Clotilde WARIN
Rédactrice en chef de la Revue
Depuis le mois d’avril et jusqu’à la fin octobre, des « consultations citoyennes » ont été organisées dans les 27 États membres. Qu’elles aient été portées par les gouvernements, mises en place par la société civile, elles ont donné lieu à un vaste débat entre citoyens dans chaque État. Avec une implication à géographie variable…
« Que voulons-nous partager en Europe ? », c’était là le thème de la consultation citoyenne sur l’avenir de l’Europe organisée le 5 juillet dernier par Confrontations Europe. Un vaste sujet qui a donné lieu à des débats animés autour de la ministre chargée des Affaires Européennes, Nathalie Loiseau, du politologue Philippe Poirier, du député LREM Jacques Maire ou encore du journaliste allemand Thomas Hanke. De nombreux thèmes ont été abordés : les enjeux de démocratie et de souveraineté européennes ; la montée des populismes, de l’euroscepticisme en Europe, les enjeux migratoires, l’avenir de la jeunesse, la montée des inégalités. Les participants ont eu des mots justes et ont dressé des constats parfois implacables : « Nos victoires sont nationales, nos échecs européens ». Ont exprimé des interrogations : « Le problème de l’Europe ne réside-t-il pas dans la résistance de nos administrations nationales ? ». Formulé des demandes concrètes : « Il faudrait mettre en place une Sécurité sociale européenne ». Ou des souhaits : « Ne pourrait-on pas susciter des émotions fondées sur des fêtes partagées ? ».
Depuis le mois d’avril et jusqu’à la fin du mois d’octobre, des centaines de consultations citoyennes sur l’Europe ont eu lieu en France et dans les 26 autres États membres. Cette initiative proposée par Emmanuel Macron, en juillet 2017, sous le nom de « conventions démocratiques » avait pour but de faire revivre le désir d’Europe. D’emblée, dès le mois d’octobre 2017, Confrontations Europe avait lancé un Appel, en partenariat avec les Eurocitoyens, en faveur de ces conventions démocratiques(1). L’Appel suggérait quelques pistes de méthodologie afin de garantir le succès d’un tel projet : « écouter et entendre les opinions », « partir des acteurs et des forces vives qui traversent et structurent la société », « intégrer le regard des autres Européens »… Et saluait avec enthousiasme cette initiative comme pouvant être « un moyen de prendre à bras-le-corps la crise politique et démocratique qui frappe nos pays ». « C’est aussi la contrepartie nécessaire à l’investissement des citoyens dans ces conventions. » Dans cet Appel, Confrontations Europe s’était aussi prononcé en faveur d’un « processus délibératif » et non consultatif. La démarche a depuis évolué puisque les « conventions démocratiques » sont devenues des « consultations citoyennes » que le think tank soutient évidemment, même si cette démarche reste en deçà de nos attentes.
Près de 800 événements en France
En France, depuis le printemps, ces consultations citoyennes ont suscité un immense intérêt puisque près de 800 événements ont été organisés sur tout le territoire et que 90 des 100 départements français ont accueilli au moins un débat citoyen. Elles ont été accompagnées par des organisations de la société civile comme le Mouvement européen, des think tanks mais aussi des groupements de citoyens qui a priori ne suivaient pas systématiquement les questions à l’agenda européen. Pour toucher le plus grand nombre de gens, ces débats, qui ont tous été labellisés par le ministère chargé des Affaires européennes, se sont parfois déroulés dans des lieux assez inédits : dans des hôpitaux, à la prison des Baumettes ou encore, cet été, sur la plage. Et ont pris aussi quelques formes assez originales : la ministre chargée des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, a participé à une simulation de procès entre pro et anti-Européens. « La philosophie des consultations citoyennes est la neutralité politique et la transversalité des points de vue », explique Arnaud Magnier, secrétaire général des consultations citoyennes sur l’Europe. Mais, même en France, la couverture médiatique du projet est faible. Les débats ont presque lieu en catimini. Pourquoi ? Sans doute parce que le projet apparaît quelque peu vertical, imposé par le pouvoir plutôt que né de la société civile.
