PARTENARIAT UE-AFRIQUE – Union africaine et union Européenne : Comment bâtir les conditions d’une prospérité commune ?

Par Maria Soraya Rodriguez Ramos, Députée européenne (Renew Europe, Espagne), Présidente de la Délégation pour les relations avec le Parlement Pan-Africain – LA REVUE #136.

Le mois de février dernier marquait le premier anniversaire du sixième sommet Union européenne, Union africaine, tant attendu, qui s’est tenu à Bruxelles les 17 et 18 février 2022 après plusieurs reports en raison de la pandémie de COVID-19. Ce fut l’occasion pour l’UE de renforcer et de construire un partenariat plus stratégique et équilibré avec l’Afrique. Cependant, l’élan politique en faveur du renouvellement de cette association s’est rapidement dissipé. L’invasion criminelle et injustifiée de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a rapidement détourné l’attention des  résultats de l’une des réunions les plus  attendues des dernières années et a changé notre ordre géopolitique.

La réponse africaine à la guerre n’a pas été, dans de nombreux cas, celle espérée par l’Union Européenne. Cela s’est reflété dès les premiers jours de l’invasion. Même si 24 pays africains ont voté en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 2 mars condamnant «l’opération militaire spéciale» de la Russie en Ukraine, il y également eu 17 abstentions et 1 vote contre. Cette réponse africaine à la guerre s’inscrit dans un contexte d’influence accrue de la Russie sur le continent. Cette conviction a été clairement exprimée par le Haut représentant et vice-président, Josep Borrell, au lendemain de sa visite au Botswana et en Afrique du Sud, appelant à «combattre plus activement la manipulation de l’information russe sur le continent africain» et soulignant la nécessité «d’expliquer à nos partenaires et à leur public pourquoi nous devons travailler ensemble contre les efforts de déstabilisation de la Russie dans la région et dans le monde». À cet égard, nous devons reconnaître que nous ne serons pas toujours d’accord, mais il est nécessaire toutefois de discuter de ces questions cruciales pour renforcer notre association.

D’autre part, nous devons nous rappeler que, juste avant l’invasion russe en Ukraine, le partenariat UE-Afrique avait traversé une période difficile pendant laquelle la vaccination mondiale contre la COVID-19 était sans aucun doute devenue la nouvelle image de l’inégalité mondiale. L’Union européenne a fait des efforts importants pour combler le fossé mondial en matière de vaccination depuis le début de la pandémie, notamment par la promesse d’Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, de partager 700 millions de doses avant mi-2022. Cependant, ce n’était pas suffisant. Les dirigeants africains ont utilisé des termes comme « nationalisme vaccinal » et «apartheid vaccinal». Par exemple, seuls sept pays africains ont atteint l’objectif mondial fixé par l’Organisation mondiale de la Santé de vacciner 40% de leur population avant la fin de 2021. Alors que le revenu détermine le niveau de vaccination, il est clair que nous avons déçu nos partenaires africains en ne faisant pas de la vaccination un bien public mondial à ce moment clé.

L’Union Européenne doit se souvenir des leçons tirées de la pandémie pour créer les conditions d’un partenariat plus équilibré avec l’afrique

Maria Soraya Rodriguez Ramos

Ils attendaient beaucoup plus de nous sur ce sujet. Par conséquent, notre partenariat doit maintenant renforcer la production locale de vaccins, les installations de stockage et aider les pays à améliorer leur capacité d’absorption en renforçant leurs systèmes de santé afin qu’ils soient prêts à faire face aux futures pandémies, mais aussi, à réagir rapidement aux autres risques sanitaires. L’Union européenne doit se souvenir des leçons tirées de la pandémie pour créer les conditions d’un partenariat plus équilibré avec l’Afrique, tout en écoutant ses partenaires et, plus important encore, en comprenant leurs besoins spécifiques.

