Par Pierre Beckouche, Professeur de géographie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
La révolution digitale est, à juste titre, perçue comme mondiale. Elle a été un des ingrédients de la globalisation, elle est même parfois considérée comme un esprit nouveau qui réunirait – enfin ! – des civilisations entre lesquelles l’histoire avait fait alterner la coopération et la guerre. La surprise est de voir aujourd’hui la digitalisation faire craquer la globalisation. C’est d’autant plus vrai depuis que, ces dernières années, l’intelligence artificielle (IA) est devenue une base de l’innovation, de l’efficience des entreprises et des armées. L’IA occupe une place croissante dans les rapports de force internationaux, que ce soit à l’échelle globale ou à celle des grandes régions : elle dope la domination russe sur ses périphéries, renforce la puissance chinoise en Asie orientale, tandis qu’en Occident l’IA des États-Unis vassalise l’UE (section 1). Le changement est tellement rapide que la bipolarisation sino-américaine de l’IA modifie notre façon d’analyser la géoéconomie et la géopolitique (section 2). Il faut même déjà se demander si cette bipolarisation ne provoquera pas une divergence au sein de la digitalisation mondiale (section 3).
1. La digitalisation remet en cause à la fois la globalisation et la régionalisation
L’internationalisation du monde après la deuxième guerre mondiale avait pris deux formes. On pense en général à la globalisation, mais une autre grande tendance, l’augmentation des échanges entre pays voisins d’une grande région, avait encore plus vite progressé, dès la création de la Communauté européenne en Europe, et à partir des années 1980 dans les autres parties du monde. Des traités internationaux ont entériné cette régionalisation. En 1992 le traité de Maastricht fait passer la Communauté économique européenne à l’Union européenne, avec une politique étrangère et de sécurité commune, une citoyenneté européenne et une monnaie commune. Même tendance dans les Amériques avec le Mercosur en 1991, l’Alena en 1992 et la Zone de libre-échange des Amériques en 1994 ; en Asie orientale, depuis l’accord de l’Asean+3 en 2000 jusqu’à l’impulsion chinoise qui a conduit en 2020 à la signature du Regional Comprehensive Economic Partnership ; dans le monde russe avec la création de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC, 1992)
et l’Union Économique Eurasiatique (2014).
L’intégration régionale a aussi lieu en Afrique : CEDEAO (Etats d’Afrique de l’Ouest), East African Community, Southern African Development Community etc., jusqu’à la signature en 2021 de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
Mais cette dialectique devient confuse. La globalisation est remise en cause par la crise climatique qui promeut la production locale ou nationale (« démondialisation »), par les risques viro-bactériologiques comme la pandémie du Covid-19 de 2020-2022, par les insuffisances de la régulation globale, par la distance que les pays anciennement colonisés manifestent désormais ouvertement à l’Occident et qu’exprime la notion de « Global South ». Quant à elle, l’organisation régionale du monde est remise en cause par la montée des BRICS dans les échanges internationaux, surtout la Chine, et par le retour du nationalisme illustré par la réélection de Donald Trump. Des tensions indiquent une désintégration régionale, que ce soit en Asie orientale avec le conflit sino-taiwanais, au sein de l’UE avec le Brexit de 2016 [Grasland 2021], et dans la grande région européenne associant l’UE à ses Voisins : au Sud le Printemps arabe (2011) a porté un coup très dur à l’Union pour la Méditerranée signée en 2008, à l’Est la guerre russo-ukrainienne (2014 et depuis 2022) a enterré le Partenariat stratégique UE-Russie noué après la chute de l’URSS [Beckouche et Richard 2023]. L’étape IA de la digitalisation pose deux questions : ne va-t-elle pas redessiner les régions du monde, en marginalisant celles qui sont incapables de maîtriser l’IA ? Surtout, la régionalisation et la globalisation ne deviennent-elles pas secondaires par rapport à la domination bipolaire sino-américaine de l’espace mondial ?
La digitalisation complique la dialectique globalisation-régionalisation car plusieurs visions s’opposent.
