Par Olivier Bogillot, Président de Sanofi-France
Dès le discours de la Sorbonne de septembre 2017, prise de position marquante du Président Macron sur la souveraineté européenne, la France a, sur la durée, joué la carte européenne sanitaire en s’appuyant sur certaines de ses propres « success stories » comme les Plans Maladies Rares ou Cancer. Et face à la crise sanitaire et économique que nous traversons, l’affirmation d’une politique de souveraineté et d’investissement à l’échelon européen viendra consolider les avancées des Plans de Relance et Innovation 2030 au niveau national.
Pour le secteur des industries de santé dans son ensemble, c’est un moment déterminant pour la compétitivité et l’attractivité de l’Europe dans la compétition internationale. Il y a une véritable reconnaissance de l’industrie pharmaceutique comme secteur stratégique pour l’Europe et sa souveraineté, et le discours du Président de la République française du 10 décembre 2021 l’a réaffirmé. Pour les indus-tries de santé dans l’Union européenne – qui génèrent 260 000 emplois et plus de 35 milliards d’investissements en R&D – cela se traduira en croissance et en valorisation de l’innovation.
La PFUE(1) démarre dans un moment unique, après presque deux ans de crise COVID.
Libérés du fait de la crise d’un cadre contraignant, les États membres se sont engagés dans des coopérations et des approches pratiques qui doivent continuer. C’est la France qui a été à l’initiative de l’alliance de quatre pays, formée par la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas pour initier l’approche de commande de vaccins au niveau européen dès juin 2020, et avant que la DG Santé ne reprenne la relève. L’Union accélère aussi sa mutation, par exemple avec le programme EU4Health, qui est une réponse ambitieuse de l’UE à la Covid-19 avec un objectif de faire des investissements stratégiques, qui viendront compléter les politiques menées par les pays de l’UE. Enfin, le déroulement de la crise a démontré l’importance des relations entre le politique et l’industriel pour renforcer la résilience des systèmes de santé sur le long terme.
Sur ce plan, on l’a vu pendant la crise, la France a résolument avancé avec et pour l’Europe, comme cadre de référence pour des décisions structurantes, et avec un certain pragmatisme. Sur le plan industriel, la relance française a soutenu l’augmentation des capacités de production des produits de santé, voire leur relocalisation européenne, notamment avec le dossier symbolique du paracétamol.
Ce pragmatisme et le sens d’une action rapide doivent continuer à animer la PFUE. Beaucoup sera l’affaire d’une exécution rapide. Dans cette construction de l’Union de la santé et dans un contexte de compétition globale accrue, que va porter la France pour se faire rejoindre les politiques de santé et celles de souveraineté sanitaire, technologique et industrielle ?
L’action française va dans le bon sens et soutient le renforcement de la coopération européenne en matière de préparation et de gestion des crises sanitaires transfrontalières. L’ambition et le pragmatisme de la BARDA(2) américaine doivent être un modèle à transposer dans les valeurs européennes, et une référence pour développer des outils simples. HERA(3) doit être en mesure de définir des priorités claires qui pourront guider les programmes de recherche et les investissements, et prévoir com-ment les laboratoires pharmaceutiques et la puissance publique pourront cofinancer et anticiper la découverte et la fabrication de traitements et vaccins. L’initiative EU-FAB, qui est le « bras industriel » d’HERA, va mobiliser les investissements pour les capacités de production d’urgence et de réserve. Cela fonctionnera si les montants prévus sont ambitieux et les conditions d’investissements bien définies.
Toujours sur le plan industriel, pour que les incitations soient possibles au niveau de chaque État membre, le PIIEC Santé (projet important d’intérêt européen commun en santé) sera déterminant. La France, à travers le ministère de l’Industrie, a su aller vite en lançant un PIIEC Santé. Et c’est sous l’impulsion française que la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, la Chancelière Merkel et le Président Macron ont annoncé ce PIIEC en mai 2021. La mobilisation des autres États membres sera clé pour une notification rapide dès les premières semaines de la PFUE, dans une com-pétition internationale, où il faut rapidement un modèle européen pour attirer et booster les investissements dédiés à la recherche et au développement de technologies médicales – comme l’ARNm, la bioproduction, le numérique – et leur développement en Europe.
