Anne Bucher, Directrice générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne de 2018 à 2020 et Administratrice associée de Confrontations Europe
En novembre 2020, en réponse à la Covid-19, la Commission européenne a adopté une proposition de paquet « d’Union de la santé ». S’agit-il d’un tournant stratégique pour l’UE ? Historiquement, la santé, avec la défense, est le parent pauvre du projet européen. Pourtant avec le marché intérieur, de nombreuses avancées ont eu lieu, conduisant en 2007 à un article consacré à la santé publique dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Parmi ces avancées, la sécurité sanitaire a été un terrain d’entente privilégié : la succession des crises sanitaires et des épidémies, du SRAS en 2002 à l’épidémie de grippe H1N1 en 2009, a mis à jour les interdépendances entre États membres dans des situations de crises transfrontières et a permis l’émergence d’un cadre de sécurité sanitaire européen. Le paquet « Union de la santé » en réponse à la pandémie de la Covid-19 s’inscrit dans cette logique. En janvier 2020, à l’apparition du virus, l’Union européenne a activé les mécanismes de crise sanitaire dont elle disposait. Ceux-ci incluaient la coordination des ministères de la Santé au sein du Comité de sécurité sanitaire, la surveillance épidémiologique par le Centre européen de contrôle des maladies (ECDC) et l’achat conjoint de fournitures médicales essentielles. Mais ce cadre a très vite montré ses limites. Les pays de l’UE se sont montrés réticents à partager et harmoniser les données épidémiologiques et les informations sur les achats, et à coordonner les mesures sanitaires. Même pour la gestion de leurs frontières communes, et munis de l’outil harmonisé qu’est le certificat numérique COVID de l’UE, les mesures de contrôle aux frontières sont restées nationales. Dans ce contexte, la stratégie vaccinale avec l’achat conjoint des vaccins a marqué un tournant dans la gestion européenne de la pandémie et une solidarité exceptionnelle. Elle reposait sur un mécanisme nouveau rendu possible par l’instrument budgétaire d’urgence qui a permis à la Commission de centraliser les contrats de préachats. Après un démarrage difficile, la stratégie vaccinale s’est finalement avérée très efficace pour fournir des vaccins à l’ensemble de la population européenne. Ce succès politique a ouvert la voie à une plus grande coordination en matière de santé.
Le paquet pour l’Union de la santé de novembre 2020 s’appuie sur les enseignements tirés de la Covid-19. La principale nouveauté est la création de l’Autorité d’intervention sanitaire d’urgence (HERA) qui pérennise le dispositif mis en place en 2020 pour l’achat des vaccins : elle donne à l’UE une structure pour soutenir le développement, la production et l’achat, non seulement de vaccins, mais aussi de toutes les fournitures médicales essentielles en cas de crise (équipements de protection, tests et médicaments). Son mandat réplique celui de l’agence BARDA aux États-Unis, qui a préfinancé la recherche et le développement de vaccins pendant la crise de la Covid-19. Cependant, ses ressources fi nancières provenant de plusieurs programmes européens ne lui donneront pas pour les années à venir la flexibilité financière nécessaire à sa mission. Le paquet comprend également des améliorations du cadre de sécurité sanitaire : capacité de surveillance accrue ; échange en temps réel d’informations épidémiologiques plus comparables ; plans européens et nationaux de préparation aux crises, tests de simulation de crise. Mais le centre de gravité du cadre de sécurité sanitaire reste national, reflétant la primauté de la souveraineté nationale sur la coordination européenne, en particulier en cas de crise sanitaire où les gouvernements nationaux sont directement responsables de la protection de la vie de leurs citoyens. Il serait prématuré de tirer des conclusions définitives sur les perspectives de l’Union de la santé. La Covid-19 aura certainement permis une avancée significative, mais les gains potentiels d’une Union de la santé plus intégrée justifieraient un projet plus ambitieux.
À quoi ressemblerait une Union de la santé ?
Face aux crises sanitaires transfrontières, les pays dépendent les uns des autres pour leur sécurité sanitaire et l’UE est aussi forte que son maillon le plus faible. Tous les pays ont intérêt à coordonner leurs efforts et à partager leurs informations. Un modèle totalement intégré de préparation, de prévention et de réaction aux crises sanitaires au-delà du dispositif actuel permettrait d’atteindre un niveau de sécurité sanitaire plus élevé. Mais il est aussi légitime de s’interroger sur les responsabilités de l’Union dans des domaines de santé autres que la sécurité sanitaire.
Pour les maladies non transmissibles, qui sont le principal fardeau pour les systèmes de santé en Europe, les États membres se sont historiquement limités à une coopération volontaire et limitée, axée sur certains aspects des maladies rares et du cancer. Les États membres auraient tout à gagner à aller plus loin, par exemple mutualiser leurs efforts de recherche et étendre la surveillance aux maladies non transmissibles également. Une extension du mandat de l’ECDC serait une voie possible et ne ferait qu’aligner le mandat de l’ECDC sur celui des autres agences nationales ou internationales de santé publique. Un tel développement aiderait à la compréhension, prévention et détection des principales maladies ou à relever des défi s communs tels que la santé environnementale. Elle répondrait à l’obligation du traité de l’Union européenne de lutter contre les grands fléaux sanitaires.
Une dernière question est de savoir si l’Union de la santé doit également couvrir les services et les systèmes de santé. Le traité mentionne explicitement que les systèmes de santé restent une compétence nationale. Ce choix se justifie d’un point de vue économique : toute convergence ou intégration des systèmes de santé aurait des coûts prohibitifs. Mais l’UE joue un rôle important par le biais du marché unique des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux. Ceux-ci représentent environ 20 % des dépenses de santé dans l’UE et les médicaments et les dispositifs médicaux sont des moteurs importants de l’innovation dans les soins de santé. Ces marchés sont soumis à une pression considérable pour faire face à la concurrence mondiale et à des budgets de santé serrés. La stratégie pharmaceutique proposée par la Commission européenne en novembre 2020 pour relever ces défis sera une contribution importante à l’Union de la santé. Globalement, la sécurité sanitaire restera une priorité d’intégration par rapport aux autres préoccupations de santé publique et les actions coordonnées en matière de soins de santé resteront limitées. Mais dans ces limites, l’UE bénéficierait d’une plus grande ambition politique que l’orientation actuelle et la priorité immédiate devrait être la mise en œuvre complète du paquet pour l’Union de la santé pour la sécurité sanitaire et la stratégie pharmaceutique.