La première est celle des Etats-Unis, qui considèrent que l’internet doit être un espace de libre circulation globale – sous leur bienveillante tutelle. Leur domination est systémique : leurs standards s’imposent aux microprocesseurs et aux logiciels qui les utilisent, leur maîtrise de l’océan des données permet leur suprématie en intelligence artificielle. Un mot résume : la silicolonisation du monde [Sadin 2016].
La deuxième vision est celle de la Russie et de la Chine qui veulent un contrôle étatique face à l’influence américaine, et à l’intérieur face à leurs contestataires. Le Runet désigne l’ensemble des réseaux numériques de langue russe. On a vu depuis 2013 l’usage qu’en faisait le gouvernement russe pour se rattacher le Donbass et la Crimée. Avec la diplomatie du gaz et l’OTSC, c’est le principal moyen russe de maîtriser les périphéries de l’ancienne URSS. La loi de 2019 dite du Runet souverain donne à l’Etat les moyens de contrôler les données entrant et sortant du territoire russe, et d’isoler le réseau russe, donc ses périphéries, du reste du monde [Limonier 2023].
La Russie veut développer l’équivalent des Gafam américains [1] et les chaînons manquants de son indépendance numérique. Précurseur par rapport à beaucoup de leaders politiques, Vladimir Poutine avait, dès 2017, proclamé cette sentence célèbre devant les étudiants de l’Université de Yaroslavl : celui qui deviendra le leader dans l’IA sera le maître du monde.
Le cas chinois est de même nature, avec davantage de moyens technologiques (avance en téléphonie mobile 6G, avance dans le quantique [2] et la cryptologie), davantage de moyens industriels (BATX [3], développement de systèmes d’exploitation chinois), financiers et politiques (Grand Firewall maitrisant les routes de données et bloquant les adresses IP, surveillance des activités web). Dans le total mondial des dépenses en R&D des entreprises numériques, la Chine pèse 15%, une proportion rapidement croissante, les États-Unis 62%, les Européens moins de 10% et cette part diminue [Lhuillery 2021] ; quant à la Russie, elle est loin derrière.
La troisième vision est celle de l’UE. Alors que plusieurs des innovations informatiques sont nées chez eux, les Européens paient leur culture financière moins ouverte à la prise de risque, et l’absence d’une stratégie commune : ils ne sont pas parvenus à faire dans le numérique ce qu’ils avaient su faire dans l’aéronautique avec Airbus il y a cinquante ans. Et quand l’action parvient à être confédérale (UE), elle est bien moins orientée vers l’innovation entrepreneuriale que vers la protection des usagers : Règlement général de protection des données personnelles (RGPD, 2018) et Data Act sur les données que nous générons avec nos objets connectés (2023), Digital Markets Act pour lutter contre les abus de position dominante des Big Tech et Digital Services Act pour lutter contre la désinformation ou le racisme (2023), Artificial Intelligence Act « centré sur l’humain, éthique, durable et inclusif » (2024). Mais en semi-conducteurs, l’Europe ne représente que 8% de la production mondiale. Lancé en 2020, son projet de cloud Gaïa-X associe des entreprises comme Amazon, Microsoft, Google (69% du marché européen du cloud à eux trois), Alibaba ou Huawei. Bref, nous avons les bonnes règles, Chinois et Américains ont les Big Tech.
Et ils combattent aussi sur le plan de la régulation. D’abord pour concurrencer la régulation européenne : depuis 2018, le Cloud Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data) permet au gouvernement américain de réclamer mails, documents et données personnelles à toute entreprise américaine même si ses serveurs sont en Europe, en contradiction avec l’article 48 du RGPD. Avoir sur son sol des data centers appartenant à des entreprises étrangères fragilise ce qu’on commence à appeler l’AI Compute Sovereignty [Hawkins 2025]. Ensuite pour critiquer ce qui serait tout « excès » de régulation publique, le président Trump, « pour libérer l’innovation » a-t-il déclaré, ayant abrogé début 2025 le décret 14110 signé par Joe Biden en 2023 pour protéger de l’IA la vie privée.
