PERSPECTIVES EUROPÉENNES POUR LE DÉVELOPPEMENT DU NUCLÉAIRE 

Par Jean-Luc ALEXANDRE Président et fondateur de Naarea

Dans un contexte marqué par la tenue du Sommet sur l’énergie nucléaire à Bruxelles, le 21 mars 2024, Jean-Luc Alexandre, Président et fondateur de Naarea a accordé un entretien à Confrontations Europe :

Cette semaine du nucléaire s’achève, pour vous quelles sont les principales avancées de cette séquence? Qu’en retenez-vous ? 

Jean-Luc Alexandre : L’origine de cette séquence remonte aux annonces de Belfort en 2022. La France a joué un rôle moteur dans ce revirement favorable au nucléaire, en particulier à travers l’Alliance nucléaire des Etats membres. 

Selon moi, le Nuclear Energy Summit organisé par l’AIEA est aussi d’ordre historique. En son sein, la Commission européenne a tout de même affirmé que le nucléaire contribuait significativement à l’objectif de neutralité climatique. Nous rejoignons Ursula Von der Leyen et le Président de la République lorsqu’ils insistent sur la priorité qui doit être d’assurer de nouveaux investissements. Toutefois, nous pensons aussi que l’industrie doit prendre sa part : elle doit « se discipliner », se mettre en ordre de marche pour accélérer les calendriers. A ce titre, je retiens aussi les termes de la Présidente de la Commission européenne: « Les SMRs et les AMRs sont des technologies prometteuses mais nous sommes face à une course contre la montre», alors « il faut y aller ». Ces annonces représentent la suite logique de la COP28 avec l’accord adopté qui appelait à «accélérer » le développement de l’atome, en tant que source d’électricité bas carbone. 

Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur a rappelé lui-même le changement de cap de l’exécutif européen au sujet du nucléaire. En arrivant à Bruxelles, il a demandé qui était chargé de ce dossier à la Commission. Ce à quoi on lui aurait répondu : «Monsieur, on ne peut pas prononcer ce mot ici ». Il s’est félicité d’avoir réintroduit « le nucléaire au cœur de la législation européenne ». Il a souligné qu’il faudra «probablement doubler la capacité de production de l’énergie nucléaire» d’ici à 2050. 

Nous devons le marteler sans cesse: sans l’atome, nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs de décarbonation et faire face au «mur énergétique». 

Cela peut paraître anecdotique mais sur le chemin d’accès au Sommet quelques militants anti-nucléaires faisaient face à plusieurs dizaines de personnes rassemblées avec des pancartes et des banderoles pronucléaires. C’est là une situation nouvelle, qui témoigne du renversement qui s’opère depuis peu, en particulier au sein de la jeune génération. 

Comment comptez-vous contribuer à cette alliance des SMRs lancée par la Commission européenne? 

J-L.A : Le «Dissemination event » sur l’Alliance des SMRs organisé par la Commission européenne avait pour objectif de faire le point sur la mise en place de l’Alliance lancée en février dernier. J’étais convié par la Commission européenne ainsi que Stefano Buono de newcleo et notre présence a confirmé quatre points déterminants : 

L’Alliance des SMRs et AMRs doit soutenir l’émergence de projets très concrets en lien avec les utilisateurs finaux 

Elle s’assurera que les acteurs développant des solutions ont accès à des financements adaptés 

Elle accompagnera la mise en place d’une Supply Chain européenne dédiée au développement des SMR 

Enfin, la Commission souhaite travailler tout aussi bien avec les acteurs de la 3ème génération qu’avec ceux de la 4ème. 

Ce dernier point est important. Il démontre combien les autorités ont pris la mesure de la grande diversité des projets développés actuellement, qu’il s’agisse de leur technologie, de leur puissance, de leurs cibles ou de leurs combustibles. Avec newcleo, nous sommes persuadés depuis le début qu’il nous faut fonctionner en alliances pour relever les défis qui se présentent. C’est pourquoi nous avons lancé dès le début 2024 un partenariat stratégique et industriel dédié au nucléaire de 4ème génération (Gen-IV), et plus particulièrement aux neutrons rapides. 

