Par Fadia Korbi, Maître de conférences, CNAM
L’alimentation est un marqueur de pauvreté, largement invisible et rendant compte de façon forte les inégalités sociales actuelles. Dans le contexte inflationniste actuel, la précarité alimentaire constitue une problématique de plus en plus inquiétante qui touche un nombre croissant de personnes dans le monde. Les conflits, les événements météorologiques extrêmes et les chocs économiques figurent parmi les principales causes de la précarité alimentaire.
Selon le rapport de la Banque mondiale sur la sécurité alimentaire (novembre 2024), l’invasion de l’Ukraine par la Russie a donné lieu à une vague de mesures sur les exportations et les importations de denrées alimentaires. La crise alimentaire mondiale a été en partie aggravée par l’intensification des restrictions commerciales mises en place par les pays sur les produits alimentaires et les engrais dans le but d’accroître l’offre intérieure et de faire baisser les prix. Au mois de novembre 2024, 17pays ont imposé 22interdictions d’exportation sur certains produits agricoles et huit pays ont adopté 12mesures de restriction des exportations.
En Europe, la situation est loin d’être rassurante. La pauvreté et la faim continuent à augmenter, principalement en raison de l’inflation. Dans 33 des 37 pays européens, l’inflation des denrées alimentaires a dépassé l’inflation globale. Dans l’Union européenne, bien que l’inflation ait ralenti entre 2023 et 2022, pour passer de 11,5 % à 3,6 %, l’inflation des denrées alimentaires demeure élevée; les ménages continuant de lutter contre la perte du pouvoir d’achat. Pour comparer la situation par rapport à 2022, le taux d’inflation des produits alimentaires (y compris les boissons non alcoolisées) n’avait pas dépassé 3,5 % dans l’UE jusqu’à la mi-2022. Il a atteint 3,9 % en août 2022, avant d’atteindre 10,9 % en mars 2023. Si l’on considère les quatre pays les plus peuplés de l’UE, le taux d’inflation réelle des produits alimentaires en 2022 s’élèvait à 3,5 % en France, 3,7 % en Allemagne,
4,9 % en Italie et 5,9 % en Espagne.
En France, 16% des Français déclarent de ne pas avoir les moyens de manger à leur faim, selon le rapport du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (mai 2023). Une telle conséquence est malheureusement attendue, compte tenu de l’inflation qui touche l’alimentation. Les personnes concernées par cette étude cumulent souvent d’autres formes de vulnérabilités, notamment vis-à-vis de leur santé ou de leur logement. Ces phénomènes sont une conséquence directe de la pauvreté. En 2022,14,4 % de la population française, soit 9,1millions de personnes, vivent avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté monétaire, fixé à 1 216euros par mois pour une personne seule et à 2 554euros pour un couple avec deux enfants âgés de moins de 14ans (Rapport de l’Insee, 2022).
Les étudiants confrontés à une précarité alimentaire sans précédent en France
La précarité alimentaire ne se limite pas aux personnes sans emploi ou vivant en dessous du seuil de pauvreté. Elle touche également des catégories de population souvent marginalisées tels que les travailleurs pauvres, les familles monoparentales, les personnes âgées, et de plus en plus, les étudiants. Selon le rapport de l’Insee, parmi les 1 169 000 personnes recourant à l’aide alimentaire en 2022, 500 000 étaient âgées de 15 à 25 ans, principalement des étudiants, ce qui représente environ 4 % de la population étudiante.
Les étudiants recourant à l’aide alimentaire présentent un profil distinct : hommes et femmes y ont recours dans des proportions égales, et une proportion importante (plus de 80 %) sont étrangers, la majorité étant arrivés en 2021. La crise sanitaire a joué un rôle déterminant, puisque 83 % des étudiants ayant sollicité cette aide l’ont fait après mars 2020, avec un quart d’entre eux basculant directement dans l’aide alimentaire en raison de la crise.
Selon le baromètre annuel de la précarité étudiante établi par l’association COP1-Solidarités Étudiantes en collaboration avec l’IFOP (Institut Français d’Opinion Publique) auprès de 910 étudiants bénéficiaires des services de l’associationii, plus d’un tiers des étudiants interrogés (36 %) déclarent devoir sauter des repas faute d’argent, et près d’un sur cinq (19 %) ne mange pas à sa faim, soit un chiffre deux fois supérieur à celui de la population générale. Malgré l’existence des restaurants du CROUS, seulement 54 % des étudiants les fréquentent régulièrement, freinés par des obstacles tels que l’éloignement (23 %), les files d’attente (17 %), ou des prix jugés trop élevés (13 %), surtout depuis la restriction de la mesure des repas à 1€. Selon le même rapport, les étudiants adoptent diverses stratégies pour faire face à ces difficultés : cuisiner des repas moins coûteux (58 %), réduire les portions (43 %), ou recourir à l’aide alimentaire (18 %). Même si une légère amélioration a été observée (la proportion d’étudiants limitant ou renonçant à des achats alimentaires est passée de 49 % en 2023 à 41 % en 2024), le problème reste inquiétant.
