L’Union bancaire, une vraie priorité ! Mal partagée ?

Pervenche Berès, députée européenne de 1994 à 2019 et Administratrice de Confrontations Europe

Confrontations Europe a 30 ans, l’Union bancaire en a 10. Elle est née de la grande crise financière (GCF) en 2007 qui a conduit à l’adoption d’un nouveau corpus de règles puis, au sein de l’Union européenne en 2010, de la crise de la dette souveraine, où un secteur bancaire fragile – compte tenu de son exposition à cette dette – risquait, dans certains États membres, d’être emporté conduisant à créer une gouvernance renforcée et unifiée.

Elle est née de l’objectif d’assurer l’efficacité de la politique monétaire, la stabilité financière, la prévention des crises bancaires par une supervision accrue et la protection du contribuable par la création d’instrument de renflouement interne des banques par leurs actionnaires et leurs créanciers (bail in), plutôt que par la création d’un pilier budgétaire et une capacité d’emprunt de l’Union économique et monétaire (UEM). Alors que ce sont les banques qui créent l’essentiel de la monnaie, la crise souveraine a montré que le risque de crédit des États et des banques, observé en 2012 en Italie et en Espagne, plus tard les contrôles de capitaux à Chypre et en Grèce, impliquaient que la valeur d’un euro (bancaire) dans ces pays n’était pas la même qu’en Allemagne ou en France ; l’offre de monnaie en euro était fragmentée ce qui niait le principe même de l’union monétaire.

À l’initiative du président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi et du rapport du président du Conseil européen, Herman van Rompuy « Vers une véritable Union économique et monétaire », l’union bancaire s’est imposée lors du Sommet de la zone euro de juin 2012 pour « briser le cercle vicieux qui existe entre les banques et les États » et du Conseil européen de décembre 2012.

A l’objectif initial, d’autres se sont ajoutés aussi parce que les conditions de mise en œuvre de ces décisions n’ont pas suffi pour rétablir une confiance transfrontière rompue par la crise de la zone euro et empêcher une fragmentation contraire à l’esprit, la lettre et l’efficacité du marché intérieur. C’est la question, jamais ou mal posée, de l’architecture bancaire européenne qui conduit à opposer des modèles. Or, ce dont l’Union européenne a besoin pour optimiser le financement de son économie, c’est, comme aux États-Unis, d’un système dual avec des banques universelles compétitives à l’échelle mondiale et un solide réseau bancaire de proximité. Cela nécessite que pour toutes, la soutenabilité de leur modèle d’affaire, de prise de risque soit vérifiée, débat qu’il faut mener par-delà celui sur la proportionnalité. Pour cela, il faut pouvoir désamorcer l’opposition entre les home et les host alors qu’un cercle vicieux conduit ceux qui ne veulent pas d’une garantie européenne des dépôts à s’appuyer sur son absence pour s’opposer à l’allégement des obligations des groupes ! Une véritable union bancaire devrait faciliter cette relation home-host en supprimant les confinements transfrontières (ring-fencing) des liquidités et du capital et en autorisant des dérogations (waivers) sur l’exigence de fonds propre pour les établissements installés dans différents pays d’un même groupe bancaire augmentant ainsi la circulation des capitaux et des liquidités et permettant le développement de groupes européens.

L’Union des marchés de capitaux (UMC), lancée à partir de 2015, suppose des acteurs bancaires consolidés capables de relever les défis pour financer l’économie européenne, mener des opérations d’investissement de dimension européenne et de long terme.

Le Brexit a ajouté le défi d’un continent dont l’épargne est abondante mais transformée en partie dans un centre financier offshore, Londres, ce qui pose un triple problème d’efficacité (les allers et retours entre le marché unique et Londres sont autant de frictions), de stabilité (même en supposant une réglementation qui demeurerait alignée, les superviseurs britanniques privilégieront toujours la stabilité macro financière dans leur pays), et de souveraineté (l’Union doit pouvoir piloter l’allocation de l’épargne longue au soutien de ses priorités industrielles et environnementales). Idéalement, l’UMC devrait répondre à ces trois défis.

La crise de la Covid et la guerre en Ukraine ont ajouté une prise de conscience par les Européens des enjeux de souveraineté ou d’autonomie stratégique dont la déclinaison sur les marchés financiers renvoie à la capacité des Européens à être les principaux fournisseurs de capitaux pour répondre au besoin d’investissement et au développement de leur économie.

