Sir Graham WATSON
Député européen de 1994 à 2014, actuellement membre du Comité économique et social européen
Le vote en faveur du Brexit a donné lieu à une série de déclarations aussi violentes qu’antinomiques : les dirigeants européens et les ministres de certains États membres pressent le Royaume-Uni de quitter le navire tandis que les responsables politiques britanniques jouent la montre et que David Cameron appelle son pays à ne pas tourner le dos à l’Europe.
Après la France, l’Irlande et les Pays-Bas, le Royaume-Uni a exprimé son rejet de l’UE dans un référendum. Le résultat a cette fois encore surpris tout le monde : le gouvernement n’y était pas préparé et la situation n’est pas réglée pour autant.
51,9 % des votants se sont prononcés pour la sortie de l’Europe, contre 48,1 % en faveur du maintien, mais rares sont les localités dans lesquelles on retrouve ce résultat. Dans la plupart d’entre elles, la répartition des voix est de deux tiers pour un camp et un tiers pour l’autre, et laisse la Grande-Bretagne écartelée. Pour reprendre un trait d’humour noir entendu ce samedi lorsque le Pays de Galles a battu l’Irlande du Nord 1 à 0 lors de l’Euro de football, « c’est la seconde fois en trois jours que le Pays de Galles sort l’Irlande du Nord de la scène européenne ».
Les raisons de ce vote sont nombreuses et diverses, et on ne peut pas dire que le résultat représente l’opinion ferme des citoyens britanniques. Les électeurs qui se sont prononcés en faveur de la sortie sont principalement issus des régions où les revenus sont les plus bas, et les électeurs en faveur du maintien sont ceux dont le niveau d’instruction est le plus élevé. Les personnes âgées ont cherché à restaurer un passé plus glorieux, tandis que les jeunes souhaitaient construire un avenir pour l’Europe. À Gibraltar, plus de 95 % des votants se sont prononcés en faveur du maintien dans l’UE. En Écosse, en Irlande du Nord et à Londres, les électeurs ont également affiché clairement leur attachement à l’Union européenne. Plus qu’un rejet motivé de l’adhésion à l’UE, il faut voir dans ce résultat un cri de détresse face aux inégalités, aux ravages de la mondialisation des marchés et à l’indifférence manifeste de l’élite au pouvoir. La question que l’on a posée aux gens, c’est « Ça va ? »(1), et la majorité a répondu, façon Révolution française, « Ça ira !»(2).
Le châtiment ne s’est pas fait attendre et a été impitoyable. Les marchés financiers se sont effondrés. Les élites dirigeantes du Royaume-Uni et de l’UE ont passé un week-end horrible. Le Premier ministre qui avait fait campagne en faveur du maintien a porté un coup à ses adversaires en refusant d’invoquer l’article 50, sachant que sur le plan intellectuel ils étaient incapables de justifier leurs arguments, même entre eux. Les leaders de la campagne pour la sortie de l’UE sont très vite revenus sur leurs promesses de mettre un terme à l’immigration et d’injecter plus d’argent dans le système de santé. Les 48 % en faveur du maintien ont lancé une pétition qui a récolté plus d’un million de signatures par jour depuis le référendum. L’Écosse, dont le Royaume-Uni doit obtenir l’accord pour pouvoir invoquer légalement l’article 50, a exprimé son intention de rester dans l’UE malgré la sortie de l’Angleterre et du Pays de Galles. Une campagne a même vu le jour pour demander l’indépendance de la ville-État de Londres.
Conseil européen divisé
À Bruxelles, les présidents des trois grandes institutions ont déclaré les termes renégociés par David Cameron nuls et non avenus, et ont martelé de façon collégiale l’équivalent de l’appel d’Oliver Cromwell au Parlement croupion en 1652 : « You have been sat here too long for any good you have been doing. Depart and let us have done with you! In the name of God, go!(3) » Le Commissaire britannique, un homme bien mais timoré, les a pris au mot. Le président du Conseil Donald Tusk a, comme à son habitude, invité les chefs d’État et de gouvernement à assister à la séance du Conseil européen, mais sur l’ordre du jour, il est indiqué que la deuxième journée est réservée à des discussions entre les 27 États membres, et non 28. Les ministres des Affaires étrangères des six pays fondateurs se sont rencontrés le lendemain et ont fait une déclaration semblable. À leurs yeux, le Royaume-Uni a déjà invoqué l’article 50. Angela Merkel est la seule à avoir adopté une approche plus tempérée en déclarant qu’il n’était pas nécessaire que la demande de sortie soit déposée immédiatement, et qu’il n’y avait aucune raison que les négociations se déroulent dans un climat hostile.
Des premières réactions hâtives ont ravivé les feux qui font rage à Londres et à Bruxelles. Le parti conservateur britannique semble incapable de gouverner le pays et va sans doute procéder à la dissolution du Parlement. Le Labour s’est empressé de se retourner contre son leader Jeremy Corbyn, qui a mené campagne sans conviction pour tenter de rallier les électeurs du Labour dans le nord de l’Angleterre à David Cameron. Le coup de sang des chefs de la diplomatie des six pays fondateurs ne devrait pas rencontrer un écho favorable à Budapest, Varsovie ou Copenhague. Le Conseil européen sera de fait divisé.
Seul le temps nous permettra de dire comment tout cela va finir. Le Royaume-Uni a besoin de 12 à 16 semaines pour mettre de l’ordre dans ses affaires. Si l’UE s’en tient au droit, elle se doit de suivre à la lettre l’article 50.
1) En français dans le texte original
2) Idem
3) « Vous êtes assis là depuis bien trop longtemps sans avoir rien fait de bon. Partez, que l’on soit débarrassé de vous ! Partez, au nom de Dieu ! »