Federico SANTOPINTO
Chercheur au Groupe de recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité (GRIP)
Les États membres ont-ils vidé de son sens la « coopération structurée permanente » (CSP ou PESCO) ? Pour Federico Santopinto, chercheur au GRIP, PESCO repose sur des engagements « apolitiques » et « inconsistants » qui ne lui permettront pas de répondre à l’ambition de départ.
En décembre 2017, lors de son adoption, la Coopération structurée permanente (CSP), plus connue sous son acronyme anglais PESCO(1) a été présentée comme un tournant pour la défense européenne. La Haute représentante pour la politique étrangère de l’Union, Federica Mogherini, n’a pas hésité à qualifier ce moment d’« historique ». Pourtant, tous ne partagent pas ce même enthousiasme. L’ancien directeur général de l’Agence européenne de défense, Nick Witney, par exemple, s’est montré très critique vis-à-vis d’une initiative dont il ne perçoit pas la valeur ajoutée.
Dans son esprit d’origine, PESCO avait pour ambition de réaliser deux choses que la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’UE ne permettait pas de faire : regrouper les pays les plus volontaires en une avant-garde (la PSDC s’adresse à tous sauf au Danemark) afin qu’ils puissent adopter des engagements contraignants qui leur permettent de rapprocher leurs appareils de défense (la PSDC ne fonctionne que sur la base de coopérations volontaires).
En instituant une PESCO « inclusive » et « modulaire », les États membres ont décidé de faire grosso modo le contraire. Le caractère inclusif de cette initiative signe l’arrêt de mort de l’idée d’avant-garde d’États engagés, alors que la notion de modularité semble avoir été introduite pour atténuer la nature contraignante des engagements souscrits (le concept de « modularité », voulu par les États membres, fait d’ailleurs penser à un oxymore lorsqu’il est adjoint à celui d’« engagement contraignant », prévu quant à lui dans les Traités).
Qu’aurait donc pu être PESCO qu’elle ne sera pas ? À l’instar de l’Eurogroupe, elle aurait pu rassembler les pays qui croient vraiment en l’idéal d’intégration pour qu’ils puissent avancer sérieusement dans le domaine militaire, sans bâtons dans les roues. Au final, elle regroupera quasiment tous les États membres, y compris une Pologne bien décidée à reprendre le flambeau souverainiste du Royaume-Uni. PESCO aurait pu, en outre, fixer des engagements sérieux visant, à terme, à une convergence des appareils militaires nationaux : elle ne se basera finalement que sur des critères inconsistants, apolitiques et de fait pas ou peu contraignants.
Une Agence européenne de défense bis ?
Une deuxième question se pose dès lors : à quoi pourrait bien servir une telle PESCO ? Les États membres ont décidé de transformer ce qui devait être un outil d’intégration et de convergence en un outil de coordination, afin d’encadrer une série de projets capacitaires qu’ils voudraient mener en commun. En d’autres termes, ils en ont fait un mécanisme devant gérer, et le cas échéant générer, des projets. Cet objectif détourné reste louable, mais il est loin d’être nouveau. En fait, il correspond peu ou prou au rôle qui fut attribué à l’Agence européenne de défense en 2004. L’UE dispose désormais d’une nouvelle structure à ces fins.
Au regard du succès mitigé de l’Agence dans ce domaine, PESCO pourrait peut-être apporter son grain de sel dans ce domaine. Aussi, le bébé ne doit pas être jeté avec l’eau du bain. Néanmoins, telle qu’elle a été conçue, PESCO pourra difficilement faire mieux. Au fil du temps, la physionomie initiale que les États membres lui ont attribuée risque de ne pouvoir évoluer que marginalement. Pour s’en rendre compte, il suffit de rappeler que PESCO pouvait être créée à la majorité qualifiée. Or, cette majorité qualifiée ne devait pas seulement permettre de constituer une avant-garde. Elle devait permettre aussi et surtout de rendre PESCO ambitieuse dès sa naissance, ce qui était indispensable étant donné que par la suite cette même PESCO doit fonctionner à l’unanimité. Une fois mise sur pied, en effet, elle sera difficile à modifier.
L’ambition de départ était donc la pièce maîtresse du dispositif. Une pièce qui était d’autant plus importante si l’on considère que les traités européens confèrent à PESCO une autre particularité : l’unicité. Car contrairement aux « coopérations renforcées », la « coopération structurée permanente » est au singulier dans le Traité sur l’Union européenne. Il n’y en aura pas d’autres, d’autant plus qu’elle doit être « permanente ». À ces conditions, une PESCO inclusive, peu contraignante et soumise aux fortunes de l’unanimité, bref une PESCO qui ressemble étrangement à la PSDC dans sa composition et ses limites, risque de rester dans l’Histoire surtout comme une occasion perdue.
1) Permanent Structured Cooperation