Plus fondamentalement, la question posée est celle d’une contribution du secteur privé au financement des besoins en investissement de l’économie européenne alors même que l’Union s’est doté du plan NGEU (Next generation EU) qui créait un endettement public européen, « actifs européens de qualité et à faible risque, en permettant un rééquilibrage des obligations souveraines dans les bilans des banques et en contribuant à réduire la spirale négative entre les banques et les souverains » et d’une stratégie européenne de Green deal qui doit mobiliser d’importants financement à long terme.

Cette union bancaire repose sur trois piliers dont seuls les deux premiers ont été créés. Le Mécanisme de surveillance unique (MSU) mis en place en novembre 2014 sous la responsabilité de la Banque centrale européenne (BCE) couvre 200 établissements (ayant des actifs à hauteur de 30 milliards d’euros ou 20% du PIB du pays d’origine) représentant 75% des actifs européens, contrairement à la proposition initiale plus large de la Commission. Il est complété par un Mécanisme de résolution unique (MRU) en janvier 2016 avec la création du Fonds de résolution unique (FRU) sur la base d’un financement alimenté par des contributions des banques progressivement mutualisé sur une période de 8 ans s’appuyant sur une harmonisation du traitement des défaillances et la définition d’un cadre de gestion de crise avec la Directive sur le redressement des banques et la résolution de leur défaillances (BRRD) qui met en place le renflouement interne contre le recours à l’argent du contribuable .

Pourtant, l’Union bancaire reste bancale, inachevée. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) qui devait initialement pouvoir recapitaliser directement les banques, interviendra finalement à partir de 2022 comme un filet de sécurité (backstop)du FRU.

Pour mettre en place le troisième pilier, celui d’une garantie européenne des dépôts la Commission a fait une proposition EDIS (European deposit insurance scheme) en 2015 qui sept ans plus tard est toujours sur la table. Les obstacles sont depuis longtemps bien identifiés sans se réduire, au contraire… Les Allemands souhaitent préserver leurs Institutional Protection Scheme (IPS) dont sont parties les Sparkasse (Caisse d’épargne) ; les Italiens redoutent toutes modifications du traitement de la dette souveraine détenue par les banques ou des prêts non performants voulues par d’autres au titre de la réduction des risques préalable à l’instauration d’un partage des risques tel qu’EDIS. Les banques françaises ne veulent pas contribuer à une garantie des dépôts européenne considérant qu’elles payent en 2022 34% du Fonds de résolution unique (FRU) – alors qu’elles représentent 35 % des banques importantes soumises à la surveillance prudentielle directe de la BCE fin 2020 – qui doit atteindre en 2023 1% du montant des dépôts garanties à hauteur de 100 000 euros. D’autres restent en embuscade alimentant un débat sans fin.

Ces obstacles sur le chemin aveuglent sur l’objectif global. L’œil sur le guidon, les États membres, dans un cercle vicieux, déforment leur vision de l’objectif commun soit en ne mettant en avant que leurs craintes, soit en alternant leurs priorités entre achèvement de l’union bancaire et réforme des règles budgétaires. Ceci s’explique d’autant que le risque immédiat sur la stabilité financière s’est éloigné et qu’une fatigue de la négociation s’est installée, une lassitude qui n’aide pas à dépasser les blocages. Faut-il dès lors s’étonner que cette question n’ait pas fait partie des priorités de la présidence française de l’Union européenne (PFUE) ou n’ait pas été mentionnée dans les conclusions des travaux de la Conférence sur le futur de l’UE ?

Il est vrai que l’existence de l’union bancaire, même à son stade de développement, a porté des fruits et fait la preuve de son utilité en jouant un rôle stabilisateur face à la crise de la Covid-19 et au déclenchement de la guerre en Ukraine. La BCE, au regard des marges de manœuvres ainsi créées, a pu intervenir avec des mesures non conventionnelles rapides, innovantes et d’ampleur significative pour soutenir l’économie européenne.

Mais qu’en sera t’il en cas d’augmentation des taux ou de resserrement des conditions d’intervention de la dépense publique nationale ? Cet entre-deux constitue un point de fragilité pour ce qui a été mis en place et l’avancée qu’a constitué la création d’une surveillance unique. L’inachèvement menace l’existant. Comme le dit la Commission ne rien faire pourrait bien couter plus cher que faire.

Lors de l’acquisition de Banco Popular par Santander, dans l’hypothèse d’une mise en résolution de Banco Popular, les Portugais ne voyaient pas pourquoi ils devraient assurer le paiement de la garantie de dépôt déclenché par une décision de résolution prise au niveau européen.

Plus généralement, la pratique conduit à une dérive du système. Les décisions prisent dans le cadre de la surveillance et de la résolution pour pouvoir engager la procédure d’une banque « failing or likely to fail (FOLTF) » paraissent souvent timides ou complices d’autorités nationales cherchant à protéger leurs banques comme dans le cas de Monte dei Paschi. Elles donnent le sentiment d’un Conseil de résolution assis sur un tas d’euro où beaucoup est fait pour éviter une utilisation du FRU et la participation des créanciers obligataires au renflouement des banques, pourtant prévue par la BRRD. Cela conduit à renvoyer à des solutions nationales et donc à une mobilisation du régime des aides d’État par une recapitalisation « de précaution » sous le contrôle de la Commission. Outre l’hyper sensibilité politique locale ou nationale de ces situations, qui peuvent expliquer à défaut de justifier cette frilosité, il existe des lacunes dans la législation BRRD qui conduisent à pervertir le traitement de certains cas. De ce fait, l’Union bancaire risque fort de perdre le bénéfice de ce qui a conduit à sa création ; la volonté de réduire la dépendance des banques vis-à-vis des États par le biais de leur dette se transforme en une dépendance des banques vis-à-vis des États par le biais de leur aide. Il y a donc urgence à réviser la gestion des crises bancaires et donc la BRRD afin de disposer d’un dispositif ex ante et d’un cadre de résolution partout en proportion de la taille de la banque permettant de contourner des États près à payer pour sauver « leurs » banques. En ce sens, le Parlement européen estime « qu’il convient de faire en sorte que la résolution fonctionne pour davantage de banques, ce qui nécessite de revoir l’évaluation de l’intérêt public afin d’accroitre la transparence et la prévisibilité́ ex ante des conclusions qui en sont attendues, de permettre ainsi l’application d’instruments de résolution à un groupe plus large de banques, en particulier les banques moyennes, et d’apporter les précisions nécessaires pour garantir des niveaux de MREL plus cohérents et plus proportionnés ».

Que faire ? Une alternative et deux compléments.

L’alternative, c’est entre la feuille de route proposée par Paschal Donohoe, président de l’Eurogroupe et une solution radicale conduisant à détricoter le MRU et à renoncer à EDIS pour adopter une approche sur le modèle du FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) des États-Unis.

La feuille de route présentée le 3 mai 2022 par Paschal Donohoe, fruit d’un investissement politique important qui tient compte des craintes de chacun, est un texte équilibré qui propose une approche autour de la définition de 4 axes de travail pour résoudre en parallèle des questions interdépendantes : amélioration de la gestion d’une crise bancaire dont fait partie la réforme de BRRD évoqué ci-dessus, création d’un système européen de garantie des dépôts, approfondissement du marché unique bancaire, traitement du risque souverain. La proposition repose sur deux phases sur une durée de cinq ans avec au cours de la première un fonds européen commun de garantie en complément des systèmes nationaux, puis, après une évaluation politique des progrès enregistrés sur les 4 axes, une seconde phase avec un fonds de réassurance (EDIS) couvrant les pertes des fonds nationaux.

A défaut d’un accord sur cette feuille de route, il faudrait reprendre l’ouvrage à la base et revenir sur la division, pour des raisons historiques, entre le FRU et EDIS sur le modèle du FDIC qui assure la garantie des dépôts aux États-Unis à partir de contribution des banques et intervient dans la résolution des banques en difficulté. Certaines autorités nationales ont clairement pris position en ce sens : « Nous devrions passer à l’utilisation d’un fonds unique crédible qui couvrirait toutes les mesures de gestion de crise des banques en faillite ou susceptibles de le faire. Suivant la même logique, si et quand EDIS est mis en œuvre, il devrait fusionner avec le FRU pour former un fonds unique. ».