Ailleurs en Europe, la démarche a suscité plus ou moins d’engouement. Si les 27 États membres ont accepté de faire partie du projet, certains pays ont un peu traîné les pieds. Les critiques le plus souvent émises laissent transparaître une forme de défiance liée au caractère trop « français » de la démarche. Dans les faits, les modèles mis en place diffèrent d’un État à l’autre : comme la France, seize autres États ont créé un site Internet pour relayer la démarche. Mais, la France, seule, a formalisé un cadre de restitution des débats. Certains pays, à l’instar de la France, ont choisi de faire porter la démarche par le gouvernement. C’est le cas en Allemagne.
D’autres pays ont opté pour des modèles plus hybrides comme l’Espagne ou la Bulgarie qui a établi un partenariat avec une organisation de la société civile, l’Institut européen. Vingt-deux États membres néanmoins se sont impliqués à des degrés divers dans la démarche. Ainsi Malte a tenté de mobiliser des populations a priori eurosceptiques, comme les pêcheurs. La Roumanie et l’Autriche sont parvenues à mobiliser des citoyens dans des petites villes, qui comptent souvent des citoyens moins favorables à l’Europe.
Rapport commun
Mais des impératifs de calendrier ont parfois conduit des États à prendre du retard dans l’organisation de ces consultations. L’Estonie, par exemple, a mobilisé ses forces pour célébrer le centenaire de son indépendance cette année. La Belgique a choisi de répondre à la démarche à travers la mise en place d’« open tables » au cours desquelles les citoyens expriment leur opinion sur l’Europe. Enfin, l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en Italie a gravement freiné la tenue de ces consultations sur l’Europe.
Au-delà du degré d’implication des États membres, le succès d’un tel projet réside dans la qualité de la restitution des débats. Au Conseil européen de décembre, chaque État membre présentera un bilan national qui nourrira l’élaboration d’un rapport commun formant consensus à 27. Cette restitution transversale des résultats sera sans doute hétérogène, incomplète d’autant que le Conseil européen traitera également du Brexit, des migrations et de la réforme de la zone euro… Mais on peut espérer que ces débats citoyens auront fait renaître l’Europe dans le cœur de certains citoyens. Et seront à même de nourrir les prises de position des candidats au Parlement européen.
C’est une première. Début mai, la Commission européenne a demandé à un panel de citoyens issus des 27 États membres de rédiger le questionnaire de la consultation publique en ligne sur l’avenir de l’Europe. Ce panel de 100 personnes a été choisi sur des critères géographiques afin que l’ensemble des Européens soient représentés avec une petite prime pour les Etats membres les plus peuplés, mais aussi de sexe, d’âge et rassemblait un échantillon représentatif de l’ensemble des catégories socio-professionnelles. Grâce à une équipe d’experts chargés d’aider les citoyens à libeller les questions, préciser leur pensée, la Commission européenne a choisi de lancer un véritable processus délibératif. Le défi était de taille : il s’agissait de rédiger un questionnaire sur l’avenir de l’Union européenne en l’espace de deux jours… « Ce qui a été flagrant dans les premières ébauches de propositions, c’est que l’enjeu migratoire n’a pas été le plus cité ; les questions d’environnement, d’éducation et de santé étaient celles qui préoccupaient le plus le panel. Les Européens avaient des interrogations sur des thèmes touchant à leur quotidien, à leur bien-être et affirmaient s’inquiéter de l’Europe qu’ils laissaient à leurs enfants », explique Gaëtane Ricard-Nihoul, secrétaire générale adjointe des Consultations citoyennes.
Les débats en ont surpris plus d’un : une Tchèque, par exemple, a reconnu qu’elle n’aurait jamais imaginé combien les Italiens s’étaient sentis abandonnés par l’Europe dans la gestion de l’enjeu migratoire. En un temps record, quarante questions ont été formulées. Douze ont finalement été retenues. Et les thèmes très présents dans l’actualité, comme les migrations ou la sécurité, ont finalement recueilli le plus de suffrages. Côté bilan, à la mi-septembre, 45 000 Européens – seulement… – avaient répondu au questionnaire en ligne. Difficile de parler de franc succès. Mais le secrétariat général a lancé fin septembre une campagne de communication digitale à destination du grand public afin de convaincre les Français de répondre au questionnaire, voire, tout simplement, de les informer qu’un tel processus est en cours. Qui sont les Européens les plus nombreux à s’être exprimés ? Sans surprise, les citoyens français arrivent en première position, suivis des Allemands et à la troisième place, on retrouve les… Hongrois.
1) Lire l’intégralité de l’Appel sur le site de Confrontations Europe.