Par Jorge Torres-Pereira
Ambassadeur du Portugal en France
L’ambassadeur du Portugal en France revient sur les avancées portées par la Présidence portugaise du Conseil de l’UE qui s’est déroulée au premier semestre 2021, et qui a placé l’Europe sociale au cœur de son programme de travail.
Quand le Portugal a assumé la Présidence du Conseil de l’Union européenne, le 1er janvier 2021, prenant le relais de nos amis allemands, la campagne de vaccination contre la Covid-19 venait de débuter. La pandémie – qui malheureusement persiste – entrait dans sa deuxième année et avait frappé de plein fouet l’économie mondiale. Les leaders venaient de se mettre d’accord sur le Plan de Relance européen, le Next Generation EU, et sur le Cadre financier pluriannuel, cette fois-ci donnant une réponse commune et robuste à la crise, après plusieurs rendez-vous manqués avec l’Histoire. Nos leaders avaient compris que seule une réponse européenne solidaire pouvait endiguer le ravage économique que nous subissions.
Il fallait désormais agir pour mettre en œuvre cet accord historique qui apportait une réponse budgétaire commune à la crise pour soutenir la reprise. Ce fût-là la tâche prioritaire de la Présidence portugaise du Conseil, qui a négocié avec le Parlement européen les instruments juridiques qui ont permis l’émission de dette par la Commission et l’approbation des premiers Plans nationaux de relance et résilience par la suite. Au moment où j’écris, les premières tranches ont été déboursées.
Nous, Européens, étions en tout cas sûrs que la reprise ne pouvait se faire n’importe comment. C’est pourquoi la devise de la Présidence portugaise du Conseil de l’Union européenne était «Le temps d’agir : pour une reprise juste, verte et numérique». Car la pandémie n’est pas notre seul défi. Nul ne peut nier l’impact progressivement brutal du changement climatique ni que nous devons décarboner l’économie mondiale pour que nos enfants n’héritent pas d’une planète sans avenir. Malgré l’émergence de la pandémie, la mise en œuvre du Green Deal n’avait guère perdu son urgence.
D’un autre côté, c’est évident que l’avenir du monde sera numérisé. Que les données – y compris les nôtres, les données de notre vie privée, valent autant que l’or, et que la puissance de leur analyse sera déterminante. Nous savons aussi que la transition numérique entrainera, à court terme, des changements importants dans notre mode de vie et, à moyen et long terme, d’autres bouleversements si profonds que peut-être seuls les écrivains de science-fiction sont en mesure d’imaginer. La pandémie n’a fait qu’accélérer ce processus.
Or, l’Histoire nous apprend qu’il y a des gagnants et des perdants à chaque grande transformation. Que les transformations créent, non seulement, des opportunités et des avancées pour la société, mais aussi, des angoisses légitimes auxquelles les gouvernements doivent faire face et dont se nourrissent les populismes qui minent les fondements de nos démocraties.
Il fallait donc que l’Europe se penche sur les conséquences de cette double transformation dans nos sociétés, dans nos marchés du travail, qu’elle réfléchisse aux défis que ces transformations apporteront à notre modèle social – qui nous est cher et qui est au cœur du projet européen depuis le début, comme l’a remarqué Monsieur Enrico Letta à l’Ambassade du Portugal en France lors de la conférence qui signalait le coup d’envoi de la Présidence portugaise à Paris. Nous savons pertinemment que nos citoyens auraient beaucoup plus souffert pendant la crise pandémique si nous n’avions pas notre modèle social européen. C’est pourquoi le Portugal a voulu reprendre ce débat entamé à Göteborg, en 2017, et a défini comme priorité de la Présidence l’adoption du plan d’action sur le pilier européen des droits sociaux afin d’en assurer la mise en œuvre. Présenté par la Commission européenne au mois de mars dernier, le plan d’action propose un ensemble d’initiatives et trois objectifs principaux à l’horizon 2030:
• Le taux d’emploi doit s’élever à au moins 78% dans l’Union européenne;
• Au moins 60 % des adultes doivent participer chaque année à des activités de formation;
• Le nombre de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale doit diminuer d’au moins 15 millions, dont 5 millions d’enfants.
