Nicole ALIX
Chargée de l’Economie sociale et solidaire chez Confrontations Europe
Voici les points principaux du séminaire la conférence sur «Puissance et limites des indicateurs ou mesures d’impact» organisée le 10 février 2015 à Paris par Confrontations Europe en partenariat avec la Caisse des dépôts.
Définir l’impact social et sa mesure soulève autant d’attentes que de questions, mises en avant par l’entrée d’investisseurs privés et de nouveaux philanthropes dans les « entreprises sociales ». De multiples acteurs en promeuvent de multiples définitions, centrées sur leurs priorités, démontre Antonella Noya, en charge à l’OCDE d’un policy brief sur le sujet. La mesure de l’impact est bien plus exigeante qu’un reporting d’activités ou de résultats : elle est censée permettre le lien entre une cause (l’action de l’entreprise) et une conséquence (l’impact), mesure du retour pour les investisseurs. Ceux-ci, privés et publics, disposeraient ainsi d’outils nouveaux dans un contexte de raréfaction de ressources publiques. C’est ce qui a poussé le Comité français sur l’investissement à impact social, sous la conduite de Hugues Sibille dans le cadre du G8, à préconiser d’« innover financièrement pour innover socialement », pour provoquer un effet levier.
Le lien entre le développement de nouveaux outils de mesure, création de marchés et développement de marchés financiers pose la question des potentialités et limites de ces instruments : que sait-on, peut-on exactement mesurer ? sur quelles conventions reposent les nouvelles mesures et quelle est la conscience qu’en ont les utilisateurs lorsqu’ils les appliquent à la définition de politiques ou à leur choix financiers ? Tel était le sujet de la conférence co-organisée par les départements Développement Economique et Economie sociale et Solidaire et l’Institut CDC pour la Recherche, en lien avec le Département ISR et le think tank Confrontations Europe.
L’impact social est entendu comme « effet social positif et mesurable » dans les textes européens sur les « entreprises sociales. La Commission européenne a été chargée de « développer une méthode pour mesurer les gains socio-économiques des entreprises sociales » et « leur impact sur la communauté », pour guider les Fonds européens d’investissement pour l’entrepreneuriat social d’une part et, d’autre part le Programme pour le Changement Social et l’innovation.
Ces questions se situent au cœur de l’évolution de 4 mondes, a expliqué Nicole Alix, de Confrontations Europe : le monde de l’évaluation, tourné désormais vers la mesure et l’audit ; celui de la finance, qui se déplace de la banque vers la finance de marché ; celui des politiques publiques où l’on parle « d’Etat investisseur social, héritier de l’Etat providence » et, enfin, l’ouverture de l’ESS à des formes d’entreprises sans contours statutaires définis.
Eve Chiapello, EHESS, a démontré avec brio comment la mesure de l’impact social est l’un des enfants de la transformation très profonde du système de financement de l’économie et le signe que cette transformation atteint aujourd’hui le financement des activités sociales. C’est ce que l’on désigne habituellement sous le terme de « financiarisation ».Des banques qui connaissaient les entreprises dont elles gardaient les comptes cèdent le pas à des univers d’investisseurs qui, pour opérer leur gestion de portefeuilles, ont besoin de rendu de compte et, pour ce faire, d’une industrie de la mesure. Les expérimentations aléatoires, ne sont pas le « gold standard » de l’évaluation des programmes sociaux, a indiqué Arthur Jatteau. Florence Jany-Catrice a insisté sur les processus de légitimation : qui décide de ce qui compte ? sur quelles conventions reposent les nouvelles évaluations de mesures ? comment monétariser ce qui n’est pas dans le marché ? quelle conscience en ont les utilisateurs ? le politique ne cède-t-il pas le pas à l’investisseur et au « chief data officer » ?
Les investisseurs réunis pour en débattre autour de Benoît Lallemand, de Financewatch, ont semblé loin de l’’industrie financière internationale qui développe des outils de reporting et de rating en vue de la gestion d’une possible nouvelle classe d’actifs. Les chiffres de Eurosif, commentés par Dominique Blanc, de Novethic, montrent que l’ISR « best in class » est plus à la peine que les logiques « simples » d’exclusion. Sophistication des critères et croissance des ressources ne vont pas forcément de pair, c’est aussi ce qu’indique l’expérience de Henry de Cazotte à l’AFD et à la coordination pour la France du référentiel mondial des objectifs post 2015 : peut-on piloter le monde avec des tableaux de bord ? Ce n’est pas la mesure qui fait bouger le monde, même si toute organisation fiduciaire doit rendre des comptes, selon Jean-Louis Bancel, président du Crédit Coopératif. Compter, c’est un outil parmi d’autres, le processus de valorisation est aussi important que le résultat, c’est le quotidien de Pierre Fery dans l’évaluation des investissements de la CDC, qui applique la bible du rapport Quinet à l’évaluation, surtout quand il n’y a pas de marché.
Faisons ressortir les conventions à l’œuvre derrière les conventions de mesure, a conclu Matthieu de Nanteuil. Pluraliser les outils de mesure, et, surtout, en débattre : la confrontation de la mesure au corps social nécessite une scène pour la négociation collective, au plan des territoires et au plan international. Des échanges passionnants, vers de prochaines étapes ?
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