Plaidoyer pour une armée européenne

Frédéric MAURO

Journaliste à Bruxelles, spécialiste des questions de défense

Olivier JEHIN

Avocat au barreau de Paris, établi à Bruxelles

Emmanuel Macron et Angela Merkel ont proclamé de concert la nécessité d’une armée européenne, en novembre 2018 et à nouveau lors de la signature du nouveau traité franco-allemand, le 22 janvier à Aix-la-Chapelle. Un projet qui a suscité critiques et remous.

Jamais avares en sarcasmes, les eurosceptiques et conformistes de tous bords ont aligné depuis les contre-vérités historiques, dont la plus contestable est qu’il ne saurait y avoir d’armée européenne en l’absence d’une nation européenne, alors qu’au contraire l’histoire montre que c’est presque toujours l’armée et la guerre qui ont forgé les nations.

La vérité est que l’idée d’armée européenne fait peur. Synonyme d’autonomie stratégique, elle agace à l’extérieur de l’Union. Et parce qu’elle implique l’intégration, elle irrite à l’intérieur tous ceux qui s’accrochent à l’illusion de leur souveraineté passée.

Pourtant, la défense européenne est populaire. Selon l’Eurobaromètre, les Européens sont en moyenne 75 % à plébisciter la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), sorte de proto-armée européenne.

Alors avant de condamner l’idée au prétexte que sa mise en œuvre serait impossible, interrogeons-nous sur le fait de savoir si elle est souhaitable.

Les armées nationales européennes sont l’héritage d’une époque révolue dans laquelle des États-nations s’affrontaient sur un champ de bataille qui leur était parfaitement connu. L’effet de masse conjugué à l’effet de surprise et à la rapidité de la manœuvre pouvaient suffire à Napoléon, Joffre ou Rommel pour emporter la bataille. Toutes les nations pouvaient avoir une armée. Aujourd’hui, la donne a changé : dans un espace-temps qui n’est pas la guerre, mais qui n’est pas non plus la paix, les États européens ne sont plus en mesure de constituer de façon solitaire une capacité d’action dans les cinq théâtres d’affrontement que sont la terre, la mer, l’air, l’espace et le cyber.

Les capacités militaires critiques, censées apporter la victoire ou compenser un déséquilibre quantitatif, sont désormais hors de portée des États européens en termes de coûts d’acquisition et plus encore de développement. Plus les armements sont sophistiqués, plus les coûts explosent. Cette explosion conjuguée à une décroissance des budgets a provoqué un redoutable effet de ciseau qui s’est traduit par des réductions considérables des formats des armées, la prolongation des équipements bien au-delà de leur date de péremption, le non-remplacement de capacités et un sous-investissement chronique dans la recherche et la technologie.

L’OTAN n’est plus une alliance mais un protectorat

Conscientes de cette situation, les nations européennes ont cherché refuge dans l’OTAN, c’est-à-dire auprès des Américains.

Durant la Guerre froide, l’OTAN a fonctionné au bénéfice exclusif des Européens. Elle a été le bouclier qui a empêché le pouvoir soviétique de pousser plus loin sa mainmise sur les peuples d’Europe centrale. Les Européens savent que leur défense ne vaut que par la garantie et les moyens des États-Unis. Ils se sont persuadés, à tort, que les Américains seront toujours là.

Donald Trump n’a fait qu’exacerber une tendance amorcée avant lui et qui se poursuivra après lui. Les Américains ont pris conscience que leur véritable compétiteur stratégique était la Chine et font le constat que, militairement, les Européens ne leur apportent rien. Pourquoi donc les soutenir à bout de bras ?

D’allié bienveillant, les États-Unis sont devenus un hégémon autoritaire qui monnaye sa protection et s’en sert pour imposer sa ligne politique et obtenir des avantages commerciaux.

Dans un monde de plus en plus dangereux, l’Europe ne peut plus se rêver en une vaste Suisse. Quand on est vieux, riche, incapable de se défendre, et entouré de voisins agressifs, le pacifisme n’est pas la solution.

L’Europe a bien essayé de multiplier les programmes, les projets, les fonds et les institutions tout en laissant intouchée la souveraineté des États membres. Mais cette « Europe de la défense » n’a permis ni de répondre aux crises récentes ni d’acquérir des équipements militaires en nombre et en qualité suffisants.

En dépit de toutes les initiatives récentes, la défense européenne ne produira pas une capacité militaire autonome, tout simplement parce qu’elle a vingt-sept cerveaux et un seul bras, atrophié de surcroît : la politique de sécurité et de défense commune. Cela ne marchera jamais. Ni maintenant, ni dans cent ans. La coopération nous a conduits dans l’impasse. Seule, l’intégration peut nous en sortir. Et c’est bien dans l’intégration que se trouve l’autonomie stratégique : comme l’ont prouvé MBDA et Airbus du point de vue industriel ou Galileo du point de vue opérationnel.

L’Union européenne a besoin d’une armée, pour se défendre et pour rester unie. Ce n’est pas une option. C’est une nécessité.

L’article a été publié dans le journal La Croix dans une version un peu plus longue : https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Plaidoyer-armee-europeenne-2019-03-29-120101216

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