2. L’IA nous dirige vers une nouvelle géopolitique bipolaire
Les réalités de l’IA dessinent une nouvelle géopolitique. Le plan IA de la Russie souffre de difficultés structurelles, tant en semi-conducteurs qu’en algorithmie. La guerre en Ukraine a limité le déploiement civil de l’IA russe au profit d’une priorité militaire, et encore, pas toujours probante sauf dans la désinformation. Depuis 2022 la fuite des cerveaux de l’IA russe s’accélère, y compris vers la Chine [Nocetti 2025].
Malgré sa production électrique, cruciale pour alimenter l’exponentielle des calculs, malgré ses réseaux numériques et ses compétences scientifiques, l’Europe n’a toujours pas vraiment fait démarrer son IA [Babinet 2025]. Elle pâtit d’une absence d’intégration financière et de partenariats renforcés en R&D, bref d’une mobilisation stratégique régionale, et même d’une stratégie que partageraient les quatre ou cinq pays européens leaders. Le prix du Brexit est élevé car le Royaume-Uni est, loin devant l’Allemagne, le principal pays de l’IA européenne avec la France. L’AI Act Européen a la vertu d’offrir une régulation européenne régionale, mais il coûterait 31 milliards d’euros à l’économie européenne et y réduirait les investissements dans l’IA de 20% [Mueller 2021]. En juillet 2025, une cinquantaine de grandes firmes et d’entreprises digitales européennes de référence ont même demandé à la Commission de suspendre la mise en application de l’AI Act prévue l’été 2025 (IA générale) et l’été 2026 (IA dans les secteurs d’activité stratégique) car elle serait trop défavorable à l’innovation, que ce soit pour les grandes firmes ou pour les start-ups qui auront l’obligation d’évaluer quel niveau de risque les IA qu’elles développent pourraient présenter pour les humains [4]. L’UE forme davantage d’ingénieurs en IA que les Etats-Unis et bien davantage que la Chine, mais beaucoup finissent sur le marché du travail américain. Par habitant, un pays comme la France investit trois fois moins dans l’IA que les Etats-Unis [Aghion 2024].
La Russie dépassée, le Japon ayant en partie raté le virage de l’IA, l’UE en voie de vassalisation, les États-Unis peuvent entrer dans un rapport de force explicite avec la Chine. En 2017 les États-Unis y interdisent la vente de semiconducteurs et d’OS aux sociétés américaines, et en 2020 aux sociétés de tous les pays du monde. Ils ont écarté Huawei de leur marché des smartphones au motif de risques de collecte de données personnelles. Ils ont écarté Huwei de leur marché des smartphones au motif de risques de collecte de données personnelles.
Depuis 2024, les fonds américains ne peuvent plus investir dans des sociétés chinoises spécialisées dans les semi-conducteurs, l’informatique quantique et tous les autres ingrédients de l’IA.
La bataille sur la régulation de l’IA illustre la nouvelle géopolitique. La Chine développe son influence mondiale sur cette régulation. Les Gafam et le président Trump partagent l’idée que l’assouplissement des régulations publiques de l’IA leur est indispensable pour résister à cette montée en puissance chinoise. Cela touche par exemple l’accès aux données protégées par des droits d’auteur. Le Plan d’action sur l’IA de Donald Trump de juillet 2025, qui vise à imposer les standards américains à l’étranger pour garantir le leadership mondial des États-Unis, conduit à la victoire de la notion de Fair Use : cette souplesse dans la protection du droit d’auteur permet un accès illimité à ces données d’entraînement pour les entreprises d’IA. « Le gouvernement fédéral peut à la fois garantir aux Américains la liberté d’apprentissage avec l’IA et éviter de céder notre avance sur la Chine » affirme le leader mondial de l’IA générative, OpenAI, qui craint des projets de loi comme le SB-1047 en Californie qui imposerait des mesures strictes encadrant l’IA. « Si les développeurs chinois ont un accès illimité aux données tandis que les entreprises américaines sont privées du Fair Use, la course à l’IA est perdue d’avance ». La firme californienne met en garde contre une réglementation inspirée de l’Union européenne qu’elle juge nuisible à la compétitivité face à la Chine : « Les États-Unis devraient façonner les discussions mondiales sur le droit d’auteur et l’IA pour éviter que des pays moins innovants n’imposent leurs cadres législatifs aux entreprises américaines » [5]. Le Plan d’action répond donc favorablement à cette demande.
