Par Christophe Béguinet, Conseiller énergie de Confrontations Europe – LE REVUE #136.
Face à la flambée des prix de l’énergie au sein de l’UE, la Commission européenne a décidé de lancer une réforme profonde du marché européen de l’énergie, dont les mécanismes structurants ont été accusés d’être la cause principale de l’inflation de l’hiver 2022-2023. Le nouveau marché doit ainsi répondre à trois enjeux majeurs auxquels tous les pays européens doivent aujourd’hui faire face :
- la rupture d’approvisionnement en gaz russe, suite aux sanctions contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine, et la diminution drastique de la production nucléaire, notamment en France;
- le besoin de financement de la décarbonation du mix énergétique européen à horizon 2023 ;
- la garantie durable d’une énergie bon marché pour l’ensemble des Européens.
Cette consultation européenne, lancée le 23 janvier 2023, s’est terminée le 3 février 2023. Elle a porté sur 68 questions, déjà très orientées et même parfois assez éloignées de son objet. À sa suite, une proposition de réforme du marché doit être communiquée autour de la mi-mars. Dans ce calendrier extrêmement serré (consultation express, propositions, suggestions), on ne peut imaginer, avec aussi peu de temps d’analyse, disposer de propositions des réformes profondes attendues.
Quoiqu’il en soit, et selon les règles établies, 1350 réponses valides ont été enregistrées (dont 611 en provenance de Slovaquie et 110 de France, deuxième pays contributeur). Le débat sur le «market design» européen de l’électricité a été très largement débattu et souvent dénoncé en France, expliquant le nombre élevé de réponses.
Ce sont également de nombreux «non-papers» accessibles en ligne qui ont été publiés par les États français, polonais, espagnol, suédois, grec, le collectif des États du Nord mais aussi par beaucoup d’instituts de recherche et d’organismes nationaux ou internationaux comme les régulateurs, les associations professionnelles européennes, etc.
Sur la base de ce que nous avons pu lire, la réforme dispose d’un consensus large sur la nécessité de faire évoluer le marché vers une architecture qui préserve les signaux à court terme aujourd’hui en place, mais qui donne beaucoup plus de place aux marchés à long terme. Les besoins portent sur une profondeur de marché sur 10, 20 voire 40 ans, et sur des mécanismes incitatifs pour des investissements cohérents avec l’échelle de temps du secteur de l’énergie. Aujourd’hui, le marché fonctionne massivement avec des livraisons à H24 (pour le jour même ou pour le lendemain) et sur des livraisons à 1, 2 ou 3 ans.
Quelles pistes émergent aujourd’hui pour répondre au besoin de signaux prix à long terme?
Comme cela a été précisé, la consultation a abordé, dans son questionnement, des pistes relatives à la mise en place de mécanismes de long terme.
Dans son énoncé, elle met en exergue les PPAs (Power Purchase Agreement) et les CfDs (Contract for Difference) pour aller dans le sens d’un développement des contrats à long terme et pointe l’intérêt de maintenir la limitation des rentes inframarginales tant qu’elles perdurent.
Confrontations Europe a de son côté associé l’Université de Montpellier à sa réflexion sur le sujet, avec Jacques Percebois et Boris Sollier, respectivement Professeur émérite de l’Université et Professeur en charge du Master Économie de l’Énergie.
Les pistes qui nous semblent aptes à répondre aux besoins du marché reposent sur des approches systémiques, c’est-à-dire au périmètre du marché et pas seulement aux parties de celui-ci.
1) Les limites des PPAs, « Power Purchase Agreement »
Les PPAs reposent, comme l’indique leur dénomination, sur un accord entre une entité productrice d’un côté, et une entité consommatrice d’électricité de l’autre. Ils concernent ces deux acteurs et requièrent une gestion des contreparties et des risques en fonction de leur périmètre respectif. On est ici avec un dispositif limité dans sa capacité à faire évoluer le marché et peu incitatif au regard des implications sur les risques et contreparties. Enfin, les PPAs n’ont d’existence aujourd’hui qu’en lien avec les moyens deproduction renouvelables. C’est déjà beaucoup, pourrait-on dire, mais pour les pays qui, au sein du système électrique européen, ont également fait le choix d’un mix décarboné avec une production électronucléaire, il y a un manque évident. Les PPAs constituent ainsi un outil contractuel intéressant pour une partie du marché, mais il ne répond pas à un besoin de réforme plus systémique.
