L’Europe et les jeunes, un mariage pas toujours aisé

Marine POUZOULET

Chargée d’études à Confrontations Europe

Confrontations Europe mène depuis 2015 des projets auprès de jeunes Français, Allemands, Polonais aux parcours parfois éloignés des enjeux européens autour des questions d’insertion professionnelle et de mobilité. Cet automne, Confrontations Europe a réuni des jeunes de différents pays à Lille pour deux jours de débats afin de confronter les points de vue et de rendre l’Europe plus tangible, plus humaine.

L’Europe n’intéresserait personne et serait un sujet élitiste, bien éloigné des préoccupations des citoyens, notamment des plus jeunes… C’est là une opinion souvent entendue, voire relayée dans les médias. Mais l’initiative « Hear my Voice » menée par Confrontations Europe depuis 2015 démontre le contraire. « Hear my voice » a donné la parole aux plus jeunes sur les enjeux européens de mobilité et d’insertion professionnelle et n’a cessé de susciter intérêt et curiosité de la part d’un public de plus en plus nombreux. Notre think tank a souhaité approfondir l’expérience, d’abord en contribuant à la réflexion élaborée dans le cadre des consultations citoyennes sur l’Europe, lancées par la France puis réalisées partout en Europe au printemps 2018, puis en accentuant sa dimension transnationale grâce au projet Solidarity. Entre 2018 et 2019, Confrontations Europe s’apprête ainsi à mettre en œuvre des séminaires innovants et interactifs rassemblant des jeunes citoyens, dans sept pays européens, à savoir la France, la Belgique, la Pologne, la Serbie, la Hongrie, la République tchèque et la Grèce portant sur des enjeux d’Europe, de jeunesse, d’élargissement de l’Union et des politiques d’asile et de migration.

La première édition du projet Solidarity a eu lieu à Lille les 3, 4 et 5 octobre derniers et a rassemblé une cinquantaine de jeunes français, allemands et polonais. Des premières contributions ont déjà pu être rassemblées sur les thèmes de recherche d’emploi et de mobilité en Europe.

Dès le premier jour, les participants ont été appelés à répondre à la question volontairement provocatrice : « Chercher un travail en Europe aujourd’hui : mission impossible ? ». Parmi les premières réponses, il apparaît évident que l’une des principales difficultés pour ces jeunes en situation de précarité demeure les problèmes d’orientation. Comme le prouvent leurs témoignages, ces jeunes ont pu être mal orientés, ou n’ont pas bénéficié de conseils adaptés à leurs envies ou aux débouchés réels du marché de l’emploi. Une majorité d’entre eux a donc l’impression d’avoir été placée à tort dans un parcours qui ne leur correspondait pas, ce qui a contribué à leur échec. « On m’a forcé à choisir une filière plutôt qu’une autre, sous prétexte que la première avait déjà atteint un nombre maximum d’inscrits » explique David, jeune Français du groupe de la Garantie Jeunes. L’absence de passerelle entre les différents parcours accentue les effets pervers de ce fonctionnement. Nombreux ont également souffert d’a priori négatifs, encore persistants, à l’encontre des parcours professionnels « choisis ». Certains jeunes ajoutent éprouver désormais le sentiment de faire face à trop d’informations sans pouvoir choisir celles qui correspondraient à leurs attentes et leur offriraient des perspectives d’emploi certaines. Dès lors, même avec une formation en poche, l’entrée sur le marché du travail reste complexe à appréhender. Enfin, un autre aspect accentue leurs craintes : le point de vue du cercle familial. Suivre un parcours « trop long » peut être perçu comme une perte de temps vis-à-vis de la nécessité d’indépendance financière. Il en va de même de certains métiers qui sont, par essence, considérés comme inaccessibles à certains élèves en raison de leurs origines.

Besoin d’accompagnement

Autre sentiment souvent évoqué dans les débats : la solitude chez les jeunes en recherche d’emploi qui éprouvent alors le besoin d’être accompagné par une structure spécialisée. Plus les difficultés sont nombreuses (par exemple, le fait de ne pas maîtriser la langue du pays d’accueil ou d’être éloigné de sa famille), plus cette recherche de solidarité est forte. En effet, face au découragement que peut entraîner une période longue sans emploi, la définition d’objectifs avec l’aide d’un référent peut aider à mobiliser le jeune de manière plus efficace. Grâce à cette aide, Anthoumani de la Mission locale estime qu’il « peut aussi mieux gérer timidité et donc mieux valoriser profil ».

Mais les attentes des jeunes par rapport à leur structure d’accompagnement apparaissent parfois démesurées. « Les jeunes nous considèrent comme leur “héros” et pensent que nous allons résoudre tous leurs problèmes et leur trouver un emploi qui leur correspond parfaitement », témoigne une représentante de la mission locale. Or, « la mission locale n’a pas pour rôle de faire cette démarche à leur place. Sa mission est de donner aux jeunes tous les outils nécessaires pour qu’ils soient capables de le faire par eux-mêmes. De manière plus générale, elle est un lieu de rencontre quotidienne entre jeunes qui partagent les mêmes problématiques et les aide aussi dans leurs démarches administratives ». En ce sens, la capacité à acquérir davantage d’autonomie semble s’inscrire dans un processus jugé trop lent par bien des jeunes, notamment en France.

