Mobilités durables, l’Union européenne promet de passer la seconde

Par Matthieu Vittu
Président d’Euro 4T, alumni de la promotion Stefan Zweig du Mastère spécialisé experts en affaires publiques européenne de l’INSP

Confrontations Europe publie une série de synthèses analytiques des auditions des Commissaires désignés pour 2024. Dans ce cadre, Matthieu Vittu, président d’Euro 4T et diplômé du Mastère spécialisé en affaires publiques européennes de l’INSP, analyse l’audition du Grec Apostolos Tzitzikostas, chargé des portefeuilles du transport durable et du tourisme.

Le transport de voyageurs et de marchandises impacte au quotidien la vie de millions d’européens. Pour y répondre, l’Union européenne tente de construire progressivement une vision et un cadre d’actions pour des mobilités plus durables et inclusives. Les rapports récents de Mario Draghi et Enrico Letta le confirment, l’interconnexion des réseaux de transports est essentielle pour renforcer la compétitivité de notre économie et rapprocher les européens. Un sujet protéiforme qui nécessite à la fois des moyens financiers considérables et une capacité d’adaptation de l’ensemble des acteurs économiques et politiques.  

Dans ce contexte, ce lundi 4 novembre s’est déroulée l’audition de confirmation par le Parlement européen d’Apostolos Tzitzikostas, Commissaire désigné au transport durable et au tourisme, dans un amphithéâtre où plus aucune chaise n’était disponible. Le Commissaire désigné s’est prêté durant trois heures au jeu des questions réponses avec les députés européens. Si beaucoup d’éléments avaient déjà été analysés dans la lettre de mission du Commissaire et ses réponses aux questions écrites des parlementaires, le grand oral reste un moment clé dans la démocratie européenne et reste toujours une bonne occasion de faire le point sur les nombreux dossiers transports. Il est proposé ici d’en analyser quelques-uns.  

Avant tout, la sécurité des voyageurs reste le sujet le plus important  

Le Commissaire désigné a été le témoin de la catastrophe ferroviaire vécue en Grèce, l’accident ferroviaire de Larissa le 28 février 2023, lors d’une collision entre un train de voyageurs et un train de fret en Thessalie. Il a affirmé en introduction et conclusion de ses propos que la sécurité sera sa première priorité. Il souhaite discuter avec les États membres pour qu’ils comprennent bien l’ensemble des règles applicables et qu’ils les mettent scrupuleusement en œuvre.  

Sans concession sur la transition environnementale

Concernant l’application du Pacte vert, le Commissaire a été sans concession. Les règles sont claires, elles ont été fixées depuis des années, ce qui a apporté des certitudes et de la prévisibilité pour les acteurs du marché. Le secteur des transports est le seul en Europe dans lequel les émissions de CO2 continuent de croitre. La mise en place rigoureuse du paquet fit for 55 est donc essentielle pour changer la trajectoire de sens. C’est ici également l’idée que la compétitivité doit reposer sur la durabilité et qu’un soutien massif doit être effectué aux mobilités durables.  

Il s’agit aussi d’assurer une prévisibilité à long terme du secteur. Il ne peut pas y avoir de diminution des émissions de CO2 sans report modal et sans augmentation rapide des mobilités douces. L’Union européenne est très attendue sur ce sujet. Par exemple créer un réseau pour les cyclistes y compris dans les zones plus reculées et garantir leur sécurité, soutenir les industries nouvelles en la matière. 

Le secteur automobile au cœur de toutes les attentions 

Parmi les secteurs économiques en transition, celui de l’automobile est dans doute l’un des plus complexes à transformer. Il est à le fois source d’inquiétudes mais constitue aussi un formidable vecteur d’opportunités. Il pèse en Europe plus de 100 milliards d’euros d’excédent commercial et pèse plus ou moins 14 millions d’emplois. Le Commissaire désigné l’a reconnu : « Toute transition est difficile » et ce ne sera pas une tâche facile. La Commission veut suivre son plan initial et épauler son industrie avec de nouvelles approches et financements pour passer cette transition de la manière la plus fluide possible. 

