Par Marie-Noëlle Lopez,
Co-fondatrice de Newbridges, cabinet de conseil dédié aux relations sociales internationales
Il aura fallu 10 ans d’inertie, une gestion de la crise financière qui a mis à mal un certain nombre des valeurs sociales européennes, au premier rang desquelles la cohésion et le dialogue social, ainsi qu’un divorce avec les populations, pour que l’Union européenne (UE) renoue avec son projet social. Entamée sous la présidence de Jean-Claude Juncker, l’œuvre de rééquilibrage entre les piliers économiques et sociaux se poursuit avec la Présidente actuelle de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Elle s’appuie sur le socle européen de droits sociaux, qui rappelle les principes et objectifs qui doivent guider l’action de l’UE et doit être la source d’autant d’initiatives et de politiques visant à leur réalisation.
L’histoire commence avec un engagement au plus haut niveau en faveur des droits sociaux à Göteborg en novembre 2017. Cet engagement prend la forme d’une proclamation du Socle européen des droits sociaux par les chefs d’État et de gouvernement. À l’époque, rien de vraiment nouveau. Ce socle énonce vingt principes clés destinés à assurer la convergence sur trois thèmes, à savoir l’égalité des chances et l’accès au marché du travail, les conditions de travail équitables et enfin la protection et l’inclusion sociales, et n’ajoute pas grand-chose aux valeurs déjà consacrées par l’Union européenne. Mais la symbolique est forte. Cette proclamation remet au centre le projet social perdu de vue au cours des dix années précédentes. Elle met en place un suivi des progrès sociaux réalisés ou des dérapages non souhaités, qui reste certes secondaire par rapport aux indicateurs économiques mais qui a le mérite d’exister. Surtout elle portait la promesse d’initiatives futures car ce socle devait être assorti d’un plan d’action visant à sa mise en œuvre. Cette promesse a été tenue avec la présentation par la Commission européenne en mars 2021 d’une feuille de route, soutenue par les dirigeants européens lors du Sommet de Porto de mai dernier.
De nouveaux objectifs en matière d’emploi
Dans son plan d’action, l’UE se fixe en premier lieu de nouveaux objectifs d’ici 2030, dont le premier est de porter le taux d’emploi des 20 à 64 ans à au moins 78% de la population européenne. Ce « simple » objectif en induit d’autres en réalité. Sa réalisation supposera de réduire de moitié au moins l’écart entre les hommes et les femmes en matière d’emploi par rapport à 2019, ou encore, de diminuer le taux de jeunes âgés de 15 à 29 ans ne travaillant pas, ne suivant pas d’études ou de formation (les fameux NEET) de 12,6% (en 2019) à 9%. Le deuxième objectif vise à ce que 60 % des adultes participent à une formation chaque année ce qui implique de redoubler d’efforts en la matière, de s’assurer de la maîtrise des compétences numériques de base et de lutter contre le décrochage scolaire dans le but général d’améliorer les niveaux de réussite dans l’enseignement et la formation initiaux. Dernier objectif: réduire la pauvreté en Europe de 15 millions de personnes. Pour soutenir ces trois ambitions, de nombreux fonds européens seront mobilisés à commencer par les 88 milliards d’euros du Fonds social européen plus (FSE+), auxquels s’ajoutent les Fonds européens de développement régional (FEDER), le Fonds pour une transition juste, le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation ainsi que le plan de relance européen qui vise précisément à encourager la création d’emplois et les transitions entre emplois, y compris vers les secteurs écologique et numérique. Par ailleurs, une initiative sera présentée par la Commission européenne au dernier trimestre 2021 sur l’introduction de comptes personnels de formation afin de permettre l’accès à tous à la formation et de mieux gérer les transitions de carrières.
Vers une adaptation des normes à l’avenir du travail
Outre ces grands objectifs, le plan d’action prévoit une série d’initiatives à venir, tournées quant à elles vers le monde du travail de demain. Une proposition législative sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes est ainsi prévue pour la fin de l’année. Les partenaires sociaux européens sont actuellement consultés sur cette future directive. Un cadre réglementaire sur une Intelligence Artificielle fiable a par ailleurs été présenté par la Commission européenne en avril dernier qui s’applique également aux lieux de travail.
Le nouveau cadre stratégique de santé et sécurité au travail 2021-2027, adopté en juin, s’inscrit également pleinement dans ce socle. Il se saisit notamment du sujet des mutations du monde du travail, encore accélérées par la pandémie. Il prévoit en particulier de mettre l’accent sur les risques psychosociaux alors que le développement du télétravail a renforcé l’isolement et les risques liés à l’hyper-connectivité. La Commission prévoit aussi, pour tirer les conséquences notamment de la période de crise sanitaire et du télétravail de masse, d’élaborer un rapport en 2022 sur la mise en œuvre de la directive sur le temps de travail, qui pourrait être un préalable à une révision, et de se pencher sur le droit à la déconnexion.
Des projets de directive déjà lancés
Avant ce plan d’action présenté en mars dernier, la Commission avait déjà mis sur les rails deux projets de directives visant à mettre en œuvre les principes contenus dans le socle. Le premier porte sur la transparence salariale entre les sexes pour mettre fin à l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes. Il prévoit notamment de créer un droit pour chaque travailleur ou travailleuse de demander des informations lui permettant de comparer sa rémunération avec celle des salariés de l’autre sexe faisant le même travail ou un travail de valeur égale au sien, de mettre à la charge des entreprises d’au moins 250 salariés l’obligation de collecter un certain nombre d’informations sur l’écart salarial entre les sexes ou encore de mettre en place un plan correctif si elles constatent un différentiel de rémunération supérieur à 5% pour une même catégorie d’emploi.
Le projet de directive sur le salaire minimum s’attaque pour sa part à la disparité des salaires entre les pays européens qui nourrissent le dumping social. Avec ce texte, la Commission ne prétend pas obliger les États membres à instaurer un salaire minimum légal, ni à leur imposer un niveau commun de salaire minimum. L’objectif est plutôt de les contraindre à mettre en place des mécanismes de calcul et de revalorisation des salaires minima légaux ou conventionnels qui garantissent des niveaux de vie décents aux travailleurs européens.