2) La pertinence des CfDs, « Contract Difference »
Ce mécanisme assure des revenus garantis au producteur tout en intégrant dans sa conception la limitation des rentes infra-marginales. En effet, en complément d’une rémunération plancher apte à couvrir les risques des producteurs, il peut être adossé à un plafond de revenus qui est lui protecteur du consommateur.
Ce dispositif est cependant bien connu des marchés puisqu’il s’applique pour partie aux moyens de production renouvelable sur l’ensemble du marché européen, mais aussi au nucléaire (il constitue d’ailleurs le mécanisme de rémunération de la future centrale électro- nucléaire de Hinckley Point C).
3) La piste de la rémunération de la BAR, « Base d’Actifs Régulés »
Ce mécanisme de rémunération est, lui aussi, bien connu des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution de l’électricité. Ce choix est celui fait par le gouvernement du Royaume-Uni pour le futur réacteur nucléaire de Sizewell-C afin de partager les risques entre les industriels et les consommateurs. Ce mécanisme a pour vertu d’avoir le «juste» prix à long terme. De cette façon, le consommateur finance, dans sa facture, les investissements engagés dans la construction du moyen de production d’un côté, et de l’autre, les industriels profitent d’un retour sur investissements sécurisé. Ce mécanisme nécessite une régulation forte pour limiter la base d’actifs à rémunérer précisément, tout en respectant la garantie d’un rembourse- ment des investissements « équitable» pour l’industriel.
Mais quelles réponses apporter à court-terme?
La mise en place généralisée des mécanismes énoncés ci-dessus vont cependant nécessiter du temps pour que ces moyens de production accessibles par ces nouveaux dispositifs contractuels agissent pleinement sur le marché. Il est pertinent de considérer des dispositifs à plus court terme, moins structurants, mais à même de limiter la volatilité des prix à moyen comme à court-terme.
Le déficit de capacité de production, en particulier de production pilotable, est à la racine des «dysfonctionnements» du marché. Il n’est donc pas imaginable d’apporter des réponses structurelles pérennes à la situation que nous connaissons depuis plus d’un an. Il faut corriger les excès et construire les réponses systémiques.
Pour corriger les dérives du marché européen de l’électricité, on peut évoquer quelques dispositifs simples :
- Le plafonnement du prix de l’électricité sur le marché de gros Ce dispositif existe avec un plafond à 4 000 €/MWh après avoir été limité à 3 000 €/MWh ces dernières années. Cependant, il faut convenir d’un prix qui soit suffisamment protecteur pour les consommateurs et assez incitatif pour les producteurs afin de disposer des moyens de production suffisants.
• La rémunération des producteurs sur la base d’un prix offert (pay-as-bid) et non d’un prix d’équilibre (pay-as-clear)
Ce dispositif qui donne la main aux producteurs dans le « pricing» de l’électricité sur le marché des échanges journaliers, au contraire de l’organisation actuelle calée sur le dernier prix moyen de production appelé, présente quelques avantages notamment sur la redistribution des rentes infra-marginales mais il n’apporte pas de garanties sur la maîtrise des prix de gros et sur l’optimisation du système.
• La fixation du prix sur la moyenne des coûts pondérés
Il s’agit ici de substituer le principe d’un prix adossé au coût marginal du dernier prix moyen appelé par la moyenne pondérée des coûts marginaux proposés heure par heure. La pondération se fait en fonction de la puissance appelée (cf. Jacques Percebois et Stanislas Pommeret – Revue de l’Energie n°662, 2022).
Ce que nous retenons
Tout d’abord, comme nous le dit le consensus des différentes contributions accessibles, les principes du marché à court terme méritent d’être préservés.
Ensuite, pour réduire la volatilité excessive de ces marchés à court terme, il est souhaitable d’introduire une forme de pondération, inspirée des propositions évoquées ci-dessus.
Enfin, il faut introduire et stimuler tant les PPAs que les CFDs avec l’idée d’une part minimale à proposer au marché sur ces deux formes de contractualisation.
Mais nous prolongeons la réflexion, avec un pas de côté vis-à-vis de la réforme du marché de l’énergie, en suggérant de pérenniser les tarifs régulés sur les contrats inférieurs à 36 kVA (exemple de la France) pour les particuliers et les petites entreprises.