Michel Derdevet, Président de Confrontations Europe ; Jean-Noël Tronc, Directeur général de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM)
Le monde de la culture traverse une crise sans précédent et il est urgent que l’Europe lui vienne en aide, écrivent dans une tribune aux «Echos» Michel Derdevet, Président de Confrontations Europe, et Jean-Noël Tronc, directeur général de la Sacem. Ils plaident pour que l’Union lui consacre 2 % de son plan de relance.
La pandémie de la Covid-19 a plongé l’an dernier les industries culturelles et créatives dans une crise sans précédent, qui malheureusement se prolongera sans doute en 2021. Le chiffre d’affaire de l’ensemble de ces industries s’est effondré de près de 31%, en faisant l’une des activités les plus touchées par la crise, devant le tourisme (-27%) ou l’automobile (-25%). Tous les domaines de la création furent concernés, le spectacle vivant perdant 90% de son activité, la musique 76%, le livre 25%. Même les secteurs ayant pu trouver leurs publics via les outils numériques ou le commerce en ligne n’ont pas été épargnés. Cette crise atteint donc la culture de manière durable, et 2021 s’annonce déjà comme fortement compromise, a minima pour le spectacle vivant, qui représente 25% du chiffre d’affaires du secteur culturel à lui tout seul.
Un secteur essentiel
Dans la sidération des confinements de l’année écoulée, les européens ont aussi découvert que la culture ne rentrait pas dans la catégorie des biens essentiels, du moins en temps de pandémie. Pourtant, les industries culturelles et créatives sont au cœur de l’économie européenne. Représentant 4,4% du PIB de l’Union, elles pèsent plus que certains piliers du marché unique, comme l’industrie automobile ou les télécommunications, et emploient 7,6 millions d’européens, bien loin des 2,6 millions du secteur automobile ou des 1,2 millions de l’industrie chimique : La culture est donc l’un des poids lourds de l’économie européenne.
Mais ce secteur constitue surtout un levier clef de l’intégration de l’Union Européenne, au-delà du marché unique. Car c’est bien la place centrale de la création artistique dans nos sociétés qui unie les européens, qui constitue le socle de notre identité commune, mise au défi par la mondialisation, les divisions entre Etats-membres et le Global Britain. D’aucuns se sont émus ces dernières semaines du fait que les grandes plateformes digitales extra-européennes avaient désormais gagné la partie en Europe ; mais quid du contenu à venir ? Les européens seront-ils demain de simples « consommateurs » de productions (musicales, lyriques ou autres) conçues hors de notre continent ?
Réaction européenne
Face à ce défi, il est urgent que l’Europe s’engage pour sauver ce qui peut l’être. Aujourd’hui, seul 0,1% du budget de l’Union est fléché vers la création artistique, une somme ridicule ! A l’image de l’élan donné en 1959 par André Malraux au budget français de la Culture, il est temps d’affirmer une rupture. Les européens ont déjà su se doter, l’été dernier, d’un plan de relance (Next Generation EU) ambitieux ; il pourrait être désormais l’instrument approprié pour soutenir le secteur, et l’Europe pourrait allouer, vite, 2% des 750 milliards d’euros de ce plan à la relance du secteur culturel. Ces dépenses seraient accompagnées d’un suivi par la Commission européenne, afin de s’assurer que ce plancher soit respecté dans tous les Etats membres, sur le modèle des mesures mises en place pour assurer le suivi de l’affectation des fonds pour les transitions écologiques et numériques.
De plus, l’hétérogénéité des mesures de restrictions sanitaires mises en place dans les Etats membres entrainent un manque de visibilité, destructeur pour la création. En ce début d’année, il est interdit d’aller au cinéma à Toulouse, mais pas à Barcelone. On peut aller au théâtre à Luxembourg, alors que ceux-ci sont fermés à Nancy. Les Etats membres doivent donc prendre en main cette coordination, au niveau du Conseil, afin d’élaborer une trajectoire commune à la reprise des activités culturelles au sein de l’UE.
Enfin, l’Europe devrait encourager les projets de création transfrontaliers, et la mutualisation qui l’accompagne. Plus que jamais, les co-productions infra-européennes s’imposent, qui devront être favorisées par des financements communautaires.
La France a été en 2020 l’un des acteurs clefs de la relance européenne ; elle prendra la Présidence du Conseil au premier semestre 2022. Elle doit faire de la culture l’un des axes clefs de son programme de travail, afin de rendre au secteur culturel toute la place qu’il joue dans la construction européenne : un vecteur d’union entre les 27 et un pilier de notre prospérité et de notre rayonnement.