Pour trouver les bonnes politiques et les bonnes pratiques qui mèneront à bien le plan d’action sur le pilier européen des droits sociaux, dans un climat de changement très rapide des économies et du travail, auquel la pandémie s’est superposée, la Présidence a décidé d’organiser les 7 et 8 mai le Sommet Social de Porto, rassemblant chefs d’état et de gouvernement, les Institutions européennes, les partenaires sociaux et d’autres représentants de la société civile européenne. La participation des partenaires sociaux témoigne du respect pour le modèle social européen où le dialogue social a une place à part entière.
De cette rencontre est issu le Compromis de Porto, le plus complet et ambitieux compromis tripartite jamais obtenu en matière sociale au niveau de l’Union. Celui-ci appelle toutes les parties prenantes à unir leurs efforts afin d’aboutir à une reprise juste, solidaire, qui crée des emplois décents, qui investit dans les citoyens, surtout dans la jeunesse, et ne laisse personne – particulièrement ceux qui subiront les conséquences négatives de cette double transition – pour compte. Il appelle notamment les États membres à fixer des objectifs nationaux ambitieux, tenant compte de la position de départ de chaque pays, pour atteindre les objectifs visés au niveau européen. Il propose aussi la mise en place d’une évaluation régulière des progrès réalisés.
Ce compromis a été signé par le Président du Parlement européen, Monsieur David Sassoli, la Présidente de la Commission européenne, Madame Ursula von der Leyen, le Premier Ministre portugais, Monsieur António Costa, le Secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats, Monsieur Luca Visentini, le Président de BusinessEurope, Monsieur Pierre Gattaz, le Président du SGI EUROPE, Monsieur Pascal Bolo, le Président du SMEunited, Monsieur Alban Maggiar, et par le Président de la Social Platform, Monsieur Piotr Sadowski.
Les chefs d’état et de gouvernement ont par la suite adopté la Déclaration de Porto qui prend acte de ce compromis et salue les nouveaux objectifs de l’UE en matière d’emploi, de compétences et de réduction de la pauvreté ́ ainsi que le tableau de bord social proposés dans le plan d’action. Et nous avons déjà fait des progrès concrets avec la récente adoption de la garantie pour l’enfance qui prévoit que chaque enfant doit recevoir au moins un repas par jour d’école, avoir accès à tout matériel scolaire, transport à l’école, ainsi qu’un logement convenable.
Par ailleurs, le Conseil a encore adopté au premier semestre 2021 d’importantes conclusions en matière sociale: sur la stratégie en faveur des droits des personnes handicapées 2021-2030, sur l’impact socio-économique de la Covid-19 sur l’égalité de genre, sur les défis posés par le vieillissement de la population et sur le thème si actuel du travail à distance, pour ne citer que quelques-uns des «deliverables» de la Présidence sur le chantier social.
Mais il faut aller plus loin et plus vite. Comme le rappelait le Premier Ministre portugais lors de la clôture du Sommet de Porto: «Il faut augmenter les qualifications (new skills, upskilling, reskilling): de nos citoyens ; investir en innovation pour renforcer la compétitivité de nos entreprises; et renforcer la protection sociale pour garantir que personne n’est laissé pour compte.»
Nous ne devons jamais oublier que les citoyens sont l’actif le plus important d’un pays, d’une communauté, de notre Union. L’État social européen et le travail digne et décent sont ainsi des éléments essentiels de la cohésion, de l’équilibre intergénérationnel et de la résilience de nos sociétés, ce qui est d’autant plus important en ces temps troublés que nous vivons. La pandémie n’a fait que nous le rappeler. Profitons de cette occasion historique pour mettre en œuvre ces principes et renforcer notre projet européen.