Penser une Europe pleinement politique

Auteur : Clotilde Warin

Auteur : Rédactrice en chef de la revue

Donner la plume à cinq penseurs et leur demander d’exprimer leur « idée d’Europe ». C’est ce qu’ont entrepris les membres de la revue Le Grand Continent déplorant le fait que « la polémique en Europe (soit) abandonnée aux néonationalismes et aux réactionnaires qui tirent profit d’une institution froide, mal incarnée et peinant à penser ». Ce court ouvrage, qui se lit comme un petit roman, réussit ainsi la prouesse d’établir un diagnostic souvent sévère de l’état de l’Europe mais juste tout en proposant des pistes, offrant leur vision de l’Europe idéale.

Certes, dans Une certaine idée de l’Europe(1), les constats sont souvent rudes. L’économiste Thomas Piketty déplore le fait que « les institutions européennes actuelles ne sont pas faites pour mener des politiques de redistribution mais pour gérer un grand marché ». La psychanalyste Elisabeth Roudinesco regrette quant à elle l’hystérisation des identités : « L’Europe semble moins désirable parce qu’elle est dominée par le triomphalisme des marchés c’est-à-dire du désordre mondial organisé. Les peuples, regardés comme des foules, par les élites, se re­plient vers un nationalisme qui n’est plus lié à un contour territorial mais revêt une dimen­sion “ethnique” ».

Le philosophe et sociologue italien Antonio Negri est plus direct lorsqu’il affirme : « Il est en effet probable que nous soyons arrivés au terme de l’Europe que nous connaissions, dans laquelle nous avons grandi, dans laquelle nous avons lutté. L’Union européenne s’est défaite sur Schengen, sur Dublin, sur le Brexit, c’est-à-dire sur la politique de circulation intérieure des travailleurs, du contrôle des migrations et du rapport au monde atlantique ». Pourtant, à la question « Quelle Europe voulons-nous ? », Antonio Negri en appelle à imaginer une nouvelle Europe dont le mot d’ordre serait : « l’Europe et le commun ». Pour l’historien Patrick Boucheron(2) : « On peut s’accorder, au fond, pour dire que ce qui manque à l’Europe, aujour­d’hui, ce que le mot même de construction européenne désigne comme manque, c’est une politique ».

Myriam Revault d’Allonnes affirme, sans nostalgie vouloir se réapproprier cette idée de Stefan Zweig : « être Européen, c’est “se sentir libre de toute étroitesse” ». En tout cas Une certaine idée de l’Europe offre de l’oxygène, loin du débat médiatique sur l’Europe, souvent si étroit..

  1.  Publié en mai 2019 aux Éditions Flammarion, Collection Champs Actuel.
  2.  À lire aussi p. 28 et 29 un extrait de son allocution intitulée « Ce qui a manqué à l’Europe ».

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