Pourquoi l’élargissement de l’UE est-il en panne ?

Dušan RELJIC

Directeur du bureau de Bruxelles de l’Institut allemand pour les affaires internationales et la sécurité (SWP), Berlin

L’adhésion des pays des Balkans occidentaux à l’Union européenne traîne. En cause la structure même des relations économiques et politiques établies entre l’UE et ces pays.

Ce n’est pas le Brexit ou l’euroscepticisme qui bloque l’adhésion à l’UE de la majorité des États de l’ancienne République yougoslave et de l’Albanie. Si ces pays étaient riches et dotés d’institutions politiques établies comme la Norvège ou la Suisse, la classe politique et les peuples de l’UE les accueilleraient certainement à bras ouverts. En l’état actuel, les pays des Balkans occidentaux semblent représenter un risque financier et politique et les dirigeants européens jugent plus sage de les tenir à l’écart. Toutefois, les décideurs et les faiseurs d’opinion de l’UE n’ont pas conscience de la véritable source des dangers : c’est précisément la structure des relations économiques et politiques établies entre l’Europe et les Balkans occidentaux qui condamne les candidats à une adhésion à l’UE à rester à la traîne.

Entre 2005 et 2015, le déficit commercial de ces pays avec l’UE a atteint près de 94 milliards d’euros. Les exportations nettes de l’Europe vers les Balkans occidentaux (principalement d’Allemagne et dans une moindre mesure d’Italie) augmentent le produit intérieur brut des pays de l’UE tout en étant déduites du bilan des États des Balkans occidentaux, qui avec la Moldavie, font partie des pays les plus pauvres d’Europe. Afin de pouvoir payer la facture des importations face aux caisses publiques exsangues, les Balkans occidentaux continuent de contracter de nouveaux prêts – principalement auprès de banques dont le siège social se trouve dans l’UE. On estime la dette extérieure actuelle de la région supérieure à 100 milliards d’euros. Cette somme est cinq à six fois supérieure à celle de la dette extérieure de la Yougoslavie avant que le pays n’implose il y a un quart de siècle. Cette comparaison est tout à fait pertinente quand on sait que c’est ce qui a principalement motivé alors la décision des dirigeants slovènes et croates (deux pays, désormais États membres de l’UE) de se séparer du reste de la fédération yougoslave multiculturelle. Ils insistaient sur le fait qu’ils ne voulaient absolument pas voir compromettre leur progression vers l’Occident en raison de la situation désespérée des régions les plus pauvres de la fédération.

Perte d’espoir des jeunes
Les gouvernements et les peuples européens ne voient pas pourquoi ils devraient accepter les Balkans occidentaux pauvres comme nouveaux membres car les chances d’une convergence économique avec l’UE sont minces. Bien au contraire, les retombées de la crise de la zone euro sur les Balkans occidentaux et leur manque de compétitivité sur les marchés mondiaux dans un contexte de vieillissement rapide de la population et des phénomènes d’émigration croissants de la région indiquent que la dégradation socio-économique va s’accentuer.

Selon une récente étude publiée par la London School of Economics (LSE), il est « presque inenvisageable » d’améliorer la compétitivité des pays des Balkans occidentaux et d’induire la croissance par les exportations en poursuivant les politiques d’austérité. L’Institut viennois d’Études économiques internationales (WIIW) a souligné que ces pays se sont engagés dans l’amortissement fiscal pour tenter d’améliorer la compétitivité. Ils ont augmenté les taux de TVA tout en diminuant l’impôt sur le revenu et les cotisations sociales. Toutefois, dans le même temps, l’amortissement fiscal « a représenté une charge supplémentaire pour les groupes à faible revenu tout en faisant bénéficier les personnes aux revenus les plus hauts d’un allègement fiscal ». Si on y ajoute la piètre performance des institutions judiciaires et autres institutions politiques et la corruption endémique, on comprend alors pourquoi la majorité des citoyens des Balkans occidentaux, et en particulier les jeunes (le taux de chômage chez les jeunes de la région se situe entre 40 et 70 %), perdent espoir et ne croient plus que les perspectives pourraient s’éclaircir de leur vivant. Branko Milanović, l’un des experts les plus réputés au monde dans le domaine des inégalités sociales et des revenus, professeur à la City University de New York, conseille aux jeunes des pays pauvres d’émigrer vers les régions riches. Seul moyen pour eux d’améliorer leurs chances.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur.

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