Cette opportunité pour l’Europe, la Commissaire désignée à la souveraineté technologique est tout indiquée pour la saisir. L’objectif est indiqué dans sa lettre de mission en des termes clairs : « vous aurez la charge de stimuler l’innovation en matière d’intelligence artificielle, en la rendant plus sûre et plus digne de confiance ». Ce sujet représente l’un des chevaux de bataille de Virkkunen qui, peu après sa désignation, avait déclaré que l’Europe devrait devenir le « continent de l’IA », un propos réitéré lors de l’audition.
Ces chiffres témoignent d’une précarité alimentaire exacerbée par l’inflation, qui vient s’ajouter aux conséquences de la crise du Covid-19. La pandémie a entraîné une chute des revenus pour bon nombre d’entre eux, notamment en raison de la perte d’emplois dans l’hôtellerie-restauration ou les cours particuliers, et d’une diminution du soutien familial. Une enquête de la FAGE (Fédération des associations générales étudiantes) auprès de 7 531 étudiants entre le 23 septembre et le 10 décembre 2023 révèle que 41 % des étudiants doivent travailler pour financer leurs études et un tiers de ces derniers, doit exercer une activité plus de 12 heures par semaine. C’est donc près de la moitié des étudiants qui doivent cumuler emploi et études, faisant de la précarité le principal facteur d’échec
académique !
Les épiceries solidaires des Banques Alimentaires pour venir en aide aux étudiants
En première ligne dans la lutte contre la précarité alimentaire, les Banques Alimentaires intensifient leur soutien en faveur des étudiants. En 2023, ce sont près de 6 000 jeunes qui ont été accompagnés par les ESOPE, épiceries solidaires dédiées aux étudiants, créées par les Banques Alimentaires de Bourges, Toulouse et Clermont-Ferrand.
Une augmentation de 42 % du nombre d’étudiants accueillis au sein de ces structures souligne l’ampleur de la demande.
Les ESOPE représentent un mode de distribution de l’accompagnement alimentaire qui respecte la dignité de chacun. En effet, les ESOPE fonctionnent comme les superettes en permettantaux étudiants d’acheter des produits alimentaires et d’hygiène à des tarifs très réduits, avec une économie pouvant atteindre 90% par rapport aux prix en grande surfaceiv. Au-delà de l’aide alimentaire, les ESOPE favorisent l’inclusion sociale et l’autonomie des étudiants.
Ainsi, ces dispositifs mettent en lumière le rôle des Banques Alimentaires comme des acteurs pionniers de l’innovation sociale. L’innovation sociale « est une forme spécifique d’innovation qui permet de créer une valeur sociale mesurée par l’émancipation et l’autonomie qu’elle confère à des populations marginalisées ». Celle-ci est présente à la fois dans le développement économique et le développement social. En créant de la valeur économique, l’innovation sociale permet de résoudre un problème social qui touche une cible de consommateurs potentiels exclus d’un marché ou servis par des solutions inefficaces, voire par des solutions qui les maintiennent en situation de dépendance. Dans cette perspective, les ESOPE représentent un dispositif d’innovation sociale, combinant à la fois une valeur économique et un impact social pour les étudiants. Conformes à leur éthique, les Banques Alimentaires intensifient le développement de ces initiatives, soutenues par l’engagement de leurs bénévoles, partenaires, et mécènes.
A propos des Banques Alimentaires
Premier réseau national d’aide alimentaire avec 110 implantations y compris en Outre-mer, les Banques Alimentaires collectent chaque année sur tout le territoire près de 123 000 tonnes de produits, soit 224 millions de repas, auprès de l’industrie agroalimentaire, des agriculteurs, de la grande distribution et du grand public, avec le soutien de l’Union européenne et de l’État. Grâce à plus de 7 000 bénévoles et 500 salariés, elles accompagnent 2,4 millions de personnes en situation de précarité alimentaire à travers 6 029 associations, CCAS et épiceries sociales partenaires. Les Banques Alimentaires sont spécialistes de l’accompagnement social par l’alimentation, notamment via le programme “BONS GESTES, BONNE ASSIETTE” et développent des projets innovants et locaux à fort impact social (ateliers de transformation de produits alimentaires, développement de circuits courts et solidaires, dispositifs itinérants).