En Chine, dont l’objectif déclaré est d’être la première puissance mondiale en IA en 2030, les investissements sont immenses. Cela va des GPU que Huawei développe depuis que les États-Unis ont interdit les nouveaux semi-conducteurs Nvidia en Chine [6], jusqu’aux modèles d’IA générative comme l’a montré le spectaculaire succès de DeepSeek début 2025. Depuis 2019, on compte davantage d’articles scientifiques chinois sur l’IA que d’américains. Entre 2013 et 2023, les investissements privés dans l’IA auront été de 336 milliards de dollars aux États-Unis, 104 en Chine et 50 en Europe occidentale [Perrault et Clark 2024]. La Chine est plus crédible que l’Europe pour lancer une flotte satellitaire compétitive avec celle des Américains, dont on a vu l’importance sur le champ de bataille ukrainien quand Elon Musk a rendu gratuit pour l’Ukraine l’internet haut débit par ses satellites Starlink puis a désactivé le service dans un rayon de 100 km de la côte de Crimée afin d’éviter une attaque contre une base navale russe. Seuls la Chine et les États-Unis sont capables de faire danser ce couple gagnant que forment l’IA et les satellites : IA embarquée dans les satellites pour sélectionner les images pertinentes à transmettre et pour surveiller les réseaux IA ennemis, essaims de drones s’appuyant sur l’IA satellitaire pour ne pas avoir à chercher l’information par liaison humaine, traitement automatisé de l’immense quantité de données satellitaires climatiques, agricoles, logistiques ou militaires.
On le voit, ces réalités géopolitiques dépassent les espoirs d’une IA globalisée pour le développement et l’inclusion. En 2024, Bill Gates prédisait que l’adoption de l’IA serait généralisée dans le Nord global en 2025 et dans le Sud global en 2026. Il avait raison, mais l’Afrique, 17 % de la population du monde, produit moins de 1 % de son IA. Et les choses risquent d’empirer : les chercheurs africains sont limités dans leur temps et leur volume d’accès à internet, et sont contraints de louer du temps de super-ordinateur dans les pays leaders. L’Amérique latine est à peine mieux lotie.
3. Prospective : l’IA conduira-t-elle une divergence digitale sino-américaine ?
Depuis 2021, les rencontres, forums, sommets sur la nécessaire régulation mondiale de l’IA se multiplient. Mais, comme l’AI Act européen, ils patinent parce que (i) leur cacophonie les maintient loin de normes et de décisions partagées, (ii) ils n’associent pratiquement pas les pays du Sud, (iii) ils mordent à peine sur l’IA militaire, et surtout (iv) parce qu’ils sont soumis à une forte influence des deux pays leaders [7].
La domination numérique sino-américaine pourrait recréer un ordre mondial rappelant la Guerre froide, où deux superpuissances contrôleraient le monde, surtout les pays émergents, l’Inde peut-être un peu mise à part mais l’IA y est en grande partie mise en œuvre par les Gafam. L’Onu pourrait à nouveau connaitre de pauvres heures. En juillet 2023, son Secrétaire général avait promis de bannir l’IA des armes de guerre. Mais au même moment, l’US Air Force déclarait développer des marées de drones et d’avions de chasse pilotés par une IA qui leur donnera leur ultra-réactivité sur le champ de bataille ; depuis 2020, dans les combats aériens simulés le pilote humain est battu par le pilote d’IA, et depuis 2022 l’armée chinoise déclare le même genre de résultats. Les plus grands groupes mondiaux de défense sont en train d’intégrer l’IA dans leurs armements. Avec l’aide et même le pilotage des drones et des missiles par des systèmes intelligents, les guerres en Ukraine [8] et entre l’Iran et Israël ont rendu la chose concrète : l’IA sera l’arme des puissants.