La souveraineté sanitaire sera aussi celle des datas et du numérique au cœur des défis et technologies médicales de demain. Face à la tentation de se tourner vers les solutions venant des USA ou de la Chine, l’Europe doit créer de vraies conditions pour un déploiement et une utilisation sécurisée des données de santé, par les équipes de recherche y compris cli-niques, les starts up et les industriels, les professionnels et les systèmes de santé. Les études en vie réelle (Real World Evidence – RWE) vont apporter de nouveaux savoirs sur l’usage d’un traitement au-delà de la période d’évaluation.
Les défis principaux sont le stockage sur des serveurs européens, l’interopérabilité, et l’harmonisation de la législation à l’échelon européen. Il est primordial que le marché européen soit moins fragmenté pour l’usage des données, et les travaux de la Commission européenne pour le futur Espace Européen des Données de Santé (EHDS) seront déterminants. La France peut porter une véritable ambition pour la souveraineté numérique, forte de l’expérience de son “Health Data Hub” (HDH) qui soutient le développement du RWD (Read world Data) en fournissant un accès centralisé aux données de santé publique.
Par ailleurs, la Stratégie pharmaceutique pour l’Europe, qui est en cours de révision, traite des enjeux d’innovation et d’accès avec la révision de la législation relative aux médicaments orphelins et pédiatriques, les enjeux de disponibilité des médicaments et des produits de santé « pour tous les patients dans l’Union européenne » et une meilleure coordination européenne.
Comment répondre à ces exigences tout en accélérant la découverte et la fabrication des traitements au sein du marché intérieur ?
Face à l’enjeu de la lutte contre les pénuries de médicaments, des mesures comme un packaging européen, une notice digitale, une meilleure cartographie des producteurs de matières premières doivent être mises en place. Cela va demander une grande coordination entre les États membres pour la sécurisation des médicaments essentiels – ceux d’aujourd’hui et les traitements de demain.
Pour la prise en charge des maladies rares, les incitations à l’innovation, et le soutien à la recherche pédiatrique, la France a poussé pour une réouverture de la législation, mais a manqué de clarté sur les objectifs qu’elle visait – alors que le règlement avait porté les effets attendus :mise en commun des connaissances, orientation du financement de la recherche publique, mise en place de politiques et systèmes innovants comme les registres et incitation aux investissements destinés au développement de thérapies innovantes. La France est légitime pour porter courageusement une révision qui préserve l’efficacité du règlement. L’accès renforcé des médicaments innovants pour tous les patients de l’UE viendra d’une accélération et harmonisation des évaluations, et non de critères restrictifs ou d’une obligation de lancement qui, de toute façon, va à l’encontre des besoins de santé publique et des pratiques de la médecine qui diffèrent entre les États membres.
La santé des citoyens européens tient une place centrale dans la construction européenne et l’action de l’UE face à la crise, qui a montré que des progrès immenses et rapides sont possibles avec une impulsion politique et de l’ambition. Cette ambition est attendue de la PFUE comme celle de la poursuite de la construction de l’Union de la Santé. Une notification rapide du PIIEC et l’accélération en vue d’un HERA ambitieux et rapidement opérationnel, viendront booster un mouvement déjà initié pour plus de souveraineté sanitaire et industrielle, et rendront l’UE compétitive pour qu’y soient développés rapidement les technologies les plus porteuses et les traitements de demain.
(1) PFUE : Présidence Française de l’Union européenne
(2) The Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA) provides an integrated, systematic approach to the development of the necessary vaccines, drugs, therapies, and diagnostic tools for public health medical emergencies such as chemical, biological, radiological, and nuclear (CBRN) accidents, incidents and attacks; pandemic influenza (PI), and emerging infectious diseases (EID).
(3) European Health Emergency Preparedness and Response Authority