Marcel GRIGNARD & Edouard-François de LENCQUESAING
Président et trésorier de Confrontations Europe
« Désastreux ». C’est le terme choisi par un Donald Trump toujours en verve pour qualifier l’accord nucléaire iranien et annoncer que son pays comptait en sortir. Cette décision devrait conduire les pays européens à s’unir pour ne pas en pâtir.
La décision unilatérale des États-Unis de se retirer du traité international sur le nucléaire iranien, bien que largement contestable, est l’expression de leur souveraineté. Mais la menace de sanctions qu’elle entraîne sur les entreprises européennes qui, conformément au traité, poursuivraient des échanges économiques et commerciaux avec l’Iran, est une mise en cause inacceptable de la souveraineté de l’Union et des États membres.
Comment accepter que des pays, qui ont démocratiquement pris la décision d’appliquer le traité, en soient empêchés par les États unis ? Les États-Unis s’appuient sur le principe d’extra-territorialité qui leur permet de mettre en cause les opérations ayant un attachement indirect à leur pays (usage du dollar, de systèmes d’information américains comme Thomson-Reuter, composants d’origine nord-américaine…). Cette pratique accroît l’asymétrie du monde multipolaire en faveur d’un pays au mépris de décisions souveraines et démocratiques des autres.
Souveraineté partagée
Nous sommes donc face à un défi politique majeur qui remet en jeu la notion de souveraineté tant nationale qu’européenne. Dans ce rapport de forces, un rééquilibrage s’impose et l’échelon européen est le seul qui puisse réussir à se faire entendre. C’est cette souveraineté partagée en faveur de laquelle plaide le président Macron qui est l’unique moyen pour les États membres de protéger leurs décisions démocratiques dans un monde multipolaire et, de fait ainsi, de continuer à exister. L’Europe n’a donc d’autre alternative que de devenir forte !
Le dossier États-Unis-Iran est porteur de vertus pédagogiques : il nous fait toucher du doigt les véritables enjeux qui touchent les citoyens. Des entreprises européennes sont sur le point de renoncer à des investissements en Iran : y aller, c’est prendre le risque de sanctions, ne pas y aller c’est laisser le champ libre à d’autres qui vont s’y précipiter ; à moyen terme, ce sont des emplois qui manqueront à l’appel.
Débats trop technocratiques
Cela redonne aussi du sens à des débats trop souvent restés cantonnés à des aspects technocratiques : la nature du budget, la réforme des autorités de régulation et de supervision européennes permettent aussi de construire une souveraineté européenne en se dotant de moyens crédibles tout en s’appuyant sur un réseau cohérent et coordonné de moyens au niveau des États membres. L’Europe se doit d’inventer rapidement les conditions de cette alchimie.
Devises comme outil stratégique
À court terme, il faut faire de l’euro une monnaie de facturation et de paiement alors que les entreprises européennes sont de fait contraintes d’utiliser le dollar. L’Europe ne s’intéresse à l’euro que pour le marché intérieur ou comme monnaie de réserve. Or les devises sont un outil stratégique essentiel dans le domaine des échanges internationaux. C’est un chantier qui mérite mieux que les quelques études qui lui ont été modestement consacrées. Il faut une impulsion politique forte et initier des travaux techniques par filière métier, sur la liquidité de change, sur le coût des couvertures, sur le mix des composants échangés, etc.
Un autre domaine est la réciprocité possible des sanctions. Il faut enfin et surtout que l’Europe se dote d’une vision de sa place dans le développement du monde et les échanges commerciaux. Si le protectionnisme n’est pas la solution, il faut avoir une vision claire de ce que sont nos intérêts sans ignorer les intérêts du monde. Trop longtemps, une vision trop dogmatique des échanges et des rapports de force a prédominé. Elle alimente les populismes et pousse au repli.
Blâmer les États-Unis ne nous mènera pas loin. Il faut opter pour une critique constructive de l’Europe et définir les choix qui garantiront notre souveraineté