L’UE affiche un message de fermeté concernant les normes environnementales. Les entreprises du secteur automobile ont encore 11 ans pour arriver à l’échéance de 2035 où seuls des véhicules zéro émission seront commercialisés en Europe et les « Cafe » étaient connues depuis déjà 2019. En revanche, il faut aider ce secteur à opérer sa transition : par exemple en créant un marché avec des véhicules moins chers, des infrastructures qui sécurisent les conducteurs qui souhaitent passer à l’électrique. Concrètement, cela veut dire que la Commission souhaite revoir toute la chaine d’approvisionnement et l’ensemble des leviers : infrastructures, numérisation, données… Avec un pacte pour l’industrie propre. Avec ces objectifs, l’Union européenne a l’occasion de devenir cheffe de file dans le secteur des technologies vertes. Apostolos Tzitzikostas a aussi promis un plan de soutien pour l’industrie automobile dès 2025 sans apporter d’explications concrètes sur son contenu citant un « plan d’action industriel pour stimuler la production et la confiance du consommateur ».  

Pour l’Union européenne, les règles et objectifs sont clairs, il faut respecter le plan. Sans cela, le message ne sera pas un message de stabilité ou de confiance. La Commission est déterminée à protéger son industrie de toute concurrence déloyale et de ne pas dépendre de l’étranger. Le passé a montré plusieurs mauvais exemples en matière d’influence de pays tiers qui sont venus sur le marché unique comme les panneaux solaires. Pour ne pas répéter l’erreur, l’UE semble déterminée à taxer les véhicules électriques en provenance de Chine qui ont bénéficié d’importantes subventions.  

La Commission européenne va s’intéresser aussi aux véhicules d’entreprises. Le Commissaire désigné est très sensible au soutien à une initiative européenne en la matière. Il faut rappeler que plus de la moitié des véhicules sur les routes européennes. Aussi, cela peut permettre de créer un marché d’occasion pour les citoyens ce qui contribuerait à la réduction du prix des voitures électriques. Une action législative européenne est possible en la matière.  

Priorité à l’électrique pour le routier, se donner le temps pour des carburants durables pour l’aérien et le maritime

En matière de carburants durables, la Commission fait le choix de la neutralité technologique et souhaite explorer toutes les solutions technologiques. Il faut tenir compte des différences notables entre les usages et besoins des secteurs routiers, aériens et maritimes. Le Commissaire désigné souhaite un plan d’investissement pour les transports durables pour créer les carburants alternatifs. Les E-fuel commence à apporter de la flexibilité. Il déconseille de choisir pour le moment le type de systèmes. En 2025, l’initiative ReFuelEU Aviation va démarrer et il sera l’occasion de mesurer son évolution.  

La Commission souhaite poursuivre le travail et le dialogue avec l’industrie à l’image de l’Alliance pour le carburant durable. Le Commissaire désigné a évoqué aussi l’idée d’une banque pour les carburants durables. 

Le Réseau transeuropéen de transport (RTE-T) au cœur de toutes les attentions

Le Commissaire désigné a beaucoup insisté sur la priorité absolue de parachever le RTE-T avec l’amélioration du réseau ferroviaire au cœur des actions à réaliser, la promotion du transfert modal. Afin d’accroitre l’utilisation du ferroviaire, favoriser le fret, la directive sur le transport combiné en cours de discussion doit accompagner cela. Celui-ci doit par exemple permettre de diminuer de 2h la durée d’un trajet en train de Copenhague à Hambourg. L’Union européenne ambitionne depuis longtemps de connecter les grandes villes européennes entre elles ce qui est devenu un impératif pour diminuer la part de l’avion au profit du train. Les rapports Draghi et Letta poussent en cela. Mais les financements pour y parvenir sont gigantesques, de l’ordre de 450 milliards d’euros uniquement pour le réseau central du RTE-T. 

La décarbonation du transport routier est également au cœur des débats. Comment réduire les émissions et accélérer l’arrivée sur les routes de de poids lourds plus propres ?  

Le Commissaire désigné a affirmé également sa croyance en la libéralisation du ferroviaire, comme en Espagne ou en Italie. Il apporte des chiffres récents qui sont bons. Pour lui, le problème du ferroviaire, c’est surtout le manque de financement des infrastructures, l’interopérabilité, l’offre de billets. Il faut mettre en œuvre le 4e paquet ferroviaire. 

C’est la question des corridors européens avec des connexions à faire ou parfaire comme celle entre Berlin et Varsovie. Un autre sujet est venu sur la table durant l’audition, les connexions au sein de la région de l’Arc Alpin, le cœur de l’Europe où 45% du fret continentale traverse cette région.  

Pas de parachèvement du réseau européen sans connexion des zones rurales et isolées. Il faudra suivre avec attention comment seront utilisés les fonds prévus dans le fonds social pour le climat avec une gestion par les États membres, un moyen de lutter contre la précarité de nombreux européens qui ne bénéficient pas de solutions satisfaisantes pour être mobiles.  

