Participer à l’économie circulaire

Par Anouk Chomienne et Gabriel Maitre, Chargée d’études et Chargé d’études et des affaires européennes, au sein de Décider Ensemble

Créé en 2005 le think tank Décider Ensemble a vocation à favoriser une culture de la participation citoyenne pour permettre la promotion de la décision partagée entre acteurs européens. Il valorise les dialogues et la réflexion pour impliquer l’ensemble des parties prenantes de domaines variés, dans les processus de décision.

L’économie circulaire est un concept de plus en plus répandu. Il trouve un écho particulier dans l’Union européenne, où il est devenu un enjeu majeur des politiques environnementales et économiques. Cette approche novatrice d’une « économie en boucle » (Stahel & Reday, 1976), est axée sur la durabilité et la réduction de la consommation de ressources sur un territoire.

Concrétisée par des politiques nationales et internationales, elle occupe désormais une place centrale dans les discussions sur la transition écologique.

Pour définir concrètement ce terme, on peut se tourner vers le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, qui le décrit comme une économie visant à « produire des biens et des services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets ». Contrairement à notre modèle actuel d’économie industrielle linéaire basé sur le triptyque « prendre-fabriquer-gaspiller » (take-make-waste), l’économie circulaire se fonde sur des piliers tels que l’éco-conception, l’économie de la fonctionnalité et de la coopération, l’écologie industrielle et territoriale, la consommation responsable, l’allongement de la durée de vie et le recyclage, sept piliers définis par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME).

Cependant, bien que ces principes soient fondamentaux, ils ne peuvent être pleinement réalisés sans la participation active des citoyens. En effet, ces derniers jouent un rôle indispensable dans la mise en œuvre de diverses actions, telles que le tri des déchets, la consommation responsable, la réparation et la réduction des déchets. Bien que leur importance soit indéniable, elle est souvent sous-estimée. Malgré une littérature abondante sur l’économie circulaire, les recherches se sont principalement concentrées sur le défi de réussir cette transition, via le rôle des gouvernants et du secteur privé, et non sur le rôle de la participation citoyenne dans son fonctionnement (Jocker, 2022).

Les projets d’économie circulaire se doivent par nature d’être à dimension sociale et participative, pour atteindre les objectifs de la transition. En l’absence de cette dimension, les efforts visant à améliorer les conditions de vie humaine risquent d’être compromis, menaçant alors la réussite de ces initiatives (Schroeder & Barrie, 2022). Par conséquent, dans ces projets, l’inclusion de seulement quelques parties prenantes n’est pas suffisante (Jocker, 2022). Il est crucial de garantir une participation significative des habitants, que ce soit par le biais de l’information, de la délibération, de la co-décision, ou selon un mode de gouvernance partagée.

Depuis le début des années 2000, et avec une accélération récente, plusieurs lois promeuvent l’implémentation de l’économie circulaire dans les politiques publiques comme la loi antigaspillage et économie circulaire de 2020 qui prévoit de nouvelles règles pour favoriser le réemploi et limiter les déchets. À l’échelle européenne, l’intérêt pour cette thématique a été souligné lors de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, où « Mettre en place une économie circulaire » figure parmi les mesures concernant la consommation, l’agriculture ou encore la croissance durable.

Pour transformer les pratiques et les habitudes en matière de déchets, il est nécessaire de provoquer un changement dans l’imaginaire collectif où le déchet ne serait plus un symbole de liberté, mais un problème de société lié à la surconsommation. Plusieurs villes en France et en Europe mènent cette bataille en mettant en avant des initiatives impliquant la population pour faciliter la transition. Ces villes témoignent de l’émergence des Circular Cities (villes circulaires), où les instances décisionnelles s’efforcent de faire évoluer leur ville vers un mode plus vert, en intégrant activement les citoyens (Jocker, 2022).