Il s’inscrit dans une démarche complémentaire de l’indispensable alliance européenne des SMR. Le but est de mutualiser nos efforts pour accélérer l’innovation dans le domaine du nucléaire de 4e génération, mais aussi gagner en efficience, tout en conservant nos deux technologies et nos spécificités. Cette alliance nouée avec newcleo s’est vue complétée par une coopération stratégique dans les sels fondus avec Thorizon afin d’optimiser, grâce aux réacteurs à neutrons rapides, la réutilisation des combustibles usagés. La création d’un groupe de travail spécifique au sein de l’Alliance européenne pourrait permettre à nos travaux communs d’avancer significativement. 

Notre technologie XAMR à neutrons rapides et à sels fondus permettra de fermer le cycle du combustible, favorisant ainsi l’émergence d’un nucléaire 100% durable. Il est évident que la maîtrise du nucléaire du futur passe par la maîtrise de la matière. L’Europe possède de grands atouts pour cela, il est temps de les développer. Je tiens aussi à souligner que la France possède un savoir et un savoir-faire au sujet des neutrons rapides, grâce aux programmes Phénix, Superphénix et ASTRID, qui représente un véritable avantage compétitif dans la course internationale actuelle. 

En tant que spécialistes des sels fondus, nous avons aussi initié de premiers travaux avec Orano qui reconnaît la technologie comme très prometteuse pour deux raisons majeures : sa flexibilité d’utilisation et surtout en spectre rapide, lorsqu’elle utilisée comme dans nos XAMR. Ces derniers sont en effet capables de brûler les actinides mineurs, qui sont considérés jusqu’à présent comme des déchets car non recyclés. Avec ce concept s’ouvrent de nouvelles perspectives pour réduire le volume et la radiotoxicité des déchets à vie longue, principal frein à la durabilité du nucléaire. 

A propos du nucléaire et notamment du nucléaire innovant, on entend beaucoup parler de la «Team France» ces derniers temps. Comment NAAREA travaille-t-elle avec son écosystème? 

J-L.A : Au Nuclear Energy Summit, la France était la première délégation européenne et, d’un point de vue international, la deuxième derrière celle des Etats-Unis. Les équipes de NAAREA étaient bien sûr très présentes. 

Dès le début, nous avons engagé un ensemble de collaborations de recherche et développement avec des acteurs de premier plan de l’industrie nucléaire et de la recherche. A ce titre, des accords ont été conclus avec les Universités de Paris-Saclay et Lille, les centres CNRS de Poitiers et de La Rochelle en France. En Europe, NAAREA travaille avec le SCK-CEN (équivalent du CEA en Belgique), l’ITU de Karlsruhe en Allemagne, l’Université de Bangor et le National Nuclear Laboratory au Royaume-Uni. 

En parallèle, nous avons signé des accords de partenariat avec Orano, le CEA, Dassault Systèmes, Assystem, Mersen et plus récemment avec Veolia Nuclear solutions. 

NAAREA est aussi membre de plusieurs associations et fédérations : le Groupement des Industriels Français de l’Energie Nucléaire (GIFEN), Nucleareurope (ex FORATOM), le CSF Nouveaux Systèmes Energétiques, La Place Stratégique, SFEN, Nuclear Valley, Polénergie, la SNETP. 

Comment voyez-vous le nucléaire du futur ? 

J-L.A : Il nous faut penser simultanément territoires et besoins industriels locaux. Il nous faut aussi penser de manière holistique. Un mix est un ensemble de technologies reconnues pour leur efficacité mais aussi pour leur complémentarité. 

Les AMRs sont complémentaires du nucléaire conventionnel dans la mesure où ils permettent de brûler la fraction des déchets nucléaires de très longues vies issus des combustibles usagés sortant des centrales existantes de 3ième génération. Ils permettent donc de rendre durable l’ensemble de la chaîne de fission nucléaire. 

Les AMRs, par leur petite taille, ont aussi vocation à être implantés au plus près des industries, dans des bassins d’emploi pour former de véritables boucles locales d’énergie avec les renouvelables. Au-delà de la taille, notre solution est disruptive: modulaire elle produira des réacteurs en série de façon industrielle. Nous visons d’ailleurs un volume d’une centaine d’XAMR fabriqués ainsi dans notre usine par an. 

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