Peter SUTHERLAND
Représentant spécial de l’ONU
pour les migrations et le développement
Les pays européens ne prennent pas leur part de responsabilité dans la crise migratoire actuelle et ont laissé des pays comme la Turquie ou l’Italie seuls face à cet enjeu, uniquement en raison de leur proximité géographique. Or, il est impossible de continuer à ignorer l’enjeu migratoire.
Lors du dernier Sommet européen, la chancelière allemande a reconnu que la question des migrations était l’enjeu majeur auquel l’Europe devait faire face. Angela Merkel a même été plus loin en qualifiant de « cassée » la politique européenne de l’asile et des migrations. De fait, les réponses données face aux pertes de vies humaines en Méditerranée sont inexistantes, et l’absence de solidarité qui s’est fait jour au Conseil européen du mois de juin est criante.
D’où provient une telle crise ? De l’absence, au niveau national, de tout leadership politique. Les hommes politiques des pays européens ont peur de dire que les migrants sont porteurs de bénéfices, car c’est là aller à l’encontre de leurs opinions publiques. Or, en éludant cette question, les leaders nationaux ont laissé le champ libre aux extrémistes qui, de leur, ne cessent d’exagérer les problèmes et les défis posés par les migrants. Et pourtant, le plus souvent, les migrants sont un fait positif : ils sont moins victimes de chômage que les populations des pays qui les accueillent et ils créent plus d’emplois qu’ils n’en prennent. Bien qu’étant indéniables, ces faits ne sont jamais mis en valeur, ce qui altère grandement la perception actuelle des migrants. Selon un récent sondage, 67% des Français, 53% des Allemands et 57% des Italiens sont en faveur de la réintroduction de contrôles aux frontières…
Comment sortir de cette impasse ? Il convient tout d’abord de redéfinir la distinction qui demeure encore bien trop floue entre demandeurs d’asile et migrants économiques. La majorité des demandeurs d’asile dépensent bien plus d’argent pour leur traversée à bord d’embarcations de fortune que le coût d’un vol en première classe de New Dehli jusqu’à un aéroport européen. C’est dire leur désespoir… Et je m’interroge, pourquoi ces migrants ne pourraient- ils pas être enregistrés au Caire, ou à Khartoum ? Pourquoi ? Parce que les pays européens ne prennent pas leur responsabilité en acceptant d’accueillir une partie des réfugiés. Il semble bien que l’Union européenne attende que des pays comme la Turquie ou l’Italie se chargent cette question, et ce uniquement en raison de leur proximité géographique. La Turquie fait bien plus pour les réfugiés syriens que l’Union européenne. Après l’invasion soviétique à Budapest, à l’automne 1956, l’Europe avait pourtant accueilli 100 000 Hongrois. Aujourd’hui, moins de soixante ans plus tard, alors qu’elle est confrontée à ses frontières à la question des migrants, la Hongrie choisit de construire un mur afin de bloquer leur passage…
Il est dommage que l’Europe soit incapable de prendre en compte les enjeux démographiques liés au vieillissement indéniable de sa population. Car nous avons beaucoup plus besoin de migrants que nous ne sommes prêts à le reconnaître. Il faudrait établir des partenariats fondés sur des principes d’égalité avec l’Afrique et les pays de la Méditerranée. Certes, nous pourrions appeler de nos voeux une plus grande mobilité au sein même du continent africain et une meilleure gouvernance. Mais ce n’est pas suffisant. Il nous faut aussi mettre en place une nouvelle politique européenne en Méditerranée. Alors que nous jetons souvent un regard empreint de supériorité de l’autre côté de l’Atlantique, nous devrions avoir à l’esprit le système bien plus généreux et efficace mis en place aux États-Unis en faveur des demandeurs d’asile. Et nous en inspirer.
L’Europe est au pied du mur. Elle a besoin d’innover afin de mieux protéger les réfugiés et les migrants forcés, notamment tous ceux qui ne sont pas spécifiquement mentionnés dans les textes de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Nous ne pouvons continuer à ignorer l’enjeu migratoire.
La Turquie, qui compte 74 millions d’habitants, a accueilli, depuis 2011, 2 millions de réfugiés syriens alors que l’Europe, dont la population s’élève à plus de 500millions d’habitants, en a accueilli à peine 150 000. Il est nécessaire de mettre en place un partage plus équitable des responsabilités. Et il faut le faire vite. Nous avons besoin d’une politique européenne globale. Nous avons face à nous des hommes, des femmes, des enfants : des êtres humains. C’est là tout l’enjeu de la mondialisation.
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