En premier lieu, prenons le cas du Grand Besançon qui, dès 2011, a cherché à réduire les déchets de sa population en favorisant à la fois le compost et la réduction des déchets à la source.
La question était alors la suivante : comment toucher les citoyen.ne.s directement dans leur mode de vie ? C’est la redevance incitative qui a permis de faire bouger les comportements. En régulant le prix des poubelles avec une part variable selon le poids de celles-ci, les habitants se sont vus incités à réduire les déchets ménagers pour favoriser la réutilisation, le vrac et le compostage (pour lequel des bacs ont été installés dans toute la ville). Aujourd’hui la démarche a permis de réduire de 39% le poids des poubelles des déchets ménagers, une réussite permise par un effort conjoint des pouvoirs publics (changement de système de taxation, mise en place de compostage, formation), des syndicats de gestion des déchets et des citoyen.ne.s qui se sont appropriés le nouveau système. Ce projet répond à l’un des défis de l’économie circulaire, à savoir le manque d’intérêt, mais aussi de connaissance de la part du consommateur (Kirchherr et al, dans Jocker, 2022). Bien que réussie à Besançon, la redevance incitative doit néanmoins être explicitée en amont et bien associer l’ensemble de la population, y compris les copropriétés ou les bailleurs : dans les immeubles, la redevance incitative fonctionne moins bien et le risque de désapprobation des habitants y est plus important. Ils voient leur facture ménagère dépendante non seulement de leurs actions, mais également de celles de leurs voisins. De plus, la redevance incitative doit être juste et discutée en amont avec les habitants pour éviter que certains ne voient leur facture augmenter trop rapidement sans pour autant en comprendre les fondements. Si les habitants ne sont pas en accord avec la méthode de taxation, la mise en place de la politique publique est bien plus difficile.

De même, Grand Poitiers a également mis en place une démarche de consultation citoyenne portée par le conseil de développement pour promouvoir l’économie circulaire et la réduction des déchets sur le territoire. Cette consultation a valu à la ville d’obtenir le label 3 étoiles de l’ADEME sur l’économie circulaire ainsi qu’un trophée de la participation et de la concertation décerné par l’association Décider ensemble. Cette initiative vise à impliquer les habitants sur le long terme dans la transformation des politiques publiques. À travers ce projet, la place du citoyen est transformée : il n’est plus seulement le destinataire de l’information (comme dans la majorité des cas), mais un acteur à part entière de la transition.

Par ailleurs, les déchets ne sont pas une préoccupation citoyenne uniquement française. En particulier, Aragon, une ville d’Espagne partenaire du programme européen CECI (Citizen involvement in circular economy implementation) met en place un forum de la participation et de l’écoute active pour les entités locales. Ce forum aborde notamment des questions relatives aux déchets ménagers et propose de discuter de leurs modes de gestion et de prévention.

Citoyens, syndicats et parties prenantes sont les bienvenus lors des évènements ou webinaires pour donner leurs avis et partager leurs expériences. Un site web permet également de faire circuler la parole. L’objectif est de promouvoir l’économie circulaire et la réduction des déchets en associant toutes les parties prenantes et ainsi favoriser la mise en place d’actions concrètes.

L’économie circulaire, bien que susceptible d’être impulsée par les pouvoirs publics, est souvent initiée par des associations ou des citoyens eux-mêmes. C’est par leurs expertises d’usage que les principes d’économie circulaire peuvent être mis en oeuvre. C’est notamment le cas des fablabs, des recycleries ou de certaines friperies qui sont des lieux, gérés par des habitant.e.s avec pour objectif de promouvoir la réparation et le réemploi. Les vêtements illustrent bien cette dynamique. En effet, les friperies et friperies solidaires fonctionnent grâce à l’apport de vêtements par les participants ainsi qu’à leur investissement dans les ateliers participatifs de coutures et réparations. Ces pratiques sont internationales comme le montre le CCM (centre de la mode circulaire) à Ostrava en République Tchèque, un laboratoire de partage des savoirs vestimentaires (ateliers pour les élèves, partages de connaissances sur la mode dans le monde, ateliers coutures etc.) qui fonctionne grâce à l’implication de ses membres (citoyennes et citoyens) ainsi qu’à des évènements comme la « Fashion Revolution Week ». Ce dernier encourage chacun à promouvoir la réutilisation des vêtements à travers des actions participatives telles que le collage de messages sur les fenêtres, la participation et l’animation d’ateliers, ainsi que le partage d’expérience.

Dans le cadre du programme européen CECI, les associations, villes et régions de différents pays européens partagent leurs pratiques en matière d’économie circulaire. Il est à noter que les initiatives qui ont été présentées lors des journées de rencontres des villes participantes au programme sont pratiquement toutes d’origines citoyennes, impliquant ainsi un maximum d’habitants. L’économie circulaire ne peut être mise en oeuvre sans l’implication des citoyens, puisqu’ils sont au coeur du système de consommation de départ. Pour atteindre les objectifs de l’Union européenne, ou encore des différents gouvernements nationaux, comme c’est le cas pour la Feuille de route économie circulaire (Plan Climat), il est nécessaire de « mobiliser tous les acteurs », sans oublier les citoyens. La transformation ne pourra se faire sans eux !

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