L’investissement de long terme, clé de voûte d’une Europe décarbonée, souveraine et compétitive

Il est urgent d’élaborer et de mettre en œuvre une vraie stratégie d’investissement de long terme basée sur trois piliers : augmentation des volumes de financement, mobilisation du capital privé et mise en place d’une structure de vision stratégique.

Instabilité géopolitique, crise énergétique, inflation galopante, … nombreux sont les défis que l’Union européenne devra affronter ces prochaines années. Ils nécessiteront à l’évidence des efforts financiers massifs et constants sur plusieurs décennies. L’investissement de long terme se situe donc au cœur même des enjeux de l’Union européenne. C’est pourquoi il est urgent d’élaborer et de mettre en œuvre une vraie stratégie d’investissement de long terme basée sur trois piliers : augmentation des volumes de financement, mobilisation du capital privé et mise en place d’une structure de vision stratégique.

Des besoins dinvestissement colossaux

La décarbonation de l’économie européenne à l’horizon 2050 nécessitera des transformations radicales de nos modes de production et de consommation. La Commission européenne estime ainsi que pour atteindre la neutralité carbone, 379 milliards d’euros d’investissements devront être mobilisés annuellement sur la période 2020-2030.

La construction d’une autonomie stratégique européenne implique une augmentation massive des investissements européens dans la modernisation de notre industrie et le développement de nouvelles technologies. A cet égard, l’invasion de l’Ukraine a rappelé l’importance des domaines de l’aérospatial et de la défense. Ce n’est que récemment que les Vingt-Sept ont commencé à résorber le déficit d’investissement dans ces domaines, avec la création du Fonds européen de défense doté d’un budget de 7.9 milliards d’euros pour la période 2021-2027.

Limpérieuse nécessité de mobiliser le capital privé 

Avec une dette publique moyenne de 96.5 % du PIB au sein de l’Union européenne, les pouvoirs publics nationaux ne pourront pas assumer seuls la totalité de ces financements, .

A l’inverse, l’épargne des ménages européens et les réserves de liquidité des entreprises n’ont jamais été aussi abondantes. Selon le FMI, les ménages de la zone euro ont accumulé près de 1 000 milliards d’euros d’épargne supplémentaire pendant la crise sanitaire, soit l’équivalent d’environ 8 % du PIB.

La mobilisation de capitaux privés apparait donc comme indispensable. A cet égard, la finalisation de l’Union des Marchés des Capitaux constitue une urgence, leur fragmentation décourageant les investissements privés au sein des 27. Cette Union répond à un double impératif : soutenir l’investissement de long terme en Europe en permettant aux entreprises d’un Etat membre de se financer au-delà des frontières nationales, d’une part, mobiliser l’épargne des européens pour financer des projets au sein de l’Union, d’autre part.

Une gouvernance et des stratégies tournées vers lavenir et le long terme

La crise financière de 2008 a entrainé, au nom de la stabilité financière, le développement de nombreux dispositifs juridiques et de normes nouvelles. Malheureusement, ceux-ci ont apporté avec eux le développement de stratégies de court terme.

L’Union européenne a construit une vision stratégique de long terme, le « Green Deal », et dispose d’une capacité à agir dans un horizon long avec des budgets construits sur 7 ans et des instances de gouvernance au rythme quinquennal. Pourtant, elle rencontre des difficultés à incarner cette vision et à lui donner un contenu opérationnel précis en termes d’investissements. Ce manque de lisibilité rend difficile la mise en place de la dynamique nécessaire pour dépasser les injonctions contradictoires de toutes sortes. Pour ne prendre que deux exemples : les impératifs de justice sociale et de sobriété énergétique sont souvent présentés comme antagonistes. Il en est de même de la réindustrialisation de l’Europe et de la décarbonation de nos économies.

Ce « Green Deal » doit demeurer l’axe central des politiques communautaires. Mais cet axe est-il suffisamment affirmé pour être lisible dans le « brouillard » qui se crée sous l’effet de la multiplication d’injonctions à agir rapidement ? La vision saccadée des solutions ponctuelles retenues face aux crises prend souvent le pas sur la trajectoire globale.

Alors que l’Union européenne doit être naturellement guidée par une vision de long terme, il lui revient d’en donner désormais un contenu opérationnel précis. Cela pourrait passer par la création d’une agence européenne dédiée à la prospective économique comme proposé dans le rapport « Investir à long terme, urgence à court terme ». Il appartient, en effet, à l’Europe, comme elle l’a fait en matière de développement durable, de proposer une grille d’analyse qui caractériserait les investissements de long terme et deviendrait ainsi un instrument de gouvernance des instruments financiers européens.

Bernard Attali, Conseiller-maître honoraire de la Cour des comptes, auteur du rapport « Investir à long terme, urgence à court terme »

Michel Derdevet, Président de Confrontations Europe

Laurent Zylberberg, Président de l’association européenne des investisseurs de long terme (ELTI)

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