Les Européens commencent à en prendre conscience. Lors du Sommet de l’IA de février 2025 à Paris, la France a annoncé 109 milliards d’euros, l’UE ayant lancé l’initiative d’un plan public-privé « InvestAI » de 50 milliards financés par Bruxelles et espérant mobiliser 150milliards d’euros privés. Mais c’est à comparer aux annonces des Gafam ou des BATX en data centers pour l’IA générative qui se chiffrent en nombreuses centaines de milliards de dollars. Or l’accumulation de moyens et leur combinaison provoquent un différentiel de compétences ultra-rapide, dont le caractère exponentiel n’avait caractérisé aucun des tournants technologiques précédents. La nouvelle géopolitique bipolaire risque de privilégier cette course exponentielle à l’efficience, plutôt que le souci d’une régulation juste.
Les mégaprojets américains sont de plus en plus souvent localisés aux États-Unis pour protéger les données. Amazon Web Services, Microsoft Azure, Google Cloud Platform et les autres hyperscalers américains affirment que l’enjeu n’est pas celui qui oppose régulation et profits des firmes, mais celui qui oppose une IA américaine respectant les libertés et une IA chinoise respectant la stratégie de son gouvernement [Alexandre 2023, Beckouche 2025].
Au-delà de cet enjeu du contrôle, il n’est pas impossible que l’accès aux données, les contenus produits et l’impact sociétal de l’IA divergent entre États-Unis et Chine. Cela va plus loin que la différence à laquelle on pense souvent en matière de sécurité publique, de reconnaissance faciale et contrôle des populations, de droits humains et de critique du gouvernement. D’abord parce que la culture de l’IA diffère, plus souvent exploratoire aux États-Unis, plus concrète en Chine car davantage tournée vers l’efficacité et la conformité aux objectifs attendus. Mais, surtout, parce que les traitements par l’IA pourraient conduire à des orientations dissemblables. Si les données collectées deviennent plus hermétiques entre univers américain et univers chinois, si les méthodes d’IA ne sont pas les mêmes, si les outils IA d’assistance pédagogique depuis la plus jeune enfance ne sont pas les mêmes, on peut imaginer que les décisions-actions automatisées conduiront à des résultats systémiques qui éloigneront les deux grands. Bien que le monde soit plus interconnecté que jamais, l’intelligence artificielle pourrait ainsi conduire à une géoéconomie et une géopolitique inédites, dominées par cette bipolarisation. La divergence en matière de culture politique n’aurait alors rien à envier à celle qui opposa capitalisme et communisme au 20ème siècle ; cette divergence ne tiendrait bien sûr pas dans la digitalisation des sociétés chinoise et américaine, mais dans la façon dont l’IA orienterait la digitalisation.
Globalisation et régionalisation ne disparaitront certainement pas, mais seraient secondes, et modifiées. Dans le cas de l’Asie orientale, le retard japonais en IA accélérerait la prépondérance chinoise ; en commerçant avec les États-Unis et les autres pays du monde, les pays émergents de la région, sous influence chinoise, ont déjà commencé à contourner l’embargo digital américain contre la Chine. Dans le cas de l’Europe, les déclarations d’autonomisation digitale et militaire se multiplient depuis début 2025, mais dans le désordre qu’on doit constater.
[1] Gafam : Google (devenu Alphabet), Apple, Facebook (devenu Meta), Amazon, Microsoft, auxquels on rajoute aujourd’hui Nvidia.
[2] Par rapport à l’actuelle, l’informatique quantique descend au niveau des particules (atome et électrons) pour traiter l’information de manière infiniment plus rapide et moins coûteuse en énergie.
[3] BATX : Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi, auxquels on rajoute aujourd’hui Huawei.
