans une organisation donnée, qui va au-delà du diplôme. Ainsi, l’Oréal a placé la formation comme l’une de ses stratégies internes fondamentales : près de 3,5 millions d’heures de formations sont investies pour 90 000 salariés. Sa stratégie de formation a également connu une transformation majeure, d’un angle plus traditionnel (à un certain job correspond un certain nombre de compétences techniques) à plus innovant. Ce fut un travail de projection et de définition des compétences nécessaires au sein du groupe industriel en collaboration avec les différents partenaires. Cependant, parler de compétences devient rapidement complexe devant une multitude de combinaisons possibles ; à titre d’illustration, le réseau professionnel LinkedIn met à disposition 35 000 compétences. Ici, sur 10 000 compétences, 600 furent identifiées comme clefs pour le développement de l’Oréal à long terme, 70% sont de caractère plus standard (un référentiel commun à d’autres entreprises) et 30% y sont spécifiques. Il est alors intéressant d’observer la volonté de rendre la formation plus individuelle : les collaborateurs sont emmenés à s’autoévaluer et à considérer les métiers qui correspondent à leurs compétences et les possibilités de formations nécessaires pour d’autres parcours. La réflexion se porte sur des étapes de carrière et adopte un regard relativement mobile.   

b. Une réflexion complémentaire sur la nature des formations et sur l’orientation  

Pierre Berlioz, directeur de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) met pour sa part en avant que, de manière complémentaire à l’identification des compétences, il est aussi essentiel de reconsidérer la nature des systèmes de formation et d’orientation et de leur valorisation. Par exemple, dans les métiers de l’industrie, des besoins croissants sont identifiés auxquels répond pour le moment un déficit d’attractivité.  La différence est notable avec la formation juridique, Pierre Berlioz, également professeur de droit, mettait en avant une demande qui est plus importante que l’offre disponible, avec cependant une faiblesse dans la formation qui réfléchit davantage en termes de connaissances que de compétences pratiques ensuite utiles et mobilisées pour un certain nombre de métiers. Se posera donc ici la question des formations universitaires, des moyens qui y sont alloués et des manières d’enseigner.    

Le dialogue se poursuit en prenant en compte les motivations de chacune et de chacun. Valérie Gauthier, travaillant sur de telles questions, insiste sur le fait de donner l’espace nécessaire à la personne, à l’humain, pour donner la possibilité de prendre du recul sur son parcours, sur sa motivation profonde qui la conduit à exercer tel ou tel métier. Nous avons ici, de nouveau, une approche plus individuelle qui recherche à donner du sens dans le choix des parcours. Valérie Gauthier souligne les besoins de réfléchir aux valeurs que nous accordons à certains métiers plus qu’à d’autres et aux manières de changer les regards sur une hiérarchie sociale des formations.  

C’est élément de l’individualisation rejoint une remarque fondamentale d’un changement d’approche depuis les années 2007-2008 entre la vision des formations qui soient construites comme collectives, ouvertes à tous et offrant un même enseignement et au passage d’une formation qui se veut de nature individualisée, propre aux profils et aux volontés. L’accompagnement dans ces formations plus individuelles semble fondamental, non seulement en termes d’accès à la connaissance des formations existantes et de leur accessibilité, notamment d’un point de vue économique et social,

c. également afin d’accompagner dans un moment d’anxiété de nos sociétés très présent. Le besoin d’un accompagnement fort des pouvoirs publics : changer et renforcer le droit du travail  

Nous parlons ici de transitions, d’accélération des changements dans les organisations du travail. Nous parlons aussi de transformations techniques, notamment à travers la digitalisation et l’usage du numérique, que ce soit dans le domaine public ou privé. Une évolution permanente donc, mais également une évolution accélérée. Laurent Dumanche, secrétaire général à la CFDT Cadres souligne pour sa part le besoin d’accompagner et d’anticiper ces bouleversements, notamment par le dialogue social.    

Le Pacte de la vie au travail fait actuellement l’objet d’une négociation de grande ampleur et rejoint la question précédemment abordée du sens au travail : la question du rapport des travailleurs au travail. L’un des grands axes qui y est abordé est celui de l’emploi des séniors, la manière dont les compétences des séniors peuvent être revalorisées dans une logique de transmission au sein des administrations et des entreprises.   

Nous pouvons également penser à un droit universel à la reconversion, qui permette d’anticiper les bifurcations de carrière professionnelle et d’éviter les usures professionnelles.  

Enfin, le numérique vient par exemple brouiller les frontières entre la vie privée et la vie professionnelle. Nous pourrions envisager le besoin de penser l’organisation des temps entre les temps de travail, professionnel, de vie privée, temps de formation et de laisser un espace, un souffle pour envisager plus sereinement son avenir et ne pas être enfermé dans un cadre donné qui est, de toute manière, condamné à évoluer. C’est ici que se rejoint la qualité des formations, en donnant à chacun et à chacune les possibilités de rebondir et d’apprendre tout au long de sa vie. 

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