Auteur : Pierre Moscovici
commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes (2014-2019)
La Commission Juncker a placé au cœur de son action la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Et si les avancées de la dernière Commission dans le domaine fiscal sont nombreuses, des points de blocage perdurent en raison des divergences entre États membres. Analyse du commissaire Pierre Moscovici à l’aube de ce nouveau mandat.
Le 1er novembre 2019, la Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen entrera en fonction. Une grande responsabilité repose sur ses épaules et les défis qui l’attendent sont nombreux. Je pense à la lutte contre le réchauffement climatique ou au renforcement de la zone euro mais je suis convaincu qu’il faut ajouter à ces chantiers prioritaires celui de la réforme de la fiscalité européenne, pour laquelle je me suis battu tout au long de mon mandat de Commissaire européen.
En novembre 2014, lorsque Jean-Claude Juncker me confia le portefeuille de la fiscalité, j’ai d’abord cru à un cadeau empoisonné. La fiscalité restant l’une des rares politiques de l’Union européenne pour laquelle les décisions sont prises à l’unanimité des États membres, elle était perçue comme une arlésienne qui ne se réalisera jamais.
Ces cinq dernières années, nous sommes parvenus à inverser la tendance et à inscrire la fiscalité tout en haut de l’agenda européen. Non pas du fait de ma seule détermination mais grâce à l’intervention d’acteurs extérieurs, notamment du consortium international des journalistes et du lanceur d’alerte français, Antoine Deltour, qui révélèrent au grand public le scandale « Lux Leaks ». Cette affaire, et les nombreuses lui succédant, ont servi d’électrochoc pour les citoyens européens et nous ont donné le carburant politique nécessaire pour sortir les États membres de leur inertie.
Je suis fier des progrès que nous avons réalisés pour réformer la fiscalité européenne. Nous avons mené une offensive inédite contre la fraude et l’évasion fiscales en abolissant le secret bancaire
et en imposant une obligation de transparence aux intermédiaires fiscaux. En adoptant pour la première fois une liste noire des paradis fiscaux, l’Union européenne s’est également imposée comme un leader mondial en matière de bonne gouvernance fiscale. Notre initiative a poussé plus de 60 pays à modifier leur fiscalité et a fait de la transparence fiscale une des priorités des discussions internationales dans le cadre du G20.
Verrou de l’unanimité
Nous n’avons pas tout réussi pour autant. Les propositions que j’ai portées pour renforcer la convergence fiscale dans l’Union européenne – notamment la réforme de la TVA et la taxe sur le numérique – n’ont pas surmonté le verrou de l’unanimité. Je sais que la convergence fiscale effraie et qu’elle implique, pour beaucoup, que la Commission pourrait décider seule du taux ou de l’assiette des impôts. Mais ce n’est ni une prérogative de la Commission, ni notre ambition. Nos seules motivations sont de faciliter la vie des entreprises européennes, de consolider le marché intérieur et de lutter contre la fraude et l’optimisation fiscales qui, chaque année, privent les États membres de milliards d’euros de recettes fiscales. Ce sont les citoyens européens qui en paient le prix !
Aujourd’hui, ces citoyens attendent légitimement que la prochaine Commission poursuive le combat pour la justice fiscale. La forte participation aux élections de mai 2019 démontre que les Européens ont conscience de la capacité d’action de l’Union européenne. Nous devons ainsi être à la hauteur des espoirs qu’ils ont placés en l’Europe pour avancer sur des problématiques qui sont au cœur de leurs préoccupations.
En matière fiscale, je crois que la priorité doit être la réforme de la taxation de l’énergie. Inchangée depuis 2004, elle est devenue totalement incompatible avec l’ambition de la présidente Ursula von der Leyen de faire de l’Europe un continent climatiquement neutre d’ici 2050. C’est une des réformes que j’ai portée durant mon mandat mais, en raison de désaccords profonds entre les États membres, la Commission a dû retirer sa proposition en 2015. Selon moi, le moyen le plus efficace de concrétiser cette réforme, et bien d’autres, est le passage du vote de l’unanimité à la majorité qualifiée en matière fiscale et je me réjouis que la présidente de la Commission se soit engagée à formuler une proposition en ce sens.
Après le temps des annonces et des professions de foi, doit venir celui de l’action et des résultats concrets, tant sur les sujets fiscaux que climatiques, migratoires ou numériques. Les responsables européens ont cinq ans devant eux pour agir et convaincre, une bonne fois pour toutes, les citoyens que l’Europe est l’échelle d’action la plus efficace pour répondre aux défis du xxie siècle. C’est une chance unique qu’il ne faut pas gâcher !