[4] Lettre ouverte « Stop-the‐Clock » à Ursula von der Leyen, mise en ligne le 3 juillet 2025 par le collectif EU AI Champions Initiative.
[5] Voir Nicolas Gary, « L’IA américaine réclame un monde sans limite : c’est nous, ou la Chine », Les Univers du livre, Actualités du 16 mars 2025. En 2016, l’argument du Fair Use l’avait emporté après dix années de procédure judiciaire contre Google Books. Le point de vue d’OpenAI suit cette ligne : ses modèles d’IA ne reproduiraient pas les œuvres mais en extrairaient des structures linguistiques et contextuelles, utilisant les œuvres existantes pour créer quelque chose de nouveau. En France, la Société des gens de lettres, le Syndicat national des auteurs et compositeurs et le Syndicat national de l’édition attaquent Meta en justice pour « contrefaçon » et « parasitisme économique » afin d’alimenter son modèle d’IA générative, cf. Nicole Vulser, « Auteurs et éditeurs attaquent Meta pour violation du droit d’auteur », Le Monde du 12 mars 2025.
[6] Les Graphics Processing Units sont les microprocesseurs les plus rapides, ils sont donc déterminants pour l’IA. Les processeurs de l’américain Nvidia alimentent les plus importants centres de données mondiaux dédiés à l’IA.
[7] Par exemple en 2022, les chefs de délégation irlandais et autrichien du Comité de l’ISO sur la normalisation de l’IA étaient des salariés de Huawei, les chefs de délégation britannique et allemand étaient salariés de Microsoft. Voir l’excellent dossier sur la gouvernance mondiale de l’IA de Laure de Roucy-Rochegonde [2025].
[8] En 2025, le drone russe MS001, version améliorée du drone iranien Shahed‐136, serait doté d’une frappe autonome par IA grâce au kit Nvidia « Jetson Orin » originellement développé pour des usages civils. Cette capacité du drone à détecter des cibles, hiérarchiser et agir sans assistance humaine contrevient au principe des Nations Unies selon lequel l’homme doit conserver le contrôle ultime sur une force létale. Cf. ZDNET, « En Ukraine, des drones autonomes russes dotés d’une IA Nvidia font craindre le pire », 08/07/2025.
Aghion, Ph. (dir.), 2024. « IA : notre ambition pour la France », rapport de la Commission de l’intelligence artificielle au Premier ministre.
Alexandre, O., 2023. La Tech. Quand la Silicon Valley refait le monde. Le Seuil.
Babinet, G., 2025. Série « L’intelligence artificielle, une arme géopolitique ». France Culture.
Beckouche, P., Richard, Y. (Eds.), 2023. Regionalization of the world. Comparing regional integrations. ISTE-Wiley.
Beckouche, P., 2025. Homo Externatus, l’homme procédural. La victoire de l’arithmos sur le logos. Classiques Garnier.
De Roucy-Rochegonde, L., 2025. « Promesses artificielles ou régulation réelle ? Inventer la gouvernance mondiale de l’IA ».
Paris, Études de l’Ifri.
Grasland, C., Toureille, E., Leconte, R., Severo, M, 2021. “Mapping International Geopolitical Agenda. Continuing National Conceptions of the Emerging European Crisis ”. Frontiers in Big Data, 2021, 4, ⟨10.3389/fdata.2021.718809⟩. ⟨halshs-03506950⟩
Hawkins, Z., Lehdonvirta, V., Wu, B., 2025, « AI Compute Sovereignty : Infrastructure Control Across Territories, Cloud
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Lhuillery, S., et al., 2021. « La R&D des groupes français et le CIR », Neoma, rapport pour la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation. France Stratégie.
Limonier, K., 2023. « Le Runet, région du cyberespace ? », dans P. Beckouche et Y. Richard, 2023.
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Perrault, R., Clark, J. (Eds.), 2024. « Artificial Intelligence Index Report 2024 », Institute for Human-Centered Artificial
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Sadin, É., 2016. La silicolonisation du monde. L’irrésistible ascension du libéralisme numérique. L’Echappée.