S’il est vrai qu’aujourd’hui la santé a été reléguée au second plan dans le partenariat, la sécurité alimentaire et la nutrition sont rapidement devenues une priorité essentielle de notre programme commun depuis le début de la guerre en Ukraine. En 2021, environ 58% de la population africaine se trouvaient dans une situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave et aujourd’hui environ 281 millions de personnes sur le continent se couchent le ventre vide. Les pays africains ont fortement ressenti les conséquences de la guerre en Ukraine, qui ont exacerbé davantage les répercussions déjà subies suite à la pandémie de COVID-19, sur la disponibilité alimentaire et les perturbations des chaînes d’approvisionnement en intrants agricoles, en particulier les engrais. Même si l’Afrique dispose de suffisamment de terres arables pour nourrir 9 milliards de personnes, le continent africain ne peut pas se nourrir lui- même et dépense 75 milliards de dollars chaque année pour importer plus de 100 millions de tonnes métriques de nourriture. Sur ce chiffre, environ 30 millions de tonnes métriques d’importations alimentaires provenaient de Russie et d’Ukraine. Il faut absolument trouver des solutions à court terme à la crise de l’insécurité alimentaire en Afrique, y compris une aide alimentaire humanitaire et des mesures efficaces de protection sociale. Toutefois, des initiatives à moyen et long terme sont également nécessaires. Celles-ci doivent inclure une augmentation du budget des gouvernements africains consacré aux dépenses agricoles actuellement 48 des 54 gouvernements africains allouent en moyenne 3,8 % de leur budget à l’agriculture tandis que l’objectif de Malabo concernant les dépenses agricoles est de 10% et à l’amélioration de la résilience des populations grâce à de meilleurs services de ravitaillement en eau potable, de santé et d’éducation. En outre, la promotion de pratiques agricoles plus durables, notamment l’agro-écologie et les initiatives de renforcement de la résilience climatique, est essentielle pour obtenir un impact à long terme et améliorer la sécurité alimentaire sur le continent.

À cet égard, il ne fait aucun doute qu’il existe un lien évident entre l’insécurité alimentaire et le changement climatique en Afrique. Alors que de nouvelles inondations et sécheresses frappent les pays africains en raison des effets du changement climatique, leur agriculture en pâtit et la plupart des pays ne sont pas préparés à faire face à ces chocs. L’Afrique subsaharienne est, à elle seule, confrontée à un tiers des sécheresses mondiales et le changement climatique est clairement l’une des causes de la dépendance de l’Afrique aux importations alimentaires. Les défis qui en découlent sont énormes. L’agriculture africaine est également très dépendante de la pluviométrie moins de 1 % des terres arables sont irriguées et les producteurs agricoles sont des petits exploitants géographiquement dispersés qui manquent très souvent de ressources, d’infrastructures et d’information pour renforcer leur résilience aux chocs climatiques. Leur vulnérabilité à ces chocs climatiques est également due au manque de capacités institutionnelles et de systèmes de gouvernance. Par conséquent, d’une part, notre partenariat devrait chercher des moyens de traduire les engagements et les politiques en matière de climat en actions concrètes, notamment des systèmes d’alerte précoce, la sensibilisation au changement climatique et une stratégie d’adaptation durable pour les plus vulnérables. D’autre part, il est important de souligner que l’Afrique a les émissions de gaz à effet de serre les plus faibles par rapport aux autres continents, mais qu’elle souffre de manière disproportion- née des conséquences du changement clima- tique. L’Union européenne doit également reconnaître cette injustice climatique dans sa coopération et trouver des solutions pour com- bler ces lacunes.

