PAUVRETÉ SUBJECTIVE ET PAUVRETÉ OBJECTIVE EN EUROPE : QUELQUES RÉFLEXIONS

Par Anastasia Panopoulou, Consultante dans l’Administration française

En 2023, seize Européens sur cent (16,2%) étaient sous le seuil de pauvreté. Et pourtant,
lorsque l’on pose la question, 34,1% de la population européenne se considère pauvre. Tel
est le résultat de la publication récente (1) d’Eurostat sur le sentiment de pauvreté chez les
Européens.

En regardant de plus près, les résultats sont encore plus intéressants. Dans 11 pays de l’UE,
plus d’une personne sur cinq se considèrent comme pauvre de manière subjective. Le
pourcentage de pauvreté subjective est plus élevé pour les femmes que pour les hommes
dans tous les pays de l’UE – sauf en Allemagne et au Luxembourg. Les pourcentages les plus
faibles de pauvreté subjective ont été observés au Luxembourg (6,2%), aux Pays-Bas (7,3%)
et en Finlande (7,5%). La Grèce occupe une triste première place : alors que le pourcentage
de la population se situant au seuil de pauvreté statistique est estimé à 18,9 en 2023, 67 %
des personnes interrogées se considèrent comme pauvres. Elle est suivie par la Bulgarie, où
le taux est de 33,2% (contre 20,6% de taux de pauvreté).

La comparaison des deux cartes met aussi en évidence une autre réalité. Au Sud et à l’Est
de l’Europe, on est (2) et on se sent plus pauvre qu’au Nord et à l’Ouest. La France se situe
quelque part au milieu entre les deux, affichant un taux de pauvreté inférieur à la moyenne
européenne et une perception de pauvreté également inférieure à la moyenne européenne.
Sept points séparent toutefois les deux pourcentages (15,04% contre 22,2%).

Alors, comment interpréter ces données ? Qui détient la vérité? A quelles données faire
confiance? Aux modèles statistiques, ou aux réponses des citoyens ? Nous essaierons de
présenter de manière critique quelques moyens de mesure de la situation économique et
sociale en Europe.

Il est important de noter que la perception de la pauvreté varie considérablement entre les
sociétés, et est sujette à des facteurs externes indépendants de la situation personnelle des
interrogés ; elle diffère, notamment, selon le type de développement social et
économique de chaque société
, l’offre d’emplois, et en fonction de la protection sociale
offerte. Par ailleurs, le type des liens sociaux influence aussi notre perception (3). Ainsi, dans
le Sud de l’Europe, il est plus fréquent de considérer la pauvreté comme une « chute» par
rapport à une situation antérieure, ou d’y voir une reproduction sociale. Ce genre
d’approche est susceptible de conduire à des estimations plus pessimistes sur sa propre
situation.

La pauvreté réelle est corrélée à l’exclusion sociale de la personne: le pauvre ne participe
pas de la même manière à la vie économique de son pays, subit des maltraitances, n’exerce
pas pleinement ses droits, est souvent exclu de la formation et n’a pas une vie sociale
(contacts, échanges) comme une personne qui est dans la moyenne. La visibilité de l’offre
qui lui est inaccessible peut ainsi accroître le sentiment de pauvreté. À l’inverse, l’offre de
services sociaux – plus développée dans les pays du Nord de l’Europe – peut atténuer ce
sentiment négatif.

Sans surprise, les pays où l’inégalité des revenus est plus grande sont les mêmes où l’on
rencontre le plus de personnes qui se considèrent pauvres : l’inégalité accrue conduit à un
positionnement relatif différent que si elle est plus contenue. Dans le graphique suivant, est
représenté l’indice « Gini », qui mesure les inégalités de revenus dans les pays de l’Europe:
plus l’indice est élevé, plus il y a des inégalités dans le pays étudié. La France, encore une
fois, se situe dans la moyenne européenne.

Une autre approche utile serait l’évolution des revenus dans les pays membres. À
l’exception notable de la Grèce qui affiche des revenus 26% inférieurs par rapport à 2010 et
un taux de chômage près de 11%, tous les pays européens ont vu les revenus moyens stables
(c’est le cas de la France) ou nettement améliorés depuis cette date. On se serait attendu à
une plus forte corrélation entre le sentiment de pauvreté et l’augmentation réelle des
revenus disponibles. Cependant, il semble que le revenu disponible, seul, passe à côté du
vrai sujet: le coût de la vie. Par exemple, à l’exception des télécommunications, le coût de
la vie en France est nettement supérieur au coût de la vie moyen dans l’UE. Mais le revenu
moyen des Français (38000 € par habitant, en standards de pouvoir d’achat) ne se situe
que très légèrement au-dessus de la moyenne européenne, et même légèrement sous le
niveau de la moyenne de la zone euro. Cela expliquerait-il le sentiment d’insatisfaction
récurrent dans la société française (4) ?

A ce stade, on comprend que tout ne s’explique pas par les chiffres. Des différences
culturelles, sociétales et économiques (taux de chômage, structure de l’économie)
influencent notre perception de notre situation personnelle. Il devient alors important de
rappeler que l’UE est parmi les régions les plus riches au monde: selon la Banque Mondiale,
tous les pays membres, y compris les plus «pauvres » affichent des revenus élevés par
rapport au reste du monde; on est dans la même catégorie que l’Amérique du Nord,
l’Australie, la Russie et le Japon.

Dans la mise en œuvre de ses actions, l’UE doit tenir compte des exigences sociales comme
la promotion d’un niveau d’emploi élevé, la garantie d’une protection sociale adéquate et la
lutte contre l’exclusion sociale et des exigences en matière de formation et de santé. Mais
la politique sociale relève principalement de la responsabilité des pays de l’UE, l’UE
n’intervenant qu’accessoirement et sur des sujets limités.

Dans ce cadre, les institutions européennes ont proclamé le Socle européen des droits
sociaux
en 2017 lors du sommet de Göteborg. Le socle énonce 20 principes pour une
Europe juste, inclusive et offrant des opportunités à ses citoyens. De plus, les Fonds
Européens Structurels et d’Investissement (FESI) et, plus particulièrement le Fonds Social
Européen, investissent dans des actions sociales dans nos territoires, et participent ainsi à la
convergence régionale. La société civile, les partenaires sociaux et les collectivités
territoriales, plus proches des réalités du terrain, sont invitées à participer activement à ces
actions, qui remettent l’humain au cœur de l’action européenne.

  1. Eurostat, statistiques sur la pauvreté subjective, octobre 2024
  2. Le seuil de pauvreté est fixé à 60% du revenu médian du pays étudié
  3. Voir Serge Paugam, Les formes de la pauvreté en Europe, CAIRN 2008
  4. Le coût relatif de la vie peut être aussi approché de façon plus ludique : si vous êtes fan de technologie, référez-vous à l’index IPhone (combien de jours faut-il travailler dans chaque pays pour se le procurer ?) ou, pour les gourmands, à l’indice BigMac développé par The Economist.

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