Philippe MAYSTADT
Président de l’Académie de Recherche et d’Enseignement supérieur (Bruxelles)
Difficile de tout attendre de la politique monétaire. La zone euro ne s’en sortira que s’il y a une véritable stimulation des investissements. C’est là que la puissance publique doit jouer un rôle moteur alors que le secteur privé demeure encore bien trop frileux en cette période d’aversion au risque. Philippe Maystadt propos des mesures correctrices simples à mettre en place.
Les économies de la zone euro continuent à souffrir d’anémie et ce n’est pas la seule politique monétaire qui les guérira. Certes, l’« assouplissement quantitatif » pratiqué par la BCE a entraîné une dépréciation de l’euro par rapport au dollar et amélioré la position de nos exportateurs. Mais, dans un contexte de ralentissement de la plupart des pays émergents, ce n’est évidemment pas suffisant pour revigorer nos économies.
La BCE a annoncé une intensification de sa politique. Quelles en seront les conséquences ? Très probablement le maintien de taux d’intérêt extrêmement bas et donc une diminution du poids du service de la dette. Mais un impact positif sur l’économie ne se fera sentir que dans la mesure où cette liquidité additionnelle est affectée à des investissements productifs. Or, rien n’est moins sûr. Même le rachat d’obligations de sociétés non bancaires, que la BCE a l’intention de mettre en œuvre à partir du 3ème trimestre 2016, n’aura pas nécessairement l’impact positif attendu. D’abord parce que ce rachat ne pourra porter que sur les obligations des sociétés « les mieux cotées par les agences de notation », c’est-à-dire des grandes sociétés qui ont déjà pour la plupart une liquidité abondante. L’opération n’aura un impact positif que si la société concernée affecte le produit des emprunts à des investissements additionnels plutôt qu’au refinancement de dettes existantes ou au rachat de ses propres titres.
Intervention publique nécessaire
On ne peut pas tout demander à la politique monétaire. Celle-ci doit être complétée par d’autres politiques visant à stimuler l’investissement, à commencer par l’investissement public. Celui-ci est crucial pour au moins deux raisons. Premièrement, parce que le secteur privé hésite à investir davantage : la crise financière l’a rendu plus réticent à prendre des risques et il y a trop d’incertitudes qui planent sur l’économie mondiale. Il faut donc que le secteur public montre la voie en réalisant des investissements en infrastructures ou en recherche qui améliorent la productivité et augmentent le potentiel de croissance. Deuxièmement, parce qu’une partie des investissements indispensables pour lutter contre le changement climatique ne peut se réaliser sans intervention publique.
Le coût de financement actuellement extrêmement bas devrait logiquement favoriser une relance de l’investissement public. Plusieurs États membres peuvent aujourd’hui emprunter à long terme à un taux proche de 0%. Il y a certainement beaucoup de projets d’investissement qui ont un taux de retour largement supérieur. Un gouvernement qui emprunte à très bas taux d’intérêt et qui investit cet argent dans des projets qui ont un taux de retour plus élevé stimule la croissance économique et rend le remboursement ultérieur plus facile. C’est ce qu’a souligné le FMI : « debt-financed projects could have large output effects without increasing the debt-to-GDP ratio, if clearly identified infrastructure needs are met through efficient investment ». Ce n’est rien d’autre que le rappel de la véritable « règle d’or » : un État ne peut pas emprunter pour financer ses dépenses courantes mais il peut emprunter pour financer des investissements productifs qui augmentent le potentiel de croissance et génèrent des revenus additionnels dans le futur.
Freins à l’investissement
Malheureusement, dans la zone euro, l’investissement public continue à décliner relativement au PIB parce que des règles budgétaires et comptables le découragent. Il en est ainsi du Pacte de stabilité et de croissance qui impose un objectif de moyen terme mais qui ne fait aucune distinction entre dépenses courantes et dépenses d’investissement. De nombreux gouvernements préfèrent dès lors réaliser les coupes budgétaires dans les secondes puisqu’il est électoralement moins dangereux de reporter un investissement en infrastructure ou en recherche que de réduire une allocation ou un subside. Autre choix portant atteinte au développement de l‘investissement pbulic : les normes SEC 2010, telles qu’elles sont désormais appliquées par Eurostat, obligent à porter l’investissement en compte entièrement sur un exercice au lieu de l’imputer sur plusieurs exercices sous forme d’amortissements.
Deux mesures correctrices
Ces freins à l’investissement résultent de règles européennes. Il appartient donc aux autorités européennes de prendre les mesures correctrices. Elles ont commencé à agir, en particulier avec le lancement du Fonds européen d’investissements stratégiques (FEIS), élément-clé du » Plan Juncker ». Celui-ci, initialement conçu pour attirer des fonds privés, admet aussi des co-financements publics. Dans des « clarifications » sur l’application des règles du Pacte de stabilité et de croissance, la Commission a indiqué que les dépenses publiques nationales pour le co-financement de projets financés par le FEIS bénéficieront de la « clause d’investissement » au sens du Pacte de stabilité, c’est-à-dire de l’autorisation de dévier temporairement de la trajectoire vers l’objectif budgétaire de moyen terme. Toutefois, pour bénéficier de ce traitement plus favorable, diverses conditions doivent être remplies, dont celle qui exige que le déficit public ne dépasse pas la limite des 3% du PIB. Ce qui, dans les circonstances actuelles, revient à exclure du bénéfice de cette clause plusieurs pays où les besoins d’investissement sont bien réels. D’où notre proposition : que les dépenses publiques nationales puissent bénéficier du traitement plus favorable lorsqu’elles servent à co-financer un projet analysé, approuvé et financé par le FEIS, sans exiger de conditions supplémentaires.
Une autre mesure, relativement simple, consisterait à intégrer explicitement la problématique des investissements publics dans le « semestre européen ». Dans ce cadre, la Commission propose et le Conseil adopte des recommandations pour chaque État membre ; celles-ci pourraient inclure une recommandation sur le niveau minimum d’investissements publics à maintenir sur le moyen terme (pas nécessairement le même pour chaque État membre). Ensuite, dans l’avis qu’elle doit remettre à chaque État membre sur son projet de budget pour l’année à venir, la Commission pourrait vérifier si cette recommandation est respectée. En outre, le traitement plus systématique et plus approfondi de la problématique des investissements publics dans le cycle budgétaire européen pourrait favoriser une meilleure coordination des programmes d’investissements nationaux. Ce serait particulièrement utile dans les secteurs du transport et de l’énergie.
On entend souvent dire que les gouvernements ne peuvent pas emprunter pour des investissements parce que cela reporterait la charge sur nos petits-enfants. Mais nos petits-enfants nous demanderont plutôt pourquoi nous n’avons pas investi davantage dans les transports publics ou la transition énergétique alors que les conditions de financement étaient exceptionnellement favorables.
Les récents débats au sein de la FED comme de la BCE ne font que refléter ces incertitudes.
IMF, World Economic Outlook, 2014, cité par P De Grauwe : « Monetary Policy and Public Investment », CEPS, 14/01/2016.