Séverine Féraud
Senior Adviser
à la Confédération des organisations
patronales allemandes (BDA)
D’ici la fin 2015, l’Allemagne s’attend à l’arrivée d’1 million de migrants. Pour répondre à cet afflux massif, les entreprises allemandes s’organisent. Encore faudrait-il que le cadre législatif facilite réellement l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile.
L’Allemagne fait face à un énorme déficit structurel de personnel qualifié qui s’aggrave du fait de certaines faiblesses du système éducatif national et du vieillissement des générations.
D’après le ministère de l’Économie allemand, il manquera, d’ici quinze ans, plus de deux millions de travailleurs qualifiés.
Pour garantir la prospérité économique et la durabilité de la compétitivité allemande, il est crucial d’agir rapidement à la fois sur deux fronts. D’une part, en mettant tout en œuvre pour activer plus et plus vite tout le potentiel national des actifs : les jeunes, les femmes, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, celles issues de l’immigration vivant déjà en Allemagne afin de les intégrer au marché du travail. D’autre part, en attirant de manière plus optimale le personnel qualifié au-delà des frontières nationales allemandes et européennes.
En 2013, selon, l’Office fédéral pour l’immigration et les réfugiés, l’immigration a connu un pic majeur en Allemagne avec l’arrivée de 429 000 personnes dans le pays, le plus haut chiffre depuis vingt ans. Il s’agissait, en majorité, de travailleurs qualifiés venant d’Europe du Sud et de l’Est. Mais d’après les résultats de différentes études, la tendance à l’immigration de population active en provenance de ces régions devrait baisser à l’avenir en raison du vieillissement des populations. La mobilité intra-européenne déjà limitée – en 2013, seuls 3,3 % des citoyens européens travaillaient et vivaient dans un autre pays que leur pays d’origine – ne suffira donc pas à combler les besoins du marché du travail allemand. D’où la nécessité de développer une stratégie nationale plus large d’immigration à des fins économiques. Or la crise actuelle des réfugiés en Europe, qui pousse les pouvoirs publics à gérer l’urgence, repousse la prise en compte de ce dossier, pourtant stratégique pour l’avenir de l’Allemagne.
Dans un esprit d’« activation » de la main-d’œuvre potentielle déjà présente dans le pays, la Confédération des organisations patronales allemandes (BDA), se positionne depuis longtemps en faveur d’une amélioration du cadre législatif afin de faciliter l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile ayant une forte probabilité de rester et aux personnes « geduldet » (« toléré » en droit de résidence allemand)(1). Car exercer une activité professionnelle est une condition essentielle à l’intégration. Mais, il est aussi fondamental que le droit d’asile s’applique pour des raisons humanitaires, indépendamment des qualifications personnelles.
Les entreprises innovent
Le gouvernement fédéral allemand a procédé à certaines améliorations. Mais il y a encore beaucoup à faire, et il faut le faire vite compte tenu de l’afflux massif de réfugiés en Allemagne. Ainsi, par exemple, les demandeurs d’asile susceptibles de demeurer dans le pays et les étrangers « geduldet » ont encore beaucoup de mal à débuter un apprentissage. De fait, leur droit de séjour pendant toute la durée de leur apprentissage (environ trois ans en Allemagne) n’est pas systématiquement assuré. S’ils ne sont pas embauchés automatiquement par l’entreprise au sein de laquelle ils ont fait leur apprentissage, leur droit de séjour n’est pas forcément reconduit lors de leur recherche d’emploi. Cette situation incertaine ne permet de rassurer ni les demandeurs d’asile, ni les entrepreneurs qui ne savent pas d’une année sur l’autre si l’apprenti qu’ils ont formé sera susceptible de rester en Allemagne pour terminer son apprentissage, voire d’être embauché, une fois son apprentissage accompli.
Malgré cette situation encore imparfaite, les entreprises allemandes font preuve de beaucoup de flexibilité et de sens de la créativité pour répondre à l’afflux actuel de réfugiés. Par exemple, elles n’exigent pas que leur soient délivrés les diplômes ou les certificats dont l’équivalence devrait encore être reconnue officiellement. Elles privilégient le test direct des compétences « on the job » en cherchant à intégrer directement les personnes dans l’entreprise, en les embauchant comme stagiaires, par exemple.
Le gouvernement fédéral allemand s’attend à l’arrivée de 1 million de réfugiés d’ici la fin de l’année 2015. Comment le pays vat- il relever ce défi ? Ne serait-il pas temps de définir une stratégie nationale d’immigration tournée vers l’emploi ? Une telle réflexion répondrait à des motifs humanitaires mais aussi économiques puisque l’avenir de l’Allemagne passe par l’intégration au marché du travail d’une population active d’origine étrangère.
1) Un étranger « toléré » se voit délivrer une confirmation officielle de son inscription auprès de l’administration allemande, ce qui signifie qu’il n’a pas de droit de séjour mais que sa présence sur le territoire allemand n’est pas non plus illégale.