Les accompagnements financiers sont aussi perçus comme des leviers très importants permettant à des jeunes de milieux défavorisés d’accepter un temps des stages et emplois peu rémunérés. Les programmes d’insertion sur le marché de l’emploi sous forme de contrats aidés ou de courte durée, tels que le mécanisme du service civique, sont également perçus positivement car ils donnent accès plus facilement à une expérience professionnelle.

Dans ce contexte, la persévérance et la volonté individuelle apparaissent donc comme des qualités essentielles pour réussir une recherche d’emploi. La capacité à « se relever de ses échecs et à reconstruire sa vie grâce à ses seuls efforts nous aide à devenir plus responsables », explique Szymon, venu avec le syndicat polonais Solidarność. Oser démontrer sa motivation est primordial. « Le simple fait d’en vouloir et d’aller toquer à toutes les portes pour distribuer son CV nous aide dans la recherche d’emploi, non seulement pour atteindre nos objectifs, mais aussi pour acquérir une plus grande expérience en termes de persévérance et d’apprentissage de la vie ». D’autant qu’un premier succès représente une motivation supplémentaire pour aller plus loin.

La question de la mobilité a été très largement évoquée lors d’un second atelier. L’indépendance acquise grâce à une expérience à l’étranger est évoquée en priorité. « Partir pour un stage ou un travail à l’étranger démontre que l’on est capable de se débrouiller seule. C’est une chance, et cela nous ouvre des portes », témoigne Alicia, ébéniste au sein des Compagnons du Devoir. En effet, une telle expérience permet l’apprentissage « sur le terrain » d’une autre langue mais aussi la capacité à « sortir de sa zone de confort » et à faire face à un environnement nouveau. La curiosité vis-à-vis d’autres méthodes de travail est également forte, notamment auprès des jeunes qui partent dans le cadre de voyages encadrés par leur structure d’accueil. L’enrichissement culturel constitue un second attrait d’une expérience de mobilité à l’étranger, permettant d’améliorer ses capacités d’adaptation et d’accroître son appréhension de la diversité. « Après avoir effectué un tel voyage, on est capable de repartir et de vivre n’importe où », ajoute Pierre, jeune électricien chez les Compagnons du Devoir.

Mobilité ou sortir de sa zone de confort:
Toutefois, les freins à la mobilité demeurent nombreux. Le premier étant financier. Les aides qui existent restent encore peu connues ou semblent difficiles à obtenir. Les démarches longues et complexes, dont dépendent entièrement ceux qui ne peuvent être soutenus par leur famille, découragent facilement, notamment ceux qui sont déjà pris par d’autres obligations (horaires professionnels, charge familiale, cours du soir…). Un départ à l’étranger reste perçu comme une démarche compliquée. « L’étranger » semble trop différent de ce que le jeune connaît déjà et revêt par conséquent un aspect hostile, renforcé par la barrière de la langue. La différence culturelle impressionne. Plusieurs participants évoquent l’attachement à leur pays d’origine : plus l’installation et les attaches y sont fortes, moins l’envie de partir est grande. La durée du séjour à l’étranger joue aussi un rôle majeur : parmi les participants, tous sont d’avis qu’une expérience courte reste souhaitable mais la possibilité de pouvoir revenir rapidement est rassurante. Certains pays de destination, comme le Royaume-Uni ou l’Espagne, apparaissent également plus accessibles que d’autres.

Cependant, certains participants ne se sentent finalement pas légitimes à partir. « Ce n’est pas pour moi. » « Je n’y ai jamais pensé… » L’existence d’une structure d’accompagnement ou d’un service dédié au sein de la structure d’origine constitue donc une aide considérable. Le jeune se sent moins seul dans sa démarche et a le sentiment de pouvoir « compter sur quelqu’un » en cas de difficultés. Néanmoins, pour les missions locales, la question de la mobilité est moins mise en avant car tant les accompagnateurs que les encadrants sont déjà « occupés avec toutes les possibilités qui existent sur place » et s’intéressent en priorité à la recherche d’emploi au niveau local.

La mobilité n’apparaît pas non plus un sésame pour l’emploi. « Beaucoup viennent en France avec l’espoir de trouver un travail mais c’est une illusion », affirme Anthoumani de la Mission locale. En effet, si l’expérience de mobilité est traditionnellement perçue comme un enrichissement individuel, une représentante de la Mission locale de Lille évoque l’effet inverse que cela peut avoir : « Certains employeurs considèrent qu’un CV avec trop d’expériences à l’étranger est un risque de former quelqu’un pour finalement le voir partir ailleurs ». Ainsi la mobilité doit être une expérience bien encadrée et répondre à un projet professionnel défini.

La première édition du projet Solidarity bénéficie du soutien de l’EACEA, du ministère des Affaires étrangères, de l’OFAJ et d’Erasmus+.

Derniers articles

Articles liés

Leave a reply

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici