Thomas Dorget
Chargé de mission Finance & Entreprises à Confrontations Europe
Dans un contexte de crise économique engendrée par l’épidémie mondiale de coronavirus, les décideurs européens cherchent des solutions pour financer les économies des Etats-membres.
Face à la pandémie de Covid-19 qui frappe l’Union européenne, les Etats-membres ont tous mis en œuvre de coûteuses mesures d’urgence pour financer leurs systèmes de santé et soutenir leurs activités économiques : chômage partiel, report des prélèvements obligatoires, garanties bancaires… Cependant, les Etats-membre n’ont pas tous les mêmes marges de manœuvre budgétaires pour financer ces mesures. L’Italie, l’Espagne et la France, les trois pays les plus touchés par le coronavirus, sont aussi les pays les plus fragiles sur le plan financier : ils affichent respectivement une dette souveraine de 135%, 97% et 98,8% de leur PIB (fin 2019). A l’inverse, l’Allemagne bénéficie de solides capacités d’emprunt pour financer ses mesures d’urgence, avec une dette inférieure à 60% de son PIB. La pandémie de Covid-19 entraîne ainsi une série de dépenses qui vont fortement augmenter le poids des dettes souveraines au sein de la zone euro. L’augmentation des dettes publiques risque de conduire à une montée des taux pour les pays les plus fragiles et déstabiliser la zone euro. Elle pourrait contraindre, à l’avenir, les pays les plus fragiles financièrement à des années d’austérité. L’aggravation de la crise économique et sociale, sans signe de solidarité européenne, pourrait renforcer les tentations de repli et d’euroscepticisme avec des contrecoups politiques dans les pays les plus affectés. Face à cette crise, les déclarations des dirigeants européens sont fortes, il faut mettre les moyens pour sauvegarder l’emploi, les entreprises et l’Euro. « La réponse ne peut être que plus d’Europe, une Europe plus forte et une Europe qui fonctionne bien » (Angela Merkel, 6 avril 2020). Les moyens pour y parvenir ne font pas l’unanimité et font ressurgir des divisions exprimées déjà pendant la crise de 2008. Deux principaux mécanismes de financement des réponses au Covid-19 sont actuellement en débat : l’émission de coronabonds et l’activation du mécanisme européen de stabilité.
- L’émission de coronabonds
L’émission d’une dette conjointe émise à l’échelle de l’UE, euro-obligation ou coronabonds, apparaît pour certains comme la solution de financement capable de répondre à la crise actuelle. Elle permettrait de financer les dépenses nécessaires à la gestion de la crise, tout en répartissant la dette générée par ces dépenses entre tous les Etats de la zone euro. De plus, l’émission de coronabonds montrerait une solidarité européenne, soulignant le rôle essentiel de l’UE dans la gestion des chocs économiques.
Cependant, cette solution, qui revient à organiser des transferts entre les États se heurte à une forte opposition des pays les plus solides financièrement, notamment des Pays-Bas, dont le ministre des finances a fait vigoureusement savoir que son gouvernement s’opposait à cette proposition. Le gouvernement allemand s’est aussi montré sceptique quant à l’émission d’obligations européennes, craignant que les coronabonds rivalisent avec les obligations allemandes, titres refuges par excellence en Europe, à un moment où l’Allemagne s’apprête elle-même à emprunter fortement sur les marchés financiers.
Face à cette opposition, la monétisation de la dette des Etats-membres apparaît comme une alternative. Le plan de rachats de titres privés et publics par la BCE, à hauteur de 750 milliards d’euros, constitue ainsi un grand pas en avant dans l’histoire des réponses que l’UE peut apporter aux chocs économiques. Cette alternative offre effectivement une solution au risque de baisse des liquidités en circulation au sein de la zone euro, pouvant entraîner une contraction des crédits dont on connaît les conséquences depuis la crise de 2008. Cependant, cette monétisation des dettes n’apporte qu’une réponse partielle à la crise de la soutenabilité des dettes souveraines puisqu’il revient aux Etats membres d’émettre leurs obligations, sans considérations pour leurs taux d’endettement respectifs, paralysant ainsi la capacité de relance des pays déjà surendettés.
2) Activation du mécanisme européen de stabilité
Compte tenu des divisions politiques concernant l’émission de coronabonds, la solution actuellement privilégiée par l’Eurogroupe est la mise à disposition des fonds du mécanisme européen de stabilité (MES). Le fonds de sauvetage de la zone euro est actuellement doté de 410 milliards d’euros. Ces réserves pourraient être utilisées pour octroyer des lignes de crédit aux pays de la zone euro faisant face à des difficultés exceptionnelles. De plus, le MES est capable de prêter aux Etats-membres à un taux inférieur aux prix du marché.
Cependant, les lignes de crédit du MES sont octroyés sous le régime de la conditionnalité, c’est-à-dire contre la promesse de réformes permettant à l’Etat emprunteur de « rassurer » sur sa capacité à rembourser. La notion de conditionnalité est aujourd’hui largement impopulaire dans les pays qui ont le plus soufferts de la crise de 2008. Les gouvernements autrichiens et néerlandais ont insisté, en préparation de la réunion extraordinaire de l’Eurogroupe du 7 avril prochain, sur le fait qu’une éventuelle activation du MES devrait inclure des critères de conditionnalités par pays. Si l’existence de critères de conditionnalité n’est pas un problème de principe, il l’est quant à son contenu. Pour être acceptés, ils doivent être compatibles avec le sens des réponses que l’UE veut apporter à la crise et ne pas occulter qu’il y aura pendant des années besoin de politiques sociales effaçant les effets destructeurs de la crise.
De plus, les lignes de crédit du MES adressent la question de la baisse des liquidités en circulation dans la zone euro, en garantissant aux Etats de pouvoir financer leurs mesures d’urgence. En revanche, elles ne permettent pas de régler le problème de soutenabilité des dettes souveraines à l’avenir : les Etats-membre devront tout de même emprunter, conduisant les plus fragiles à accumuler un taux d’endettement élevé qui pourraient là aussi les conduire vers une longue période d’austérité.
Pour conclure, l’émission de coronabonds constituerait un véritable pas en avant en matière de solidarité européenne. D’abord, elle garantirait aux pays aujourd’hui surendettés de continuer à financer leurs mesures d’urgences à un taux inférieur à celui du marché. Ensuite, le poids de cette nouvelle dette émise au niveau européen serait réparti entre tous les Etats membres, venant soulager les pays les plus touchés mettant en œuvre les mesures d’urgence les plus coûteuses en période de crise.
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