Tout en gardant à l’esprit l’objectif de prospérité commune, l’Union européenne devrait également continuer à soutenir la Zone de libre- échange continentale africaine (ZLECAf). Elle peut vraiment changer la donne en évitant les perturbations futures de l’approvisionnement alimentaire et en améliorant la sécurité alimentaire du continent. La récente décision de l’UA de considérer 2023 comme l’année de «l’accélération de la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine» témoigne de l’engagement de nos partenaires africains et de leur compréhension des nombreuses possibilités que cette initiative peut offrir pour surmonter certaines des difficultés persistantes du continent. Sans aucun doute, la ZLECAf représente une grande chance pour les pays africains, en sortant 30 millions de personnes de l’extrême pauvreté et en augmentant les revenus de 68 millions d’autres. Cependant, sa mise en œuvre pose des problèmes et l’Union européenne constitue une valeur ajoutée. La mise en œuvre efficace de la ZLECAf dépend de la capacité des économies africaines à créer un espace budgétaire et à stimuler l’investissement privé dans des infrastructures de qualité et des projets durables. Il sera également important de définir des normes communes pour les biens et services, ainsi que pour leur transport et leur sécurité. Les partenaires internationaux, comme l’Union européenne, doivent soutenir ces efforts en Afrique aux niveaux national, régional et continental, en particulier pour accélérer la transformation productive, stimuler l’intégration continentale et créer des chaînes de valeur durables.

Le potentiel économique de l’Afrique, en particulier des jeunes et des femmes, représente une autre chance de renforcer notre coopération. En Afrique, comme en Europe, l’autonomisation des femmes et des jeunes est un moteur d’opportunités. Aujourd’hui, l’Afrique a la population la plus jeune du monde et, d’ici 2050, le continent africain comptera 26% de la main-d’œuvre mondiale. Cette transformation doit aller de pair avec une meilleure qualité de l’éducation et des opportunités d’emplois productifs facilement accessibles. Il est important de noter que, même si l’économie officielle finira par devenir le plus grand employeur de l’Afrique, environ 80% de sa population travaille actuellement dans le secteur informel et environ 10 à 12 millions de jeunes Africains entrent sur le marché du travail chaque année où seulement 3 millions d’emplois officiels sont disponibles. C’est pourquoi il est nécessaire de soutenir et d’augmenter les revenus dans l’économie «informelle» tout en créant les conditions de développement de l’économie officielle, en investissant dans les compétences numériques et l’éducation à tous les niveaux.

La réduction des obstacles auxquels les femmes sont confrontées pour entrer sur le marché du travail, notamment l’abolition des lois discriminatoires et l’adoption de politiques visant à leur garantir un accès équitable à la terre ou à d’autres biens, doit être au cœur de notre partenariat pour une prospérité commune. Cependant, il faut aussi reconnaître que les institutions africaines ont fait d’énormes efforts pour renforcer l’égalité entre les sexes. Par exemple, le Rwanda est devenu en 2008 le premier pays au monde à avoir un parlement national élu avec une majorité de femmes et, entre 2015 et 2019, 13 pays africains ont atteint l’objectif d’avoir 30% ou plus de femmes dans leur parlement. Par conséquent, travailler en- semble pour revendiquer les droits inaliénables des femmes à l’intégrité physique, à la dignité, à l’éducation et à l’autonomie décisionnelle et continuer à défendre l’universalité et l’indivisibilité de tous les droits de l’homme doivent faire partie de nos engagements internationaux et devenir un enjeu politique que nous ne pouvons relever qu’ensemble.

Nous sommes dans un moment critique pour relancer notre association avec l’Afrique. Notre coopération doit se concentrer sur nos points communs tout en trouvant également des approches consensuelles pour surmonter nos différences. Il est vrai que la guerre en Ukraine, la pandémie de COVID-19 et la crise climatique ont soumis notre partenariat à rude épreuve. Cependant, nous devons également reconnaître que les deux partenaires sont alignés et ont des engagements communs importants sur les programmes économiques, climatiques et de développement durable. L’Union africaine et l’Union européenne doivent pouvoir se réunir, trouver des solutions à leurs différences tout en tenant compte de leurs besoins particuliers et en laissant derrière elles une approche unique. Il ne fait aucun doute que la coopération et le développement d’un partenariat à égalité entre l’Europe et l’Afrique, dans un ordre mondial actuel multipolaire et de plus en plus contesté, semblent plus que jamais cruciaux.

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