Même sujet avec les pays périphériques qu’il s’agira d’intégrer rapidement. A l’exemple d’un corridor de solidarité avec l’Ukraine. Notre monde en tension rappelle l’obligation pour l’UE de disposer d’un développement rapide de la mobilité militaire. 

Le renforcement du marché unique  

Le marché unique est au cœur des réflexions comme l’a montré le rapport d’Enrico Letta. Il y a encore trop de barrières règlementaires qui freinent les mobilités des européens. La Commission souhaite faciliter encore la vie des entreprises et des consommateurs. Le Commissaire a donné l’exemple du secteur de la location de voiture. « Impossible de déposer une voiture de location à Amsterdam en l’ayant louée à Lille sans payer une somme importante ». 

Le renforcement du marché unique et de son réseau de transport doit contribuer à consolider la place de l’UE comme première destination touristique au monde sujet sur lequel le Commissaire (première fois qu’un Commissaire est chargé du tourisme) désigné a promis une stratégie pour un tourisme durable après consultation des parties prenantes. 

Une idée révolutionnaire, une billetterie de transports unique à l’échelle européenne.  

L’idée sans doute la plus innovante proposée par la nouvelle Commission est celle consistant à proposer une billettique unique à l’échelle de l’UE, avec un système de réservation, entièrement numérisée, quel que soit le mode de transport. Vous souhaitez vous rendre de votre domicile de La Rochelle au stade San Siro de Milan ? Le système doit vous permettre de programmer votre voyage de la manière la plus simple possible, peu importe le nombre et le type de transports utilisés, tout en vous faisant réduire votre empreinte CO2. Le Commissaire désigné a promis cela pour 2025, c’est un délai serré tant la tâche semble titanesque.  

Cela passe aussi par un renforcement des droits des passagers. L’UE est le premier continent à ériger de tels droits pour les passagers et souhaite aller plus loin encore.  

Rattraper le retard vis-à-vis de la Chine et des Etats Unis en matière d’innovation 

Comme dans d’autres domaines, en matière de transports, l’innovation technologique doit être au cœur des investissements européens pour rattraper le retard de l’UE par rapport à la Chine et les Etats-Unis. La force de l’Europe est de disposer d’un cadre règlementaire solide. C’est un acquis à défendre et utiliser. Ses programmes d’innovation peuvent permettre de favoriser l’émergence de technologies de ruptures. A commencer dans les données numériques, véritable mine d’or à exploiter par exemple pour le secteur automobile.  

A cela s’ajoute le sujet de la transition numérique et favoriser une mobilité plus intelligente dans l’UE ce que permet le nouveau cadre sur le déploiement de systèmes de transport intelligents (STI).  

Les ports redoublent d’importance stratégique

La Commission européenne prépare une stratégie portuaire. Avec l’agression Russe en Ukraine, l’accroissement du nombre de conteneurs, l’influence des ports s’est encore renforcée et elle est déterminante dans le commerce international. Il faut compter aussi avec la présence de la Chine dans des infrastructures portuaires européennes. Il y a donc un sujet majeur d’indépendance stratégique vis-à-vis des pays tiers et de contrôle des chaines d’approvisionnement. Le secteur maritime est aussi à la croisée des chemins pour ce qui concerne son empreinte environnementale. Le Commissaire désigné s’est engagé à un plan pour les ports européens en assurant leur transition vers la transition climatique.   

Aussi, si la présence de mafias dans les ports européens est connue et constitue un réel danger, la sécurisation relève de la compétence de des États membres. 

Pas de transports sans humains  

Pour parvenir à tous ces objectifs, il y a plusieurs conditions à respecter. L’une d’elle et pas des moindres est celle d’un manque de travailleurs qualifiés dans de nombreux secteurs. On ne parviendra pas à résoudre ce problème sans formation et reconversion de travailleurs, attirer les jeunes vers les métiers des transports. A une question d’un parlementaire, le Commissaire désigné a qualifié les travailleurs du secteur des transports de « héros », comme durant la pandémie. Cela passe bien sûr aussi par de meilleures conditions de travail. Le Commissaire désigné propose de procéder à une évaluation globale des conditions de travail pour identifier les lacunes. Et rappelle qu’il n’y a pas de place pour l’exploitation et les abus. En cela, la législation européenne doit être appliquée. 

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