Le premier complément à l’achèvement d’une union bancaire a été proposé par le président du MSU, Andrea Enria, convaincu qu’un accord politique et une approche institutionnelle serait longue à obtenir et à mettre en œuvre, il interpelle les acteurs du secteur bancaire afin qu’ils agissent sans attendre par des progrès matériels grâce à des solutions « industrielles ». Selon lui : « les calculs de la supervision bancaire de la BCE montrent qu’en l’absence de dispenses de liquidité transfrontalières – comme c’est actuellement le cas – la combinaison de ces dispositions européennes et nationales empêche environ 250 milliards d’euros d’actifs liquides de haute qualité de circuler librement au sein du système bancaire. (… Pour progresser, une voie) consisterait pour les banques à revoir plus activement leur organisation transfrontalière, tout en gardant à l’esprit l’objectif d’intégration du secteur bancaire. Je fais notamment référence à la possibilité de s’appuyer davantage sur les succursales et la libre prestation de services, plutôt que sur les filiales, pour développer les activités transfrontalières au sein de l’union bancaire et du marché unique. Ceci nécessite que soit levé un obstacle spécifique dans la législation bancaire européenne qui affecte particulièrement les établissements de crédit disposant d’une large base de dépôts. Je fais référence à l’article 14, paragraphe 3, de la directive sur les systèmes de garantie des dépôts, qui autorise uniquement le transfert des cotisations versées au cours des 12 mois précédents vers un nouveau système de garantie des dépôts (SGD). En effet, toutes les cotisations versées avant cette période seraient perdues lorsque les dépôts d’un établissement de crédit quittent un SGD déterminé pour en rejoindre un autre, par exemple lorsqu’une filiale est transformée en succursale d’un établissement de crédit établi dans un autre État membre. (…) Les libertés fondamentales de circulation et d’établissement du traité existent également pour le secteur bancaire ». Cela permettrait aux banques de prendre leur part du NGEU en créant de nouvelles alliances sur des projets concrets. Derrière cette proposition, c’est aussi la capacité de consolidation transfrontalière du secteur bancaire européen qui est en jeu alors que la consolidation nationale a partout atteint ses limites et que sans investissement massif, la question du futur du secteur bancaire est posée (notamment les investissements dans le numérique, le traitement des données, l’accompagnement de l’euro numérique…).

Le second complément est celui du pilier budgétaire de l’UEM. Le risque existe que dans un contexte de crise de la Covid, de guerre en Ukraine, de grande incertitude économique et sociale et d’obligation de traiter à la fois du futur de la capacité d’endettement de l’Union européenne et la gestion de la dette publique des États membres que l’énergie politique des responsables se concentre sur ce complément plutôt que sur l’union bancaire elle-même à rebours de ce qui avait été engagé en 2012 alors qu’il faut mener les deux de front. Ce serait une erreur ; l’union bancaire est partie prenante d’une véritable UEM.

« Fondé sur un règlement uniforme, le cadre financier intégré devrait comprendre deux éléments principaux : un cadre unique de surveillance bancaire européenne et un cadre commun sur la garantie des dépôts et la résolution des défaillances. »

« Le Conseil européen demande instamment aux co-législateurs de parvenir avant juin 2013 à un accord sur les propositions de directives relatives au redressement des banques et à la résolution de leurs défaillances, ainsi qu’aux systèmes de garantie des dépôts ; le Conseil devrait quant à lui trouver un accord avant la fin mars 2013. Une fois adoptées, ces directives devraient être mises en œuvre par les États membres en priorité. »

Résolution du Parlement européen du 7 octobre 2021 sur l’union bancaire – rapport annuel 2020 (2020/2122(INI)), Paragraphe 40

https://www.srb.europa.eu/en/cases

Minimum requirement for own funds and eligible liabilities : norme européenne, qui s’applique à toute les banques, d’exigence de fonds propres et de 8% minimum de passifs éligibles lors des renflouements internes.

Résolution du Parlement européen du 7 octobre 2021 sur l’union bancaire – rapport annuel 2020 (2020/2122(INI))

 https://aeur.eu/f/1G6 

« Pourquoi ne pas avoir un système de filet de sécurité unique, neutre et intégré pour la résolution et la garantie des dépôts ? » Tuija Taos Directrice générale de l’Autorité finlandaise de stabilité financière, Blog du Conseil de résolution unique, 28 octobre 2021

  « Comment tirer le meilleur parti d’une union bancaire incomplète ? » Discours d’Andrea Enria, président du conseil de surveillance de la BCE, à Eurofi, Ljubljana, 9 septembre 2021

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